Après plus de 80 ans, les trois tableaux Les Peupliers, Arbres et Composition retrouvent la famille de celui qui les a peints. Ces trois huiles sur toile, à la frontière du cubisme et des abstractions, peintes par Fédor Löwenstein, ont été restituées, mardi 16 septembre, au petit cousin de l’artiste, Richard Brook. « Regarder ces tableaux, c’est nous replonger dans une histoire tragique qui a mis trop longtemps à être comprise, établie et même rétablie, explique Luc Allaire, secrétaire général du ministère de la Culture. Ils sont enfin sortis de l’oubli et retrouvent leur histoire et leur place naturelle auprès de ceux qui conservent la mémoire de l’artiste. » Il s’agit de la troisième cérémonie de restitution cette année après celles de quatre mappots, ornements destinés à la protection des rouleaux de Torah provenant des synagogues de Würzburg et Kitzingen en Bavière et rendus à la communauté juive locale, et du livre Vittore Carpaccio : la vie et l’œuvre du peintre, spolié à August Liebmann Mayer.
Ces trois tableaux sont aujourd’hui les seuls d’un ensemble de 25 œuvres du même artiste à avoir été retrouvés. Ils ont été peints en 1939 par Fédor Löwenstein (1901-1946), artiste méconnu tchécoslovaque et juif, né en Allemagne, qui s’est installé à Paris dans les années 1920. Les 25 tableaux ont été saisis par les autorités allemandes dans le port de Bordeaux alors qu’ils devaient être envoyés à New York pour une exposition. Ils ont ensuite été transportés à Paris, dans la « salle des martyrs » du musée du Jeu de Paume destinée aux œuvres d’art moderne jugées peu dignes d’intérêt par les Allemands. Les trois huiles portent même encore les traces d’une croix rouge, signe qu’elles étaient destinées à être détruites.
Tableaux identifiés grâce à des photographies
Disparu juste après la guerre, Fédor Löwenstein n’a jamais déposé de demande auprès de la Commission de récupération artistique (CRA) pour récupérer ses œuvres spoliées. Les trois tableaux ont échappé à la destruction pour des raisons inconnues et sont restés dans les réserves du Louvre jusqu’en décembre 1973, date à laquelle ils ont été intégrés aux collections du musée national d’art moderne (MNAM) sous forme de « don anonyme ».
La question de leur origine s’est posée en 2010, lorsque Alain Prévet et Thierry Bajou, deux chercheurs du ministère de la Culture, se sont penchés sur les archives de la conservatrice et résistante Rose Valland et sur une série de quatorze photographies prises au Jeu de Paume, et plus précisément sur l’une de la « salle des martyrs » sur laquelle apparaît l’une des trois œuvres. En croisant les données, les trois peintures du MNAM ont été formellement identifiées et radiées, en 2011, de l’inventaire des collections permanentes du musée national d’art moderne pour être réinscrites comme œuvres issues de la récupération artistique (MNR).
Des œuvres exposées l’an prochain
Il aura fallu deux recherches distinctes et concomitantes pour que ces œuvres retrouvent leur propriétaire. D’un côté, celle du ministère de la Culture, qui, à partir de 2015, a bénéficié, sous forme d’un mécénat de compétence, de l’aide des Généalogistes de France pour retrouver les ayant droit de l’artiste. De l’autre, celle de l’Américain Richard Brook, fils d’un cousin germain du peintre, qui s’est lancé à la même époque dans des recherches sur sa famille, et plus particulièrement sur le peintre. « Mon père ne parlait jamais de sa famille, à l’exception de sa sœur, assassinée à Auschwitz. J’ai découvert le reste grâce à mes propres recherches. » C’est lui qui a ouvert un dossier auprès de la Commission pour l’indemnisation des victimes de spoliations antisémites (CIVS) en vue de faire reconnaître la spoliation subie par le peintre. Les deux mouvements se sont rejoints et la commission a reconnu, le 17 janvier dernier, la spoliation des trois œuvres et recommandé leur restitution au petit-cousin de l’artiste.
Ces trois tableaux vont être visibles du grand public ces prochaines années grâce au prêt accordé par Richard Brook. Ils seront présentés à partir de février prochain au musée d’art et d’histoire du Judaïsme (mahJ), dans le cadre de l’exposition « Histoires d’œuvres spoliées : Diane Esmond et Fédor Löwenstein ». Puis ils seront montrés au musée de l’Orangerie en octobre 2027 dans l’exposition « Dépossédés ». « Je suis dépositaire d’une longue histoire qu’il ne faut pas oublier et je m’y emploie », poursuit le petit-cousin.
Avec ces trois peintures, le nombre d’œuvres spoliées pendant la période nazie et restituées ou ayant fait l’objet d’un accord avec les ayants droit, s’élève aujourd’hui à 221 depuis 1950. Parmi elles, 57 ont été restituées dans le cadre de recherches proactives de l’administration, des musées et des bibliothèques depuis dix ans. La Mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945 (M2RS) du ministère de la Culture, les musées et les bibliothèques poursuivent les recherches pour identifier de nouveaux biens culturels spoliés et leurs propriétaires, en vue d’autres restitutions.
L’histoire de ces trois tableaux de Fédor Löwenstein a été retracée dans l’un des épisodes du podcast À la trace, mis en ligne en mars 2023.
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