Répétitions, captations sans public, tournages de films et de séries… En dépit du confinement, les initiatives se multiplient pour que « la création continue », selon les mots de la ministre de la Culture. Premier volet : la Nuit du Cirque se réinvente avec une programmation inédite (1/4).

 

Philippe Le Gal

Décliner le cirque de création sous toutes ses facettes en mettant à l’honneur sa vivacité et sa richesse, tel est l’objectif de la Nuit du Cirque. Cette année, du fait de la crise sanitaire, les multiples représentations prévues en France et à l’étranger les 13, 14 et 15 novembre ne pourront pas avoir lieu. Qu’importe, la Nuit du Cirque se réinvente… en ligne. Philippe Le Gal, président de l’association Territoires de Cirque, nous dévoile la programmation inédite de cet événement.

Fait exceptionnel, la deuxième édition de la Nuit du Cirque s’apprête à revêtir une dimension numérique. Comment ce projet se met-il en place ?

Basculer d’une Nuit du Cirque réelle à une Nuit du Cirque numérique est un énorme chantier. Qui plus est, ce n’est pas notre cœur de métier – lequel porte avant tout sur le spectacle vivant. La mise en place de cette édition 2020 est donc largement improvisée. Nous avons finalement décidé de collecter un maximum d’images et de vidéos relatives au cirque contemporain – extraits de spectacles, portraits d’artistes, cartes blanches… – tout en appelant les artistes qui le peuvent à imaginer des capsules vidéos afin de nourrir les rendez-vous de la Nuit du Cirque 2020, prévus les 13, 14 et 15 novembre. 

Ces trois rendez-vous auront lieu en direct, à 21h, sur le site de la Nuit du cirque. Ils seront animés par des artistes, qui improviseront avec beaucoup de liberté, en s’appuyant sur les technologies d’aujourd’hui – zoom, facetime… – pour mener, entre autres, des interviews surprises. Des vidéos pré-enregistrées seront également diffusées. Elles rythmeront, en alternance avec les séquences de direct, une émission qui durera 1h30. Le thème de la soirée du vendredi 13 novembre sera « Plus haut », et cette dernière donnera à voir des spectacles physiquement puissants, placés sous le signe de l’inventivité et de la performance. Celui du samedi 14 novembre, « Plus libre », mettra à l’honneur les formes de création étonnantes qui apparaissent lorsque le cirque se mêle au théâtre ou à la danse, se jouant ainsi des codes traditionnels. Enfin le dimanche 15 novembre, placé sous le thème « Plus proche », soulignera l’extraordinaire proximité qui peut exister entre les artistes et le public, en prenant en compte les thématiques de la vie quotidienne.

Dans un communiqué, vous soulignez l’importance de « ne pas rompre les liens ». Cette préoccupation joue-t-elle un rôle dans votre démarche actuelle ?

Absolument. Lorsque nous avons su que nous ne pourrions pas accueillir le public, nous nous sommes immédiatement interrogés sur la possibilité de reporter les Nuits du Cirque. Très vite, il est apparu que ce n’était pas une option : nous avions déjà reprogrammé énormément de spectacle sur le premier semestre 2021, et la troisième édition de la Nuit du Cirque est prévue pour l’automne 2021. Et puis un coin de la mappemonde nous a rappelé qu’il serait, lui, au rendez-vous ! En effet l’île de la Réunion n’est pas confinée, et la scène conventionnée du Séchoir, à Saint-Leu, pourra accueillir du public normalement. Cette Nuit du Cirque ne sera donc pas exclusivement numérique, et nous sommes très heureux de savoir que sur les 260 représentations prévues, il y en a au moins une qui va se passer en vrai. Enfin, le maintien de cette manifestation s’est aussi imposé car il y a en ce moment de très beaux projets artistiques, tout juste éclos, qui attendent d’être découverts – d’où notre désir de leur faire honneur, en veillant à préserver le lien entre les artistes et le public.  

