Avec 87 millions de visiteurs étrangers accueillis en 2017, la France a établi un nouveau record de fréquentation et reste la première destination touristique au monde. A l’heure où le tourisme culturel représente, selon les estimations de l’Organisation mondiale du tourisme, environ 40% du tourisme international, la richesse du patrimoine de l’Hexagone, la diversité de sa création et la vitalité de sa scène artistique représentent un formidable atout pour la croissance touristique de ses territoires.
Mais comment faire fructifier les relations mutuellement bénéfiques qu’entretiennent la culture et le tourisme ? Quels progrès reste-t-il à réaliser dans le rapprochement de ces deux mondes bien distincts ? L’édition 2018 des Rencontres du tourisme culturel, organisée au Louvre Lens par le ministère de la Culture, a permis aux professionnels d’aborder ces questions et de partager leurs expériences dans un cadre favorable au développement de partenariats durables. Retours d’expérience.
Créer de nouvelles destinations grâce au tourisme culturel
Les arts peuvent-ils jouer un rôle dans l’expérience touristique d’un territoire ? Pour François Bédard, professeur au département d’études urbaines et touristiques de l’Université du Québec, la question ne se pose plus. « La culture est aujourd’hui un élément essentiel du positionnement touristique de la ville de Montréal », observe-t-il. Une stratégie qui lui a permis de se démarquer des destinations concurrentes et de devenir l’une des plus importantes métropoles culturelles d’Amérique du Nord. « En 2000, la ville a réuni autour d’une même table le ministère de la Culture et des Communications et les principaux acteurs des milieux culturel et touristique », explique François Bédard. « Aujourd’hui, ces derniers continuent à travailler ensemble à la mise en place d’une offre culturelle diversifiée tout au long de l’année », poursuit-il. « Tourisme et culture sont capables de dépasser leurs différences », confirme Florence Beyaert, présidente du directoire PARISCityVision. « Leur collaboration peut être facilitée par des mesures concrètes : une offre culturelle plus accessible, une communication régulière entre les opérateurs culturels et les acteurs du tourisme. Nous avons, par exemple, besoin de connaître leurs programmations à l’avance pour construire nos offres », ajoute-t-elle.
Nantes attire aujourd’hui des voyageurs désireux de découvrir des choses insolites, des propositions artistiques extraordinaires (Jean Blaise)
En fondant « Voyage à Nantes », une structure dédiée au développement du tourisme culturel, Jean Blaise a été l’un des premiers, en France, à réunir deux mondes qui semblaient voués à s’ignorer. « Créée en 2010, ‘Voyage à Nantes’ rassemble le Château des ducs de Bretagne, les Machines de l’Île, la HAB Galerie, le mémorial de l’abolition de l’esclavage et l’office du tourisme », explique-t-il. L’objectif ? Changer l’image de Nantes « qui apparaît comme une ville de province un peu endormie », pour en faire « la ville de la créativité ». Pari réussi : l’organisation fédère chaque été un large éventail de propositions culturelles et propose tous les ans un parcours permettant de découvrir les œuvres contemporaines, l’histoire, l’architecture et les trésors de la ville. Celui-ci se renouvelle chaque année et laisse derrière lui des œuvres pérennes, commandées par la ville à de grands créateurs. « Nantes est en train de se créer son propre patrimoine ! Elle attire désormais un nouveau type de voyageurs, désireux de découvrir des choses insolites, des propositions artistiques extraordinaires », se réjouit Jean Blaise.
La politique culturelle forte et singulière de la ville a fait des émules. « Nous nous sommes beaucoup inspirés de Nantes », avoue Bernard Faivre d’Arcier. Chargé, par la ministre de la Culture, de mener à bien le projet des Capitales françaises de la Culture - un titre qui, tous les trois ans, mettra à l’honneur l’innovation artistique et l’attractivité culturelle d’une ville française - le président de la biennale de Lyon insiste sur la nécessité de donner de la visibilité à de nouvelles villes, peu connues malgré leur dynamisme. « La première édition, qui aura lieu en 2021, sera réservée aux villes de province comprenant entre 75 000 et 200 000 habitant. Si cela marche bien, une nouvelle édition ciblera, en 2024, les communes de moyenne et de petite taille, puis, en 2027, les villes de banlieue », précise-t-il. Le développement du tourisme culturel fera partie intégrante des critères d’appréciation du jury et la ville lauréate verra plusieurs de ses projets artistiques parrainé par de grands établissements publics.
Promouvoir la culture locale en pensant le tourisme autrement
Pour Caroline Couret, le tourisme culturel passe aussi par une approche créative du secteur touristique. « Il faut faire tomber les codes du tourisme et apprendre à travailler avec les acteurs locaux, en particulier les artisans qui possèdent un savoir-faire traditionnel », assure-t-elle. La présidente du Créative Tourism Network - un réseau international qui promeut le tourisme créatif - insiste sur la nécessité de prendre en compte le contexte historique, social et culturel qui sous-tend l’identité d’un lieu. « Plutôt que de chercher ce que le touriste imagine, on peut s’intéresser à ce qui reflète vraiment la culture locale. S’éloigner de la ‘touristisation’, du spectaculaire, pour créer de nouvelles opportunités avec ce qui est déjà présent », affirme-t-elle. Découvrir une autre facette d’Ibiza en apprenant à y confectionner des espadrilles, profiter de la Côte d’Azur en basse-saison en participants à des ateliers créatifs avec ses habitants ou encore pratiquer la mosaïque à Barcelone, ville de Gaudi, en compagnie d’artistes contemporains… Le champ des possibles ouvert par le tourisme créatif est vaste. « Les locaux ne sont pas de simples intermédiaires, les locaux sont le patrimoine », estime Caroline Couret. Un point de vue partagé par François Bédard, « A Montréal, les visiteurs se trouvent au contact des visités puisqu’ils participent aux mêmes activités culturelles qu’eux. Cette rencontre permet de bonifier leurs relations », affirme-t-il.
Le tourisme culturel ouvre donc de nouvelles perspectives, qui ont l’avantage de préserver et de promouvoir le patrimoine culturel des destinations concernées. Outre le tourisme créatif, on assiste en France à l’essor d’un tourisme de savoir-faire, qui passe notamment par les visites d’entreprises. Le projet « Et voilà le travail ! », dans lequel s’est engagé le comité départemental du tourisme de la Seine-Saint-Denis, a ainsi permis de promouvoir le patrimoine industriel du département. « La Seine-Saint-Denis dispose d’atouts économiques importants mais c’est un petit territoire, souvent stigmatisé. Cette image négative nuit aux entreprises et, dans un tel contexte, leurs dirigeants ont rapidement compris l’intérêt d’adhérer à ce projet et d’ouvrir leurs portes aux visiteurs », précise Luc Fauchois, président d’Entreprise et Découverte. Un programme de visites annuelles, avec de petits groupes de visiteurs a été mis en place suivant un calendrier établi par les entreprises. Le projet, qui séduit par sa simplicité – pas de moyens particuliers à déployer si ce n’est un salarié détaché pour faire découvrir son quotidien – est un succès : 500 visites en deux ans, et des retombées de presse positives, qui évoquent la Seine-Saint-Denis en terme de savoir-faire. D’où le double-sens qui se cache derrière le nom de ce projet, évoquant à la fois le travail que l’on montre et la fierté qui en découle – fierté d’appartenir à un territoire où l’on fait vivre de beaux savoir-faire.
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