Présenter tous les aspects de l’accessibilité dans l’enseignement artistique, c’est l’objectif du sixième numéro des Guides pratiques de l’accessibilité, paru en novembre 2020. Publiée depuis 2007 par le ministère de la Culture, cette collection a l’ambition de couvrir tous les champs du secteur culturel.
Ces guides sont conçus et rédigés en collaboration avec les professionnels. Ils présentent une méthodologie et ils intègrent des retours d’expérience susceptibles de faire évoluer leurs pratiques, autant de références précieuses dans l’élaboration de stratégies d’accessibilité adaptées. Thierry Jopeck, haut fonctionnaire en charge du handicap et de l’inclusion, revient sur cette initiative originale.
La publication récente du Guide pratique sur l’accessibilité dans l’enseignement artistique complète une collection qui couvre, depuis son lancement en 2007, la plupart des activités culturelles. En quoi ces guides constituent-ils un jalon important de la politique inclusive que mène le ministère de la Culture en faveur des personnes en situation de handicap ?
Thierry Jopeck: La publication de ces guides s’inscrit dans une entreprise de longue durée. Il s’agit d’objets éditoriaux complexes dont la conception répond à trois grandes obligations : informer, accompagner, transformer.
Informer le public des situations de handicap, identifier et comprendre les difficultés des personnes qui vivent ces situations, les confronter aux adaptations et aux initiatives que conçoivent nos services et nos établissements pour les accueillir.
Accompagner, c’est-à-dire poser les questions appropriées et faire des recommandations. Quelles approches choisir pour traiter les problématiques spécifiques de chaque secteur culturel ? Quelles sont les pistes de réflexion et d’action qui permette de construire un parcours de visite, un parcours pédagogique, une accessibilité universelle ?
Enfin transformer les regards, changer les manières de s’y prendre, fonder chez tous les acteurs culturels de notre ministère, et au-delà, une conviction, celle que l’inclusion de personnes en situation de handicap au sein du domaine culturel, comme partout ailleurs dans notre société, est une exigence non négociable.
Une inclusion universelle suppose que les acteurs culturels enrichissent leurs compétences.
L’une des originalités de ces guides est qu’ils sont élaborés en étroite concertation avec des structures – associations ou collectivités publiques – particulièrement investies dans l’accessibilité. Pourquoi ce travail de terrain est-il si important à vos yeux ?
T.J. : Par ces guides, le ministère de la culture s’est imposé d’abord un exercice d’humilité salutaire ! Une administration qui n’avait pas ou peu jusqu’ici traité la question du handicap concrètement, de même que des agents qui pouvaient n’avoir jamais connu, ressenti ni éprouvé le handicap, isolés et sans expérience, n’avaient aucune chance de concevoir et mettre en œuvre une accessibilité universelle. Dans nos domaines culturels, les attentes à cet égard, en effet, sont singulières, nombreuses, diverses.
Par exemple, dans le cadre de l’enseignement artistique qui fait l’objet du dernier guide paru, une structure d’accueil et de formation doit faire l’effort de conduire sa réflexion au-delà de la seule vision pédagogique. Cette ouverture n’est pas naturelle puisqu’elle signifie pour les équipes d’aller au-delà de leurs compétences (l’enseignement de la musique, de la danse, de l’art dramatique).
Cet effort suppose d’accepter un renversement lié à la situation de handicap : dans cette situation, en effet, l’élève ou l’étudiant ne peut pas trouver seul les moyens de son inclusion. C’est à la structure d’accueil qu’il appartient de rechercher les modalités d’adaptation de son enseignement pour l’aider à la réussir le mieux possible.
Dans les autres secteurs culturels comme les parcours de visite d’expositions, le spectacle vivant, etc., la nécessité de l’inclusion commande des efforts semblables.