Mais soyons clair, la Nuit du Cirque numérique n’est pas la Nuit du Cirque à laquelle on rêvait. C’est plutôt un clin d’œil, une façon de dire que le cirque rebondit, s’adapte, et qu’il ne cédera pas. Donc nous vous offrons à vous, public, ce clin d’œil le 13, 14, 15 novembre prochain, mais c’est pour mieux vous donner envie de retourner, dès qu’il sera possible de le faire, sous les chapiteaux, dans les théâtres, dans les places publiques, là où il y aura des artistes.

Cirque

Pourquoi a-t-on plus que jamais besoin du cirque aujourd'hui ?

La France est un pays d’art et de culture, et le cirque est peut-être le champ artistique le plus populaire. Quand on voit un chapiteau, on a envie de se glisser sous la toile…  C’est un art qui n’est pas intimidant et qui, très rapidement, vient à la rencontre du public – de tous les publics. C’est aussi un art de la solidarité, qui met en avant le collectif plus que l’individu. Il y a dans certaines disciplines un vrai danger : on risque sa vie quand on est acrobate, trapéziste, et l’esprit de solidarité est fondamental pour contrôler ce risque, éviter les blessures. C’est enfin un art de l’accompagnement, qui accepte, intègre les différences, et qui, en cela est très inclusif. Toutes ces choses font du bien, elles sont revigorantes, surtout dans le contexte actuel, propice à l’isolement.

Alors osez le cirque. Osez cet art, qui, plus qu’un art, est aussi un mode de vie, une relation au public. Osez ce rendez-vous avec l’étonnement. Quand on voit un fildefériste, on se dit qu’il ne peut aller que dans un sens ou dans l’autre, que le champ des possibles est limité. Pourtant l’artiste parvient toujours à nous emmener dans un voyage étonnant, lointain. C’est une forme de poésie à l’état brut, un appel à laisser filer les imaginaires. Une bouffée d’air frais, qui ne peut que faire du bien.

 

Figures libres : quand les circassiens innovent autour d'un mot-clef

 

Gwenola David

Parmi les vidéos qui seront diffusées lors de la Nuit du Cirque, figurent les créations du projet « Figures Libres », supervisé par le Centre national des arts du Cirque, de la rue, et du théâtre (ARTCENA). « C’est très important pour nous d’être aux côtés des professionnels lorsqu’ils organisent de grands événements fédérateurs comme la Nuit du Cirque, d’où notre volonté de contribuer à notre échelle », souligne Gwénola David, la directrice d’ARTCENA. « Nous sommes un centre de ressources et nous avions envie, à travers le projet Figures libres de montrer que la ressource peut être une véritable source d’inspiration pour les artistes, un ouvroir de création », ajoute-t-elle.

Pour répondre à cet objectif, ARTCENA a proposé à une dizaine d’artistes circassiens de choisir un des nombreux mots clefs utilisés par le Centre pour classer les ressources tels que « vide », « contorsion », ou encore « circographie ». Un documentaliste leur a ensuite donné accès aux documents sur le cirque liés à ce mot clef. « Cela a amené les artistes à développer de nouveaux axes de recherche, à aiguiser leur réflexion en faisant le lien avec d’autres notions », explique Gwénola David. Ces réflexions ont in fine donné lieu à la création de courtes vidéos de quelques minutes reflétant chacune un univers artistique singulier. Un exemple ? « Dans une pastille consacrée à l’itinérance, Nathan Israël raconte ce qu’est la vie d’artiste, avec beaucoup de pudeur et de pertinence. On le voit répéter le même geste, tous les jours, dans différents paysages suivant les lieux où il est en tournée. Il y a donc une notion de répétition, qui renvoie à la représentation d’un même spectacle, et en même temps ce n’est jamais pareil – c’est toujours ailleurs, toujours différent », analyse Gwénola David.

Rendez-vous les 13, 14 et 15 novembre prochain pour découvrir l’ensemble de ces « Figures libres », également disponibles sur le site d'ARTCENA.