Eva Gonzalès-Guérard (Paris, 1849 – Paris, 1883) et Jeanne Gonzalès-Guérard (Paris, 1856 - Vicq-sur-Nahon, 1924).
Eva Guérard naît à Paris. Son père est homme de lettres, ami de Zola, et président perpétuel de la Société des gens de lettres. Sa mère est Wallone et musicienne. En 1866, elle entre dans l’atelier de Chaplin. Ce portraitiste mondain, spécialiste des nudités un peu mièvres, aura également pour élèves Louise Abbema, Mary Cassatt et Madeleine Lemaire. A la fin de l’année 1869, Alfred Stevens (1823-1906) lui présente Édouard Manet, dont elle devient l’élève et le modèle. Pendant la guerre de 1870, Manet lui écrit : « entre toutes les privations que nous impose le siège, c’est certainement au premier rang que je place celle de ne plus vous voir ». L’attirance de Manet pour E. Gonzalès irrite Madame Morisot mère, qui ironise : « en voilà une qui est ravissante de tous points, et une éducation ! une tenue ! ». Quoi qu’il en soit, le charme d’E. Gonzalès semble frapper plusieurs de ceux qui la côtoient : « Très jolie femme » selon Antonin Proust (1832-1905), « Beauté à la fois enfantine et exquise […] De longs sourcils droits, étroits, protègent de grands yeux, très ouverts, chercheurs, curieux, pénétrants » écrit Banville (1823-1891), qui lui dédie le dernier de ses Camées parisiens, en 1872. Stevens peint son portrait en 1879 (Sarasota, Ringling Museum of Art).
Elle expose au Salon à partir de 1870. En 1871, elle se dit élève de Charles Chaplin (1825-1891). Elle fait partie du Salon des refusés, en 1873, comme « élève de MM. Chaplin et Manet », et c’est sous ce titre qu’elle participe désormais au Salon. Faisant allusion à cette recommandation, Manet lui écrit, en 1880 : « Les feuilles sont tous les jours pleines de votre éloge, permettez-moi de m’en réjouir aussi, puisque vous avez bien voulu me demander quelquefois conseil mais il semble que le succès que vous méritez depuis longtemps s’affirme cette année. Quel malheur que vous ne soyez pas recommandée de quelque Bonnat ou de quelques Cabanel. Vous avez eu trop de courage et cela comme la vertu, c‘est rarement récompensé… ».
En 1879, elle épouse Henri Guérard (1846-1897), fondateur, avec Félix Bracquemond (1833-1914), de la Société des peintres graveurs, et graveur attitré de Manet. Les témoins du mariage sont l’éditeur Edouard Dentu (1830-1884), « libraire officiel de la Société des gens de lettres », le docteur Paul Gachet (1828-1909), proche de Cézanne, de Pissarro et qui hébergera Van Gogh à Auvers-sur-Oise, Philippe Jourde (1816-1905), directeur du journal le Siècle (qui offrira un portrait de femme par Eva Gonzalès au musée des beaux-arts de Marseille, en 1902) et Manet. Le 19 avril 1883, elle donne naissance à un fils, Jean-Raymond, qui deviendra peintre et décorateur de théâtre. Elle meurt d’une embolie, le 6 mai, quelques jours après avoir appris la mort de Manet. La légende veut que, au moment de son décès, elle ait été en train de tresser une couronne de fleurs à la mémoire de Manet, décédé trois jours plus tôt. Madame Manet mère écrit : « Berthe [Morisot] et Eugène [Manet] sont allés voir ce pauvre Gonzalès qui est bien accablé. La pauvre Eva était couverte de fleurs. Elle en avait dans ses cheveux, dans ses mains et son pauvre visage devenu couleur de cire était encore beau malgré cette altération ».
