Depuis plusieurs années, la transition écologique irrigue en profondeur l’action du ministère de la Culture. En témoignent récemment deux jalons importants : la publication en 2023 du « Guide d’orientation et d’inspiration pour la transition écologique de la culture » et le lancement du plan « Mieux produire, mieux diffuser », annoncé lors d'un déplacement de la ministre de la Culture au Printemps de Bourges le 26 avril 2024. Initié à l’automne 2023 par la direction générale de la création artistique (DGCA) du ministère de la Culture, un programme de résidences d’artistes pour la transformation écologique – les résidences vertes – poursuit cette démarche, en inscrivant clairement l’ambition écologique au cœur même du processus de création artistique.
Concrètement, chaque résidence réunit un « trinôme », soit un artiste, un lieu d’accueil, et un professionnel de la transition écologique, qui travaille pendant six à douze mois à un projet alliant transformation des pratiques professionnelles et évolution des médias et des représentations artistiques. Un dispositif couronné de succès, selon le bilan de l’expérimentation dressé le 10 mars au cours d’une séance de restitution, qui a mis en avant plusieurs points. D’abord, il est à noter que les projets retenus ont mis en évidence la pertinence de la dimension collective du travail, qui permet une montée en compétences de l’ensemble de l’équipe. Unanimité également autour des moyens alloués à chaque projet (20 000 euros, comprenant le temps de recherche).
« Un tel dispositif, résume Nicolas Vergneau, référent des résidences vertes à la direction générale de la création artistique, permet de donner du temps à des artistes souhaitant faire évoluer leur pratique en tenant compte de la transition écologique », mais il ne se réduit pas « au seul cadre de l’éco-responsabilité ». « Il s’agit aussi de permettre à la création de se renouveler, d’encourager des relations décloisonnées entre le monde de l’art et d’autres domaines professionnels », poursuit-il. Et d’élargir le champ de la création artistique, complète Sophie Zeller, adjointe au directeur général de la création artistique, « l’enjeu de ces résidences étant aussi de faire aimer le vivant, de procurer un émerveillement ».
Des résidences qui ont transformé les artistes…
Et les six équipes artistiques lauréates, comment ont-elles vécu cette expérience ? Quels ont été pour elles l’intérêt, les apports, de ces résidences vertes ? Leur témoignage était particulièrement attendu lors de la restitution. A commencer par celui de la plasticienne Douce Mirabaud, soutenue par la DRAC Occitanie, qui s’est installée sur le causse de Blandas dans le Gard, où elle s’est concentrée sur la relation entre l’eau et le monde minéral. Cette résidence lui a permis, dit-elle, de « faire corps et écologie ». « Grâce à un temps de recherche exceptionnel et fructueux, notre espace imaginaire est sans limite », résume l’artiste, qui dispose désormais « d’un outil qui [lui] permet d’interroger les enjeux écologiques aux côtés des scientifiques ».
Même souci écologique, du côté du collectif d’artistes Disnovation.org, soutenu par la DRAC Bourgogne-Franche-Comté et composé de Maria Roszkowska, Nicolas Maigret et Baruch Gottlieb, qui a mené une « enquête sur des bifurcations écologiques radicales » (« le cahier des charges nous a permis d’être ambitieux, explique Nicolas Maigret, nous avons abouti à une réflexion sur un nouveau medium audiovisuel ayant une empreinte carbone dix à cent fois inférieure à celle d’aujourd’hui »), ou de celui de La Coopérative 326, soutenue par la DRAC Bretagne, qui transporte le théâtre dans l’espace public avec une scène tractée par un cheval de trait. « Notre volonté était de réinscrire une dimension poétique sur des territoires dont certains sont abandonnés », dit Jean Lambert-Wild, directeur artistique de La Coopérative 326, qui a mis en œuvre un partenariat avec l’Université de Bretagne-Sud afin d’optimiser la question énergétique.
Ce sont des « espaces d’expérimentation » d’un nouveau genre, tous deux soutenus par la DRAC Provence-Alpes-Côte d’Azur. Le premier visait à « mettre le public en relation avec le biotope et à se saisir des pratiques de la danse pour se lier aux végétaux et aux animaux ». C’est « Hospital Nature », développé dans le cadre somptueux du parc naturel régional du Lubéron, par Robin Decourcy, qui utilise le trek danse comme fiction politique pour répondre aux urgences climatiques. Le second avait pour ambition de réhabiliter l’ancienne école d’un hameau pour en faire une résidence d’artistes et un lieu culturel dans un village. C’est le projet « A l’école du Chazelet », situé sur la commune de La Grave dans les Hautes-Alpes, la résidence, qu’a réalisé Quentin Lazzareschi, designer pluridisciplinaire et alpiniste-chercheur. Avec à la clé, deux chantiers – la construction d’un bloc et d’un mur d’escalade – lesquels ont « intensifié » la réflexion autour du projet se félicite Stéphane Sauzedde, co-concepteur du projet.
