Galeries, centres d’art, fonds régionaux d’art contemporain, espaces photographiques : ces lieux ont été les premiers à rouvrir après le confinement, faisant la preuve de leur facilité d’adaptation aux conditions actuelles, et comblant, grâce à la richesse de leur offre, les attentes d’un public impatient de renouer avec l’expérience singulière que constitue la rencontre avec l’œuvre d’art. Focus sur quatre d’entre eux.
La galerie Anne Barrault joue la carte de l’innovation et du collectif
Jochen Gerner – avec notamment une œuvre étonnante, proche du dessin automatique, présentant 80 pages du carnet que l’artiste a rempli pendant dix ans de conversations téléphoniques –, Neïla Czermak Ichti, Ramuntcho Matta, Manuela Marques, David Renaud, Stéphanie Saadé : six artistes sont à l’honneur de « Be my Guest (1) », l’exposition collective présentée jusqu’au 27 juin (un second volet lui succédera en juillet) par la galerie Anne Barrault située en plein cœur du quartier du Marais, à Paris.
Une exposition directement issue du confinement : « Ce moment de repli, alors que toutes les foires, de même que de nombreuses expositions, sont annulées, est pour nous l’occasion de rassembler un certain nombre d’œuvres que nous n’avions pas eu la chance de montrer à Paris », explique Anne Barrault. « Par ailleurs, j’aimais cette idée de souligner l’interdépendance entre les musées, les centres d’art, et les galeries. On ne peut pas vivre les uns sans les autres. Un musée peut inviter un artiste à réaliser une œuvre qui ensuite sera présentée dans une galerie. Inversement, nous pouvons aider un artiste à produire une œuvre qui sera ensuite prêtée à un musée ».
J’ai voulu souligner l’interdépendance entre les musées, les centres d’art et les galeries. On ne peut pas vivre les uns sans les autres
L’organisation de cette exposition se conjugue avec une autre initiative tout aussi déterminante dans ce contexte particulier : l'ouverture un dimanche par mois d'une cinquantaine de galeries du Marais. Il ne s’agit pas d’une nouveauté pour la galerie Anne Barrault, qui avec son homologue Polaris, en a été l’instigatrice avant la crise sanitaire : « L’ouverture le dimanche, j’y tiens depuis longtemps. Beaucoup de gens sont débordés dans la semaine. C’est le seul moment où ils vont pouvoir venir. Et de notre côté, nous avons un temps précieux à consacrer à nos visiteurs, à parler des artistes et de leur travail ». Depuis la sortie du confinement, l’initiative engrange de nouveaux adeptes. Si l’annulation des foires y est certainement pour beaucoup, il y a aussi à cela une autre raison : le lancement de l’application Marais.guide à l’initiative de la galerie Madga Danysz.
« L’application est dédiée au quartier du Marais en même temps qu’à l’ouverture le dimanche. L’idée, c’est que les gens, au premier coup d’œil, puissent voir quelles sont les galeries ouvertes. Pour l’ouverture du 14 juin, une cinquantaine de galeries ont dit oui. Il y avait une urgence. Je fais le parallèle avec les libraires. Eux aussi ont aussi dû ouvrir le dimanche pour continuer à exister. L’application permet par ailleurs de solliciter un rendez-vous individuel. C’est une idée que l’on a eue pendant le confinement, il fallait que les gens se sentent en sécurité ». Autre atout : la visite dans une galerie, où les flux de visiteurs s’échelonnent régulièrement tout au long de la journée, est tout à fait compatible avec les gestes barrière.
Le bilan est plus que satisfaisant : « On a compté entre 50 et 200 visiteurs par galerie au mois de mai. Par ailleurs, l’application permet la géolocalisation et propose des parcours. Un visiteur qui sort d’une galerie peut tout de suite voir quelles sont celles qui sont ouvertes à proximité ». Un succès qui réjouit la galeriste qui sait « la difficulté à faire venir un public réticent à entrer dans un lieu souvent perçu comme fermé, élitiste, et dédié uniquement à la vente ». Une galerie, c’est pourtant bien d’autres choses, et avant tout la découverte : « Il n’y a peut-être que 10% des visiteurs qui achètent. Les autres sont des amateurs qui viennent découvrir les expositions ». Du côté du public, indépendamment des ventes qui dans les prochains mois seront un sujet de préoccupation majeur, tous les voyants sont au vert.
Le Frac Normandie table sur la dynamique des réseaux régionaux
Du côté des structures publiques, c’est le même appétit à accueillir à nouveau les visiteurs. « Au Frac Normandie, nous avons été rapides puisque nous recevons de nouveau du public depuis le 3 juin, mais le FRAC Auvergne, qui a rouvert ses portes, dès le 12 mai, l’a été encore plus ! », souligne Véronique Souben, directrice du Fonds régional d’art contemporain Normandie-Rouen. Une façon de rendre hommage à ses collègues de Clermont-Ferrand autant qu’à l’association Platform, qui regroupe les Fonds régionaux d’art contemporain.
