Depuis sa création en 1936, la Cinémathèque française défend une approche résolument culturelle du cinéma. En quoi cette approche se distingue-t-elle de la « consommation » d’images qui est l’un des marqueurs de notre époque ?
La Cinémathèque française est, comme vous l’avez souligné, tout le contraire d’un lieu de « consommation » d’images. Et cela pour plusieurs raisons. D'abord, parce que le cinéma, c’est, au delà de l’image, une forme d’écriture - une écriture visuelle et, souvent, une façon de raconter une histoire en images. Cette dimension est essentielle pour comprendre notre approche. Ensuite, parce que notre travail consiste à préserver et à faire connaître le patrimoine cinématographique.
A la fin des années 1920, avec l’apparition du parlant, les films muets sont tombés en désuétude. C’est ce patrimoine qu’Henri Langlois et les fondateurs de la Cinémathèque française ont d’abord cherché à préserver. Aujourd’hui, il nous reste un cinquième de la production cinématographique de 1895 - 1930. Tout le reste a été définitivement perdu. Les exceptions sont notables : les films de Charlie Chaplin, par exemple, ont perduré en raison de leur succès commercial.
Parmi les trésors de la Cinémathèque, on trouve en effet une précieuse collection de films muets, pour lesquels vous menez une politique très active de restauration. Comment oeuvrez-vous à la transmission de ce patrimoine à un public élargi ?
C’est une question essentielle, et elle ne se pose pas uniquement pour les films muets puisque désormais le Centre national du cinéma et de l’image (CNC) considère que tous les films antérieurs à l’an 2000 sont des films de patrimoine. Pour notre part, nous considérons qu’un film reste le contemporain des spectateurs qui le regardent. Le festival “Toute la mémoire du monde” est l’un des moyens pour nous de rendre contemporain du public d’aujourd’hui - et en particulier du jeune public - ce patrimoine cinématographique restauré.
La mission cardinale de la Cinémathèque, c’est de montrer inlassablement l’oeuvre des grands auteurs, des années 1910 à nos jours, pour prouver que leurs films ne sont pas de “vieux films”. Cette notion de “vieux films” est détestable : quand vous lisez un livre de Balzac vous ne dites pas que vous lisez un vieux livre ! De même, quand on est face à un film de Jean Renoir on ne regarde pas un vieux film, on regarde un film, et c’est la preuve qu’il est toujours notre contemporain.
Un film reste le contemporain de ceux qui le regardent
L’offre de la Cinémathèque sur internet met en lumière des contenus numériques spécifiques, orientés vers le grand mais aussi, c’est très important, vers le jeune public. Dans quel esprit avez-vous conçu cette offre ?
L’histoire du cinéma, avec ses 125 ans d’existence et ses dizaines de milliers de films, est désormais substantielle et diverse. Nous déployons des trésors de pédagogie pour rendre accessible cette profondeur historique au jeune public. Comment expliquer à des enfants que le cinéma a été muet ? En noir et blanc ? Ce qui est évident pour nous ne l’est pas forcement pour les plus jeunes générations. D’où l’importance de notre travail de transmission. Notre offre numérique, qui s’appuie sur une action pédagogique essentiellement orale, remporte, en ces temps où les Français n’ont accès ni à la Cinémathèque ni aux cinémas, un succès encore plus vif que d’habitude.
En cette période de confinement, la Cinémathèque française poursuit donc l’une de ses missions essentielles : faire découvrir à un large public les richesses de ses collections sur le patrimoine cinématographique mondial. Quels contenus proposez-vous à l’occasion de l’opération #culturecheznous ?
Dans la rubrique “Découvrir”, le public peut retrouver une offre originale, soit près de 800 vidéos, dont des leçons de cinéma avec des personnalités emblématiques du 7e art, et plus de 500 articles. A cela, s’ajoute une cinquantaine de contenus spécifiquement numériques développés par nos équipes, qui mettent en perspective notre fonds particulièrement riche de costumes, de décors, d’affiches, de scénarios, etc.
Autre offre inédite : nous allons proposer chaque jour, à partir du jeudi 9 avril, des films rares que nous avons restauré lors des vingt dernières années et dont nous sommes les ayant-droits. Le nombre de ces films restera limité, bien sûr, car nous ne sommes pas propriétaires de la grande majorité des œuvres que nous conservons, mais je suis sûr que le public sera au rendez-vous de cette nouvelle plateforme baptisée Henri, clin d’œil à Henri Langlois, le père fondateur de la Cinémathèque. Et pour commencer en beauté, nous proposons un chef d’œuvre de 1928 signé Jean Epstein d'après une nouvelle d'Edgar Poe : La chute de la maison Usher.
La Cinémathèque française au service des auteurs
« Les rétrospectives, très complètes, que nous organisons régulièrement - à l’instar de celle dédiée à Jean-Luc Godard en début d’année - nous permettent de montrer l’intégralité des oeuvres d’un auteur, dans des conditions optimales. On a tendance à penser que tous les films sont disponibles sur internet ou existent en DVD, mais c’est absolument faux. Si on veut continuer à les faire vivre, il faut faire un geste de programmation : c’est le rôle de la cinémathèque qui cherche, avec ses rétrospectives intégrales et ses grandes expositions, à aller un peu plus loin avec l’oeuvre d’auteurs qui ne sont pas forcément aussi connus qu’on le croit. Louis de Funès en est un très bon exemple. Une grande exposition qui aurait dû débuter le 1er avril dernier, s’apprêtait à montrer comment ce clown génial est devenu l’auteur - et l'élément le plus intéressant - des films dans lesquels il a joué »
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