… et les professionnels de l’écologie et des lieux d’accueil
Côté lieux d’accueil, l’expérimentation s’est révélée tout aussi fructueuse, favorisant la mise en place d’une stratégie à 360 degrés riche d’enseignements. Dans le Parc naturel régional du Lubéron, désigné réserve de biosphère par l’UNESCO, la résidence de Robin Decourcy a ainsi été l’occasion de « travailler sur l’impact de sa pratique sur la biodiversité » indique Aline Salvaudon, responsable du pôle diversité. Laurence Perillat, de l’Association des Augures, co-conceptrice du projet « A l’école du Chazelet », dit, quant à elle, avoir identifié « les limites » de l’économie circulaire lors de la construction du mur d’escalade réalisé pendant la résidence de Quentin Lazzareschi : « En dépit de notre attention au sourcing des matériaux et des partenaires, nous étions dépendants d’une industrie de l’escalade qui n’a pas encore fait sa transition écologique »
L’expérimentation a aussi permis de faire un pas de côté et d’ajouter une dimension supplémentaire à la feuille de route initiale. Cédric Carles, éco-designer, qui a accompagné le projet du collectif d’artistes Disnovation.org, se félicite du recentrage du projet en direction de « la consommation électrique et la question spécifique de l’obsolescence des formats ». Il faut travailler « l’art de la transformation collective » plaide-t-il. Eliette Guine, directrice de la Filature du Mazel, pôle d’innovations territoriales, lieu d’accueil de Douce Mirabaud, pointe la question de la mobilité. Pendant sa résidence, l’artiste, qui a « servi de cobaye », a en effet effectué tous ses déplacements au moyen d’un vélo électrique d’occasion. « Comment fait-on sans voiture dans les montagnes ? Les résidences vertes nous ont permis d’avoir un espace de test ». Aujourd’hui ce « fougueux vélo » est mis à la disposition des adhérents de la filature.
DRAC et DAC en première ligne
Ce succès doit beaucoup aux DRAC et DAC partenaires, qui ont contribué à sélectionner les équipes. Frédérique Sarre, responsable de la mission transformation écologique de la création à la DGCA, souligne leur rôle « essentiel » dans la réussite des résidences vertes.
« Les DRAC sont un lieu de ressources incroyable, toutes les informations s’y croisent, on peut mettre les opérateurs en relation » observe avec satisfaction Corinne Gambi, conseillère arts plastiques à la DRAC Bourgogne Franche-Comté, qui a accompagné le projet Disnovation.org : c’est après avoir vu l’exposition « Post growth : imaginaire pour une société post croissance », dont le collectif assurait le commissariat sur le Territoire de Belfort en 2022, qu’elle a eu l’idée de l’inviter à rejoindre l’aventure des résidences vertes. Lieu de ressources d’un côté, expertise de l’autre : « Nous avons beaucoup d’acteurs engagés sur les questions de transition écologique sur notre territoire, confie Nathalie Piat, conseillère théâtre et danse à la DRAC Occitanie, notre présence est indispensable pour aider à l’orientation sur ce dispositif ».
Agnès Bretel de la DAC Martinique parle même d’une « co-construction » des projets. « Par le partage d’expériences, nous sommes dans une autre position. Les résidences vertes incarnent une façon nouvelle et créative de penser les politiques culturelles dans les territoires, lesquelles répondent à une mise en œuvre spécifique dans les territoires ultra-marins ».
Toutes s’accordent sur la question du temps et font l’éloge du dispositif des résidences vertes: « Le temps offert est éminemment précieux, la création de ce dispositif a ouvert des espaces de rêve et d’imagination » dit Nathalie Piat.
Une pérennisation du programme avec de nouveaux partenaires
Aucune raison de s’arrêter en si bon chemin. « L’expérimentation, en partenariat avec des acteurs engagés au plan national dans la transformation écologique, se poursuivra en 2025 », annonce Maxime Gueudet, chargé de mission transformation écologique de la création à la DGCA. Cela va se traduire par la construction d’un programme pérenne en lien avec ces différents acteurs et le lancement d’un appel à candidatures courant 2025. Deux marraines de choc ont été choisies pour cette nouvelle édition : l'artiste Douce Mirabaud et Jozée Sarrazin, chercheuse en écologie benthique, spécialisée dans les grands fonds marins, à l'Institut et laboratoire d'appartenance (Unité de recherche Biologie et Écologie des Écosystèmes profonds, Ifremer.
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