Une rétrospective de quatre-vingt-huit toiles, pastels et aquarelles est organisée en 1885 par Henri Guérard, Emmanuel Gonzalès et Léon Leenhoff (1852-1927), le « neveu » de Manet, ce qui témoigne de l’intimité entre les deux familles. A cette occasion, Octave Mirbeau publie un long article dans La France, où il présente E. Gonzalès comme « la meilleure élève » de Manet, mais aussi comme sa fidèle disciple : « elle avait partagé la sorte de haine stupide qui atteignait Manet. Bien que son talent se fut en quelque sorte dégagé des abstractions dont Manet aimait à entourer le sien, et qu’elle n’eût gardé des leçons du maître que l’élégance, le charme et la douce musicalité, elle fut vivement attaquée et son caractère de femme ne la préserva pas toujours des insultes de certains critiques. Loin d’en souffrir, elle s’en montrait fière, car c’était une vaillante artiste et une croyante ».
Jeanne, la sœur cadette d’Eva, qui avait souvent posé pour Eva, prend en charge le bébé de la défunte. En 1888, elle épouse à son tour Henri Guérard. Jeanne ayant accompagné sa sœur aînée chez Manet, elle avait aussi bénéficié des leçons de ce dernier, comme en témoigne Huysmans, lors du Salon de 1880 : « Les seuls essais autrefois osées furent ceux de M. Manet, qui a enlevé des fleurs dans la vraie lumière. Une tentative encore, est l’œuvre d’une de ses élèves, Mlle Jeanne Gonzalès qui expose des pots de géraniums, en un jardin. Mal placée, dans le coin d’un corridor, cette œuvre surprend par sa clarté ». Jeanne Gonzalès expose au Salon à partir de 1878, mais sans indication de maître. Toutefois, à partir de 1887, elle se présentera comme « Élève de Mme Eva Gonzalès ». Après son mariage avec Guérard, elle expose sous le nom de « Mme Jeanne Gonzalès » De 1892 à 1894, elle rejoint la Société nationale des beaux-arts, dissidente. Elle expose également avec les XX, à Bruxelles. Certaines œuvres d’Eva et de Jeanne, exécutées au cours des années 1870, sont de facture extrêmement proche. Marie-Caroline de Sainsaulieu a pu identifier une œuvre de Jeanne, sous la signature d’Eva.
En 1885, lors de la vente posthume de l’atelier d’E. Gonzalès, l’Etat achète L'Entrée du jardin (1871-1872), déposé l’année suivante au musée Bossuet à Meaux. En 1927, Jean Guérard, le fils de l’artiste, donne à l’État Une loge aux Italiens(Paris, musée d'Orsay). Ce tableau, qui représente Jeanne Gonzalès et Henri Guérard, qu’Eva épousera cinq ans plus tard, est refusé par le jury du Salon 1878. Jules Claretie (1840-1913), écrit à Emmanuel Gonzalès : « Le refus de ce tableau n’est explicable que par la manetophagie qui s’est emparée du jury ». L’année suivante, Eva Gonzalès soumet de nouveau son tableau au jury du Salon. Cette fois il est accepté. Dans son compte rendu de ce Salon, Huysmans épargne peu de monde, pourtant : « il serait vraiment temps de s’occuper d’œuvres sérieuses ; arrivons donc, au plus vite, devant la Loge aux Italiens, de Mme Eva Gonzalès. Cette artiste nous représente, dans la cage rouge d’une loge, un monsieur et une dame. C’est un peu boueux et c’est d’une couleur triste, mais il y a des parties excellentes. La pose des personnages est naturelle, et puis c’est intrépidement peint. Cette toile, dérivé des Manet, a une certaine saveur amère et rêche qui nous console des écœurantes sucreries auxquelles nous venons de goûter. C’est, en somme, une œuvre qui, malgré sa teinte déplaisante, possède une belle tournure ».
Laurent Manoeuvre
Sélection d'oeuvres d'Eva Gonzalès-Guérard sur la base Joconde Pop
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