Depuis 1950, près de 197 œuvres et objets « Musées nationaux récupération » (MNR) spoliées par le régime nazi pendant la période 1933-1945 et entrées depuis dans les collections publiques ont été restituées à leurs ayants droit. Un chiffre qui s’accélère depuis douze ans avec 84 œuvres rendues dont 56 dans le cadre de recherches proactives de provenance de la part de l’administration et des musées. « Restituer les biens spoliés est un impératif pour contribuer à réparer les exactions antisémites passées. Je veux redire toute notre détermination, au Gouvernement, au ministère de la Culture, dans le monde de la culture, à lutter contre l’antisémitisme, contre les appels à la haine, contre les actes de violence », déclare la ministre de la Culture Rachida Dati.
Le ministère de la Culture, les musées et bibliothèques concernés poursuivent leurs efforts, en lien avec la Commission pour la restitution des biens et l’indemnisation des victimes de spoliations antisémites, pour identifier d’autres biens culturels spoliés et rechercher leurs propriétaires afin de réparer ces spoliations. C’est ainsi que deux nouvelles restitutions ont eu lieu au mois de juin. La première concerne quatre mappot, des bandelettes de Torah conservées jusqu’à présent au musée d’art et d’histoire du Judaïsme (mahJ) et rendues au musée de la communauté juive de Würzburg et de Basse-Franconie Shalom Europa situé en Allemagne. La seconde concerne le livre Vittore Carpaccio : la vie et l’œuvre du peintre, spolié à August Liebmann Mayer et rendu à sa fille, Angelika Mayer.
Quatre mappot, objets cultuels juifs, retrouvent leurs origines
Dans la religion juive, les mappot sont des ornements de protection des rouleaux de Torah. Ces longues bandelettes en lin sont fabriquées à partir d’un lange de circoncision et sont offertes à la synagogue lors d’une cérémonie de présentation de l’enfant à la communauté, généralement lorsqu’il atteint trois ans.
A l’issue de la Seconde Guerre mondiale, les objets cultuels juifs spoliés retrouvés étaient confiés à la Jewish Restitution Successor Organization. Parmi eux, un ensemble de 114 objets sans propriétaire connu – dont faisaient partie les mappot - avaient été déposés en 1951 à l’ancien musée d’Art juif de la rue des Saules à Paris, qui l’a lui-même transféré au mahJ à son ouverture en 1998.
C’est à l’initiative de Claire Decomps, conservatrice en chef des collections historiques et des judaica du mahJ, que les recherches de provenance ont repris. Elle a relevé les rares inscriptions présentes sur l’ensemble des objets déposés afin d’y trouver des informations sur l’identité de leurs propriétaires ou donateurs. « Les inscriptions en hébreu rappelaient le nom religieux de l’enfant, différent du nom de famille, et la date de naissance. En croisant les noms avec diverses bases, elle a pu identifier quatre enfants », explique Dominique Schnapper, présidente du mahJ. Quatre des six mappot conservées par le musée ont ainsi été identifiés : trois bandelettes avaient été offertes à la synagogue de Würzburg et la quatrième à la synagogue de Kitzingen.
Ces mappot ont été restituées au musée de la communauté juive de Würzburg et de Basse-Franconie Shalom Europa. « Nous pensions ces objets perdus, déracinés, souligne Josef Schuster, président du Conseil central des juifs d'Allemagne. Nous exprimons notre profonde reconnaissance au mahJ qui ont permis cette restitution. Ce retour incarne la continuité du judaïsme et des liens transmis de génération en génération, malgré l’anéantissement. »
Une première application de la loi du 22 juillet 2023
La restitution, vendredi 13 juin, d’un livre retrouvé dans les collections de la Bibliothèque nationale de France (BnF) à Angelika Mayer, la fille d’August Liebmann Mayer, marque la première application de la loi du 22 juillet 2023 relative à la restitution des biens culturels ayant fait l'objet de spoliations dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées entre 1933 et 1945. Cette loi permet désormais la sortie de ces biens spoliés du domaine public de l’État et des collectivités territoriales par dérogation au principe d’inaliénabilité des collections publiques.
Le livre Vittore Carpaccio : la vie et l’œuvre du peintre, de Gustav Ludwig et Pompeo Molmenti, faisait partie de la vaste bibliothèque d’August Liebmann Mayer, historien de l’art allemand juif, conservateur en chef de l’Alte Pinakothek et professeur à l’université de Munich, qui a fui l’Allemagne pour la France en 1936 avec sa famille, avant d’être déporté à Auschwitz où il fut assassiné le 12 mars 1944. C’est dans l’appartement familial parisien que le livre fut pillé en 1942. Il avait ensuite été saisi en mai 1945 dans la résidence secondaire d’Hermann Göring à Berchtesgaden par la 2e Division blindée Leclerc, qui avait donné l’ouvrage à la Bibliothèque nationale en septembre de la même année. Le livre avait intégré les collections publiques. La BnF s’est lancée dans une recherche de provenance de cet ouvrage et a découvert, à côté du cachet de la 2e DB, l’ex-libris d’August Liebmann Mayer. Il s’agit de la seconde restitution pour cette famille, après celle, en 2015, du tableau Portrait d’homme, d’après Giovanni Battista Moroni.
La découverte de la provenance de cet ouvrage met en tout cas en lumière la spoliation massive de livres pendant l’Occupation : pendant cette période, au moins 5 millions d’ouvrages ont été volés en France. Depuis une dizaine d’année, un important travail de recherche a ainsi été entrepris par une dizaine de bibliothèques relevant du ministère de la Culture, du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche ou de collectivités territoriales, sous la coordination du service du livre et de la lecture et de la Mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945 (M2RS) du ministère de la Culture.
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