La dynamique collective a en effet joué à plein pendant le confinement. « Le partage de connaissances a été rapide, encore accru du fait de l’efficacité de notre outil de communication partagé, qui permet aux différents réseaux dans chaque Frac – communication, équipes pédagogiques, administrateurs – de communiquer entre eux et d’échanger directement sur les questions communes. Cela a très bien fonctionné. Nous avons été rapidement informés sur les mesures à prendre ». Ne restait plus qu’à l’équipe du Frac « parfaitement efficace et concentrée sur le projet » de s’atteler concrètement à l’ouverture. « Pour un Frac de taille moyenne comme le nôtre, programmer une réouverture est plus simple », reconnaît Véronique Souben, « Dès que nous avons su que nous pouvions rouvrir, nous avons été rapides sur la commande des plexiglas et des produits. Cela se bousculait dans tous les sens au niveau des entreprises pour être livrés, mais nous y sommes arrivés. Nous avons ensuite fait passer les protocoles auprès de toute l’équipe ».
Il n’y a pas tant de lieux d’exposition que cela pour les artistes contemporains
Coté programmation, il n’y a pas eu d’hésitation, la décision a été immédiatement prise de prolonger l’exposition monographique, la première en France, consacrée à l’artiste portugais Diogo Pimentao commencée en janvier, avec notamment le soutien de la Fondation Gulbenkian. Cette exposition a été « stoppée en plein vol » à cause du confinement. Et si la performance qui y était associée ne pourra pas avoir lieu, le projet de publication qui avait dû être arrêté, va, lui, pouvoir redémarrer. « Nous pourrons ainsi faire un événement autour de la sortie du catalogue et prolonger les visites. Pour l’artiste, cette situation était cruelle, c’était sa première grande exposition rétrospective en France. Il n’y a pas tant de lieux d’exposition que cela pour les artistes contemporains ». La décision était d’autant plus facile à prendre qu’il était prématuré d’organiser l’exposition suivante « Normandie impressionnistes », « une exposition de groupe ambitieuse, avec beaucoup d’œuvres venues de l’extérieur, notamment de Grande-Bretagne et d’Allemagne pour lesquelles il faudra observer des jours de mise en quarantaine obligatoire ».
Même si Véronique Souben concède que la reprise est encore modeste, « on voit bien que la priorité pour les gens, c’est d’être dehors, au grand air », la fréquentation du Frac va en augmentant depuis la réouverture. Et l’équipe, qui est d’ores et déjà fortement mobilisée autour de l’organisation de la prochaine exposition, « attend que les règles s’assouplissent encore » pour organiser précisément la suite. Rendez-vous au 22 juin, donc.
Le Centre d’art et du paysage de Vassivière mise sur une démarche alternative
Comment déconfiner un centre d’art aussi atypique que celui de Vassivière, qui se trouve sur une île située dans un écrin de verdure de près de 80 hectares, aux confins de la Creuse et de la Haute-Vienne ? Pour résoudre cette équation, Marianne Lanavère, directrice du centre international d’art et du paysage de Vassivière a une réponse : présenter une approche globale. « Quand nous avons rouvert le 2 juin, cela faisait un mois que nous avions commencé à réfléchir à un protocole de reprise d’activité pour l’équipe, le public mais aussi les artistes et les chercheurs que nous accueillons en résidence », indique-t-elle. « Les mémos du ministère de la Culture ainsi que la circulation rapide de l’information au sein du réseau d.c.a, l’association française de développement des centres d’art contemporain auquel nous appartenons, ont été, à cet égard, très précieux ».
L’art est quelque chose de mystérieux, qui relève de la poésie, de formes de langage un peu secrètes, toutes choses que l’on revendique alors que les logiques actuelles nous poussent à l'opposé de ces valeurs
A la veille de l’ouverture, l’équipe du centre d’art a poussé le professionnalisme jusqu’à faire une simulation sur place. « Une partie jouait les guides d’accueil, une autre les visiteurs » poursuit Marianne Lanavère. Des visiteurs qui, en l’occurrence, se répartissent entre « grand public les samedis et dimanches, et petits groupes de moins de dix personnes sur rendez-vous les autres jours de la semaine ». Et qui sont au maximum quatre par salles, portent obligatoirement un masque et trouvent du gel hydroalcoolique dès qu’ils franchissent une porte. Bilan au bout d’une dizaine de jours : « Le premier week-end, nous avons eu du monde en continu et nous nous attendons à une fréquentation importante cet été », se réjouit Marianne Lanavère, en ajoutant : « Les petits centres d’art ont en commun d’avoir cette qualité d’accueil. Dans cette période de déconfinement, nous sommes au cœur de nos missions : accueillir peu de visiteurs, mais de façon la plus optimale possible ».
