Tout le monde se souvient – avec plus ou moins de bonheur – des dictées sur les bancs de l’école. Le 16 mars, à Pantin (93), l’exercice sera convivial et populaire, ouvert aux enfants comme aux adultes. Les participants découvriront un texte rédigé spécialement pour l’occasion par le linguiste Julien Barret, autour des mots sélectionnés dans le cadre de l’opération « Dis-moi dix mots sur le podium ». De son côté, Abdellah Boudour, initiateur de la « Dictée pour tous », met son talent d’organisateur au service de cet événement fédérateur. « Plusieurs ingrédients sont nécessaires pour que ce soit populaire : organiser une dictée dans le quartier, en dehors de tout cadre scolaire, en général le samedi. Enfin, inviter les familles à venir sur plusieurs générations. C’est véritablement une fête ! », explique l’entrepreneur social.
Un texte sur mesure
Spécialiste de la rhétorique et de la nouvelle poésie orale du rap et du slam, Julien Barret s’intéresse aux nouveaux mots de la langue française, créés par les jeunes dans les banlieues parisiennes. « Certaines communautés ont des langages spécifiques. Cela s’appelle des sociolectes. Beaucoup de termes nouveaux apparaissent chez les jeunes des villes et des banlieues, et se diffusent à travers le rap, les réseaux sociaux et parfois l’humour », explique le linguiste. Et d’ajouter : « On m’a demandé de rédiger une dictée en utilisant différents registres de langue, et d’y intégrer à la fois des mots de la francophonie, du langage parlé par les jeunes et de l’opération « dis-moi dix mots sur le podium ». Le plus compliqué était de trouver le ton juste. J’ai écrit trois paragraphes, un pour le primaire, un pour le collège et un pour le lycée et les adultes », détaille Julien Barret (1).
Un prétexte pour apprivoiser la langue
Organiser des dictées populaires et géantes dans les quartiers en France, c’est ce qu’Abdellah Boudour fait depuis 2013. « Au départ, j’organisais des distributions de fournitures scolaires dans mon quartier d’Argenteuil. Ces sont les mamans du quartier qui m’ont sollicité pour organiser des actions en faveur de l’orthographe. J’ai mis 40 chaises et on s’est retrouvé à 250 participants. Après il y a eu les réseaux sociaux, on a fait le buzz et on a décidé d’en organiser dans toute la France », explique l’initiateur de « la Dictée pour tous ».
Son but ? Favoriser l’accès à la lecture et à l’écriture, dans toutes les classes sociales. « On n’est pas tous faits pour faire des grandes études. Mais plus on a de vocabulaire et d’orthographe, plus on a des idées, de l’inspiration et de l’ambition. Et des capacités à défendre ses projets », ajoute-t-il.
Lui-même a croisé le chemin des livres et de la langue dès son enfance : « Dans mon quartier, quand il faisait froid et qu’il pleuvait, on ne pouvait pas aller sur le terrain de football. Alors, on se réfugiait à la bibliothèque municipale. Le directeur nous obligeait à prendre un livre pour rester. C’est comme cela que j’ai rencontré les livres et les mots », se souvient l’entrepreneur social.
Rendez-vous le samedi 16 mars à 16h00 à l’espace Artagon, 34 rue Cartier Bresson à 93500 Pantin
Langue française, langue vivante selon Julien Barret
« J'anime beaucoup d'ateliers d'écriture et de prise de parole dans le département de la Seine-Saint-Denis, où la mixité sociale, les multiples nationalités présentes et les diverses langues parlées ont fait naître un argot spécifique. Parmi les nouveaux mots franciliens, il y en a beaucoup qui viennent de l’américain, de l’arabe, mais on trouve aussi des sigles, des jeux de lettres et des mots d'ancien français qui sont réactivés. Il y a aussi des termes issus de langages urbains parlés en Afrique de l’Ouest, en Côte d'Ivoire et au Cameroun notamment. Le mot "go", qui veut dire fille, vient du nouchi, un langage né dans les années 1980 à Abidjan, la capitale économique ivoirienne. Beaucoup de jeunes disent aujourd’hui « être B », pour être bien. Mais dans certains endroits de l’Essonne, être B, c’est être triste. En effet, certains termes changent de sens d'un lieu à l'autre, selon un phénomène d'antiphrase attesté lorsqu'un nouveau mot émerge. Beaucoup de nouveaux mots apparaissent aussi au Canada, en Suisse, en Belgique, au Maghreb et en Afrique de l'Ouest. Les Français ne sont pas les seuls dépositaires de la langue française. Elle appartient à tous ceux qui la parlent, c’est une langue qui évolue en permanence ».
(1) Julien Barret a publié un Lexique du 91, après un travail de deux ans avec des lycéens de Ris-Orangis.
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