Le langage de Laure Prouvost est à l’image de ses créations : singulier, poétique et parfois sibyllin. Il fait partie intégrante de l’univers, plein d'une étrange fantaisie, que la Française de 41 ans s’applique à déployer autour d’elle. « Les mots sont à déconstruire et à reconstruire, à modeler et à démodeler », a-t-elle récemment assuré sur France Inter. Car le langage est pour elle « un matériau comme un autre », à même de donner vie aux histoires, aux personnages et aux objets qui reviennent dans la plupart de ses installations – à commencer par ce fameux « grandpa », un aïeul fictif versé dans l’art conceptuel, qui aurait disparu en cherchant à creuser un tunnel pour rejoindre l’Afrique depuis son salon.
Un univers singulier, poétique et parfois sibyllin
Récit, scénario, installation
Confier à Laure Prouvost le soin d’investir le Pavillon Français lors de la prochaine biennale d’art de Venise, qui ouvrira ses portes le 11 mai 2019, représente donc, de l’aveu même du président de l’Institut français, Pierre Buhler, « un choix audacieux ». Insaisissable, l’artiste étonne, tant par sa manière de mêler technologies modernes, comme la vidéo, et savoir-faire traditionnels – avec une prédilection pour la céramique et la tapisserie – que par son goût prononcé pour l’affabulation, le loufoque. Ses œuvres plongent le spectateur dans des récits dont l’inquiétante étrangeté n’est pas sans rappeler l’univers de Lewis Carroll. Une imagination débordante qui interpelle, certes, mais qui fait mouche avant tout. Lauréate du prestigieux Turner Prize en 2013, Laure Prouvost est régulièrement présentée comme l’une des Françaises les plus en vogue de la scène artistique actuelle. « Vous êtes, à l’image de notre culture, ouverte sur le monde. Vous êtes française, installée à Anvers, vous avez étudié à Londres : l’Europe de la Culture que nous promouvons vous en êtes une incarnation parfaite », souligne Franck Riester, en ajoutant : « accepter de représenter la France à la Biennale de Venise est, pour un artiste, une responsabilité importante. Il s’agit d’assurer la représentation nationale, dans un monde où la réalité est celle d’un art qui circule à travers les continents. Laure Prouvost s’est emparée de ce paradoxe, inhérent au projet, pour interroger plus largement la notion de l’identité, si importante et tellement sensible dans nos sociétés actuelles ».
Une joyeuse épopée fictionnelle
A la prochaine biennale de Venise, elle a choisi de présenter une œuvre en deux volets. La pierre angulaire de son projet artistique, « Vois ce bleu profond te fondre », est un film, une joyeuse épopée fictionnelle tournée lors d’un roadtrip à travers la France qui l’a conduite jusqu’à Venise. Celui-ci met en scène Laure Prouvost elle-même, accompagnée d’une troupe bigarrée composée de magiciens, de danseurs et de musiciens rencontrés lors des différentes étapes de cette échappée belle. Le film mélange les langues – français, anglais, italien, arabe, néerlandais… – et aborde les thèmes de la génération, l’identité, l’incompréhension, la marginalité, l’utopie ou encore les échanges culturels. Une installation sculpturale in situ viendra enrichir et développer le film à l’intérieur et à l’extérieur du pavillon, avec des procédés propres à l’artiste comme des objets vestiges du film, de la résine, de la terre, du verre, des plantes et de la vapeur d’eau (la liste n’est pas exhaustive…).
Penser en sentant
« Comment peut-on ressentir ce qui nous entoure ? Cette question constitue le point de départ de mon projet. A l’image du poulpe, qui a son cerveau dans ses tentacules je pense sincèrement qu’il est possible de penser en sentant », a confié l’artiste lors de la présentation de son projet, le 22 janvier, au Palais de Tokyo. Penser à travers ce qu'on ressent : c’est précisément ce qu’elle s’est appliquée à faire, en mêlant l’imaginaire au réel, laissant à ses auditeurs le soin de démêler ce poétique écheveau verbal. Écoutons-la raconter le scénario de son film : « Certains jours, on continuait à cheval, d’autres on continuait à creuser et on est arrivés au Palais Idéal du Facteur Cheval au grand galop, la nuit. Quelqu’un nous a déposé des yeux ou des œufs d’oiseau dans la paume de la main, nous a fait tomber dans les pommes, on était tous la tête dans les nuages ». Son but sera atteint si le projet donne envie aux visiteurs du Pavillon français de « changer le monde ». « J’espère qu’on questionnera ensemble nos façons de penser, de faire, aussi bien positives que négatives – mais de façon plutôt légère. A Venise, il y aura les deux : la joie et la tristesse ». Un constat doux-amer, qui donne au travail de Laure Prouvost sa surprenante profondeur. Car derrière une apparente insouciance, l’artiste avoue qu’il y a dans son travail « de la peur, de l’inquiétude, des questions que l’on se pose tous un petit peu ». Laure Prouvost serait-elle définitivement insaisissable ?
Laure Prouvost en cinq dates
1978 : Naissance à Croix (Hauts-de-France).
2011 : Elle obtient le Max Mara Art Prize for Women.
2013 : L’artiste est la première Française à recevoir le prestigieux Turner Prize.
2018 : Une exposition monographique, « Ring, Sing and Drink for Trespassing » lui est consacrée au Palais de Tokyo.
2019 : Elle représentera la France à la biennale d’art contemporain de Venise.
Partager la page