C’est pourquoi nul travail sérieux à cet égard ne peut s’envisager sans l’expérience des associations. Leur capacité d’expertise et leur force de propositions sont indispensables. Leur identification des obstacles, leur analyse des besoins, le dialogue qu’elles entretiennent avec les établissements sont irremplaçables pour concevoir un guide efficace.
C’est donc ce rôle essentiel d’expert, de conseil et de concepteur que l’association Musiques et Situations de Handicap a joué dans l’édition de Pour un enseignement artistique accessible, danse, musique, théâtre, guide pratique. Les travaux de cette association garantissent la légitimité des propositions que le guide contient.
Aujourd’hui, l’inclusion des personnes en situation de handicap et l’éducation artistique constituent deux des défis majeurs auxquels sont confrontées les politiques culturelles. La publication de ce guide souligne ces deux enjeux, est-ce un signal favorable ?
T.J. : Pour assurer l’accessibilité universelle dans l’enseignement artistique, il reste beaucoup à faire en terme d’approche et de méthode mais aussi de moyens. Qu’il s’agisse des établissements d’enseignement supérieur sous tutelle du ministère ou des écoles de tous niveaux qui irriguent les territoires.
Il ne s’agit pas seulement de l’accessibilité physique des bâtiments. Il faut rendre possible l’accessibilité à la totalité des parcours pédagogiques. Cela demande de prendre en compte les adaptations indispensables à l’accueil et l’accompagnement des élèves et étudiants en situation de handicap. Il faut aussi sensibiliser le corps enseignant et les personnels, mais aussi les autres élèves et étudiants. Chacun doit prendre conscience de sa participation effective à la construction d’un établissement inclusif.
Ce guide souligne certes l’importance que le ministère accorde à ces sujets mais il montre bien davantage : avec la collection complète de ces ouvrages, il est le témoin d’une politique volontariste.
Le développement d’une culture inclusive est un impératif dont le ministère a complètement pris la mesure aujourd’hui. La collection des guides y contribue et entre dans la cohérence de l’ensemble des actions qui sont déjà menées et dont le déploiement va se poursuivre.
Accessibilité : des guides de référence
« Partir des capacités des personnes en situation de handicap plutôt que de leurs déficiences » : telle est, selon Sandrine Sophys-Véret, chargée de mission au ministère de la Culture, en charge de la coordination éditoriale de la collection entre 2007 et 2019, la philosophie qui préside à l’élaboration de ces guides qui entendent montrer comment l’accessibilité peut passer, dans le domaine de la culture, d’une idée générale à une réalisation concrète.
« Pour le guide sur les expositions, poursuit-elle, nous avons par exemple travaillé avec le metteur en lumière du parcours muséographique du musée de l’Homme. Quand on lui parlait éblouissement, ou bien quand on faisait valoir que la lumière aide à un parcours sécurisé, il était très intéressé. Les problématiques du handicap, qu’il découvrait, venaient l’interroger au cœur même de sa pratique. L’accessibilité engage ainsi chaque profession à réfléchir ses propres fondamentaux. »
Référence des professionnels sur le terrain, l’édition en ligne de ces guides est doublée d’une version imprimée (« que les gens en poste peuvent manipuler et garder à disposition sur leur bureau »), disponible sur demande dans les DRAC, auprès du référent handicap, ainsi qu’au ministère. « Chaque édition imprimée a fait l’objet d’un envoi vers les fédérations et les associations professionnelles concernées. Côté ministère, il a été diffusé dans les musées de France et dans l’ensemble des établissements publics. Ainsi que dans le cadre de grands événements comme la réunion des professionnels du cinéma à Deauville. »
Le succès de ces guides a très vite dépassé les frontières : « Nous recevons des demandes de l’étranger : Japon, Suisse, Allemagne, pays du Maghreb. L’Institut national du patrimoine a monté une formation spécifique à partir du guide Expositions et parcours de visite. Les demandes des écoles et des universités montrent qu’une nouvelle génération s’intéresse à ces questions en termes de politique culturelle. »
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