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Berenice Abbott (Springfield, 1898 - Monson, 1991)

Elle nait à Springfield aux États-Unis. Après des études de journalisme inachevées, elle étudie la sculpture à New York en 1918. Fréquentant les artistes de Greenwich village, elle rencontre Marcel Duchamp (1887-1968) et Man Ray (1890-1976) avant de se rendre à Paris pour parfaire son apprentissage. Elève à l'atelier d'Antoine Bourdelle (1861-1929), elle s'installe ensuite à Berlin pour suivre les cours de la Kunstschule. De retour à Paris, elle devient entre 1923 et 1925 l'assistante de Man Ray, dont la réputation est bien établie, en commençant par apprendre les techniques du tirage en laboratoire. Suivant ses encouragements, elle passe à la prise de vue. Réalisant d'abord des portraits d'amis, elle élargit sa clientèle et est désormais en mesure de rembourser les fournitures à Man Ray. Lorsque la vente de ses tirages dépasse son salaire d'assistante et que ce début de succès porte ombrage à Man Ray, leur collaboration s'achève. Elle s'installe alors dans un modeste studio où se rendent de nombreux artistes et écrivains, dont elle réalise le portrait (Jean Cocteau, André Maurois, André Gide). Sa première exposition présentée à la galerie Au Sacre du Printemps, en juin 1926, reçoit un bel accueil de la critique.

Berenice Abbott, Eugène Atget, 1927, Paris, Centre Pompidou, MNAM-CCI

C'est par l'entremise de Man Ray que Berenice Abbott découvre le travail d'Eugène Atget installé rue Campagne Première. Elle fait son portrait quelques mois avant sa mort en 1927. Consciente de l'œuvre qu'il laisse derrière lui, Berenice Abbott achète ses archives et s'attache, durant les quarante années à venir, à les valoriser. Profondément marquée par ce travail construit artisanalement selon une approche documentaire novatrice, elle s'en inspire pour photographier New-York à son retour aux États-Unis, en 1929. L'ouverture de son studio new-yorkais ne suscite pas le même intérêt qu'à Paris et elle peine à trouver une clientèle. Sa situation financière se dégrade au point qu'elle cède 50% de ses droits sur la collection d'Eugène Atget au galeriste Julien Levy. Décision dont elle gardera toute sa vie un goût amer. Comme Paris du temps d'Atget, New York subit au début des années 1930 de grandes transformations architecturales qu'elle souhaite enregistrer. Enseignant à la New York Social Research à partir de 1935 - poste qu'elle occupe jusqu'en 1958 - elle travaille pendant six ans sur ce projet avant de pouvoir bénéficier de l'appui financier du Federal Arts project (FAP), organe destiné à venir en aide aux artistes.

Berenice Abbott, Bourse de New-York, 1933, Commerce Graphics

Le projet connu sous le nom de  Changing New York associe également le musée de la ville. Berenice Abbott résume le projet en ces termes : « Le rythme de la métropole n'est ni celui de l'éternité, ni du temps qui passe, mais de l'instant qui disparait. C'est ce qui confère à son enregistrement une valeur documentaire autant qu'artistique ». Les vues d'architecture nécessitant un équipement particulier, elle achète une chambre Century Universal à laquelle elle apporte des perfectionnements. Elle sillonne la ville, repérant la meilleure saison ou le moment de la journée idéal pour ses prises de vue, dont la préparation est minutieuse. Pour accéder à certains points de vue, elle offre des pourboires aux gardiens d'immeubles. Le succès de l'exposition issue de ce projet, présentée en 1937, favorise la publication en 1939 d'un ouvrage du même nom, réalisé avec la critique d'art Elizabeth McCausland (1899-1965). Si le livre est un succès de librairie, la déception est grande pour les deux auteurs qui se sont heurtées aux conceptions classiques de l'éditeur. L'ouvrage, à visée commerciale, ressemble à un guide privilégiant une approche géographique plutôt qu'esthétique. Quant aux légendes, elles ont été réécrites et ont perdu leur caractère poétique. Berenice Abbott publie ensuite A Guide to Better Photography, manuel technique fouillé qui détaille l'ensemble de la chaine photographique, du matériel de prise de vue au tirage. À la dissolution du Federal Arts project en 1943, quelques 700 négatifs sont confiés au musée de la ville de New York où ils sont toujours conservés.

Berenice Abbott, Light through a prism, 1958, Paris, Centre Pompidou, MNAM-CCI

À sa pratique du portrait et des vues d'architecture s'ajoutent les expérimentations scientifiques auxquelles elle consacre deux décennies, avec cette réflexion comme point de départ : « Nous vivons dans un monde fondé sur la science, mais nous, les non-initiés, nous ne connaissons ni n'apprécions le savoir sur lequel repose notre quotidien ». Directrice artistique de la revue  Science Illustrated entre 1944 et 1945, elle est engagée au Massachussetts Institute of Technology à la fin des années 1950. Pour aider les chercheurs à illustrer des principes physiques dans un but pédagogique, elle produit des clichés d'une grande puissance formelle et d'une géométrie rigoureuse, comme Multiple Exposure of Bouncing Golf Ball (1958), Wave Pattern with Glass Plate (entre 1958 et 1961), Light through a prism (1958).

Poursuivant la valorisation de l'œuvre d'Atget, elle publie trois ouvrages en 1964, dont The World of Atget. Le fonds Atget est définitivement acquis par le Museum of Modern Art en 1968. Berenice Abbott meurt en 1992 à Monson dans le Maine.

Angelina Meslem

Vues de l'exposition et liste des oeuvres de l'exposition Berenice Abbott présentée au MoMA à New York du 10 décembre 1970 au 28 février 1971.

Bibliographie
Hank O'Neal, « Les passions de Berenice », Berenice Abbott , Paris, Photo Poche, 1995
Suzanna Calev, Lindsay Turley, Berenice Abbott's Changing New York papers , 1935-1938, Museum of the City of New York, 2013
Gaëlle Morel (dir.), Berenice Abbott (1898-1991). Photographies , catalogue de l'exposition du jeu de Paume, Paris, Hazan, Jeu de Paume, 2012