La période du confinement a aussi été un moment d’intense réflexion au sein de l’équipe dont Marianne Lanavère souhaite aujourd’hui tirer toutes les conséquences. « Comment traduit-on cette nécessité de ralentir que l’on entend partout ? », interroge-t-elle, en insistant sur la particularité de ce « lieu atypique », particulièrement prisé des adeptes du tourisme vert autant que « des vacanciers qui n’ont pas les moyens d’aller à la mer, de trentenaires en quête de mode de vie alternatifs, et de citadins se posant la question de déménager ». « Dans un milieu de l’art contemporain très international, reprend-elle, comment peut-on à la fois renforcer les liens locaux tout en restant ouvert à d’autres mondes sans être en capacité de voyager tout de suite ? Comment peut-on travailler de manière écologique ? Autrement dit, privilégier la qualité à la quantité ? »
« Il y a aussi ce besoin de se reconcentrer sur l’expérience qu’est la découverte de l’œuvre d’art, reprend Marianne Lanavère. On touche à des questions de perception, de médiation, à une certaine forme d’opacité, au fait que l’art est quelque chose de mystérieux, qui relève de la poésie, de formes de langage un peu secrètes, toutes choses que l’on revendique alors que les logiques actuelles nous poussent à l'opposé de ces valeurs ». Premier cas concret de cette démarche vertueuse : après avoir obtenu la garantie que le versement de la subvention de la DRAC de Nouvelle-Aquitaine se ferait en une seule fois, Vassivière a « contribué à faire vivre tout un milieu, non seulement les artistes que l’on s’est engagé à rémunérer même si le projet n’était pas finalisé, mais aussi, toutes les professions indépendantes autour qui sont peu structurées ».
Le Jeu de Paume – Château de Tours promet rencontres festives et animations conviviales
Fruit d'un fructueux – et original – partenariat entre le Jeu de Paume, institution parisienne de référence pour la diffusion de l'image contemporaine, et le Château de Tours, qui accueille des expositions dédiées à l'ensemble des champs de la création, le site du Jeu de Paume – Château de Tours a rouvert ses portes le 3 juin. Le déconfinement très attendu de ce lieu consacré au patrimoine photographique a permis de poursuivre une exposition dédiée à l'un des fleurons de la photographie humaniste d'après-guerre : René-Jacques, connu notamment pour ses clichés iconiques des plus grandes stars de cinéma – Jean Gabin et Michèle Morgan enlacés cheveux aux vents sur la plage, c'est lui. « Il a contribué à façonner l'imaginaire des Français mettant son exigence et son talent au service d'une certaine représentation des Trente Glorieuses », souligne Hélène Jagot, la directrice des musées Château de Tours.
Cette rétrospective, qui a déjà remporté un vif succès en rassemblant, avant le confinement, plus de 11 000 visiteurs, annonce « d'autres beaux projets d'expositions ». « Ces derniers n'ont pas encore eu le temps de trouver leur public et la réouverture va nous permettre de leur donner une chance », explique Hélène Jagot. C'est aussi l'occasion, selon la directrice des musées – Châteaux de Tours, d'offrir aux citoyens un accès à une vie culturelle, qui demeure, aujourd'hui encore, fortement restreinte. « Le cinéma, le théâtre, le spectacle vivant n'ayant pas encore repris, les musées sont pour l'instant l'un des principaux moyens de béneficier de cette nourriture spirituelle essentielle », estime-t-elle.
En rouvrant en même temps que les cafés et les restaurants, le Jeu de Paume – Château de Tours participe à une normalisation progressive de la vie publique
Depuis le 3 juin, le site a accueilli environ une centaine de visiteurs par semaine. La reprise se fait donc en douceur, ce qui correspond aux prévisions de la directrice et de ses équipes. « En rouvrant en même temps que les cafés et les restaurants, nous participons à une normalisation progressive de la vie publique », fait valoir Hélène Jagot, pour qui l'étape décisive demeure le début de la saison estivale. « C'est à ce moment-là que l'on saura réellement si le public revient. Il sera sans doute composé davantage de locaux qu’à l’ordinaire, faute de visiteurs étrangers en Touraine », analyse-t-elle.
Le Château de Tours a pris le parti de continuer à proposer des visites guidées : leur fréquence a été doublée, pour un nombre de participants réduit de moitié. Un choix assumé, en accord avec les attentes des publics. « Il y a une véritable demande d'accompagnement de la part des visiteurs du Jeu de Paume, c'est important pour nous d'y répondre. La valorisation de la photographie à caractère historique constitue notre cœur de mission, et la médiation culturelle fait partie de l'ADN du Château de Tours », souligne Hélène Jagot.
Si globalement la reprise se déroule sans heurts – le public est désormais sensibilisé aux exigences sanitaires qui sous-tendent le bon déroulement des visites – l'équipe du Château de Tours n'en attend pas moins avec impatience de pouvoir proposer « quelque chose de plus festif et convivial » et se prépare à reprogrammer des conférences ou à concevoir de nouvelles animations adaptées aux jeunes publics.
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