L’autoédition agace aussi bien qu’elle fait rêver. Elle agace les acteurs traditionnels du livre qui y voient une dénégation du lent travail qu’ils assurent tout en portant en elle l’illusion – ou parfois la réalité – de talents cachés qu’elle seule permettrait de faire connaître et reconnaître.
Malgré une offre de livres autoédités considérablement développée depuis deux décennies, l'autoédition et ses particularités demeurent assez mal connues.
Cette étude inédite tente de quantifier l’autoédition en France et de dresser pour la première fois un portrait de la diversité des auteurs autoédités.
L’exploitation statistique inédite des données de plus de 170 000 livres et de 70 000 auteurs, pour les seuls livres imprimés, du dépôt légal et de l’institut Growth from Knowledge (GfK) de 1970 à 2015 permet d’analyser la diversification de l’offre éditoriale apportée par l’autoédition de livres.
L’offre de livres autoédités privilégie-t-elle certains genres éditoriaux ? Le profil sociodémographique des auteurs autopubliés diffère-t-il de celui des auteurs publiés par les maisons d’édition traditionnelles ? La porosité entre l’autoédition et l’édition classique existe-t-elle ? Comment comparer le "succès" des auteurs ?
L'autoédition s'est considérablement développée depuis deux décennies en France :
Près du quart des livres papier déposés à la Bibliothèque nationale de France (BnF) sont autoédités en 2015, contre un dixième il y a 40 ans. La croissance du nombre de titres autoédités déposés au dépôt légal est impressionnante : 20 % en 2019 contre 12 % en 2010.
La répartition des livres autoédités varie fortement selon les genres :
L’autoédition participe indéniablement à l’élargissement de l’éventail des livres proposés dans des genres sous-représentés dans l’édition traditionnelle. En 2015, au sein de la littérature française, la poésie occupe une part deux fois plus importante parmi les livres autoédités que parmi ceux édités classiquement, 60 % des livres de poésie étant autopubliés. Les romans sont aussi surreprésentés en autoédition, à l’inverse de la bande dessinée et de la littérature jeunesse.
La mobilité des auteurs entre autoédition et édition classique est faible :
L’étude révèle une polarisation marquée entre l’autoédition et l’édition traditionnelle. La tendance serait donc à la complémentarité plus qu’à la substitution : sur 70 087 auteurs ayant déposé au moins un livre en littérature à la BnF entre 2007 et 2016, plus de 48 % sont toujours restés fidèles à l’édition classique et 40 %, à l’inverse, n’ont jamais quitté l’autoédition. Seuls 12 % sont passés de l’un à l’autre de ces mondes entre 1970 et 2016. Lorsque des auteurs autopubliés sont repérés par des maisons d’édition, l’effet tremplin sur les ventes d’auteurs en quête de reconnaissance est bien confirmé.
Le profil sociodémographique des auteurs selon :
- Le genre : sur les 70 000 auteurs de littérature francophone sur la période 2007-2016, 60 % sont des hommes. Il n’existe pas de grande différence du point de vue du genre entre l’édition classique et l’autoédition. Parmi les auteurs ayant publié au moins trois livres, la part des femmes n’est plus que de 36 %, quel que soit le type d’édition.
- L’âge : sur les 70 000 auteurs de littérature francophone, la moyenne d'âge est de 56 ans. Seuls 22 % des auteurs ont moins de 40 ans et 39 % ont plus de 60 ans. Seuls 36 % des auteurs n’ayant connu qu’un éditeur classique ont moins de 5 ans d’ancienneté contre 59 % chez les autoédités. Les auteurs fidèles à l’édition classique ont plus d’années d’ancienneté. L’ancienneté est également significativement plus élevée parmi les auteurs aux parcours plus complexes.
L'analyse comparée du « succès » par parcours d’auteurs :
Les auteurs n’ayant connu que l’édition classique bénéficient d’une plus forte notoriété et atteignent de plus grosses ventes, sans grande surprise et le passage en maison d’édition pour les auteurs initialement autopubliés permet de renforcer leurs ventes et d’accroître la visibilité, même limitée.
Si 30 % des titres sont autopubliés en moyenne sur 2007-2016, ils représentent seulement 0,3 % des ventes totales. Un auteur vend en moyenne 22 exemplaires imprimés par livre autoédité et 1 458 par livre publié chez un éditeur classique : 95 % des auteurs fidèles à l’autoédition vendent en moyenne moins de 100 exemplaires par ouvrage sur la période 2007-2016 et 58 % d’entre eux n’ont pas vendu d’exemplaires de livres imprimés dans les circuits de distribution traditionnels. Les ventes imprimées de romans sont environ 180 fois plus élevées pour un titre édité qu’autoédité et les ventes des recueils autoédités sont seulement 16 fois moins élevées (environ 4 exemplaires par ouvrage dans l’autoédition et 65 dans l’édition classique).
À retenir :
- Une croissance impressionnante du nombre de titres autoédités déposés au dépôt légal : 20 % en 2019 contre 12 % en 2010
- La répartition des livres autoédités varie fortement selon les genres : la poésie et les romans sont surreprésentés en autoédition, à l’inverse de la bande dessinée et de la littérature jeunesse.
- La mobilité des auteurs entre autoédition et édition classique est faible. Le passage en maison d’édition pour les auteurs initialement autopubliés permet de renforcer leurs ventes et d’accroître la visibilité, même limitée.
- L'autoédition s’adresse à des profils d’auteurs différents : souvent plus jeunes et plus féminins.
- Analyse du "succès" : un auteur vend en moyenne 22 exemplaires imprimés par livre autoédité et 1 458 par livre publié chez un éditeur classique.
Cette étude permet de sortir des vues caricaturales pour n’accorder à l’autoédition ni trop d’honneur, ni trop peu de considération.
Stéphanie Peltier, Françoise Benhamou, Christophe Cariou, François Moreau
Collection Culture études, 48 p., 20 mars 2024.
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