La grotte Cosquer, 30 années de recherches
Depuis 1991, date de son classement au titre des monuments historiques, le site est l'objet de recherches archéologiques et de relevés réguliers. Retour sur 30 ans d'investigations.
Déclarée en 1991, la grotte Cosquer présente plusieurs centaines d’entités graphiques gravées ou peintes (animaux, mains, signes, etc.). Fréquentée au moins de 32 500 ans cal BP à 19 000 ans cal BP, c’est-à-dire du début du Gravettien ancien jusqu’à la fin de l’Epigravettien ancien, la cavité a été partiellement noyée lors de la remontée du niveau marin post-glaciaire. Moins d’un quart de la cavité reste aujourd’hui exondé. En septembre 1991, la déclaration de découverte a fait suite à un triple accident mortel. Depuis la déclaration, plusieurs campagnes d’études et de travaux se sont succédés. L’équipe de la Direction Régionale des Affaires Culturelles de Provence-Alpes-Côte d’Azur (Ministère de la Culture) intervenant dans la cavité s’attache à la documenter au mieux dans ce contexte de travail contraint.
Il s’agit prioritairement de sauvegarder un maximum d’informations face à plusieurs aléas : l’élévation de la mer liée au réchauffement climatique, la pollution marine et la fragilité structurelle du site associée à une sismicité active.
Ce document présente le bilan des recherches menées par Michel Olive (DRAC PACA Service Régional de l'Archéologie ) et Luc Vanrell (IMMADRAS) au cours de ces 30 dernières années pour le Ministère de la Culture, Direction régionale des Affaires Culturelles de Provence-Alpes-Côte d’Azur.
La grotte Cosquer est située dans la commune de Marseille, sur le littoral du parc national des Calanques, entre les villes de Marseille au nord-ouest, d’Aubagne au nord-est et de Cassis à l’est. Elle se développe dans le massif calcaire du cap Morgiou, entre le mont Puget (563 m) et les monts de Marseilleveyre (432 m), au lieu-dit la pointe de la Voile.
Le cap Morgiou forme un long éperon rocheux recouvert d’une rare garrigue. Surplombant la mer de trois côtés et séparant les calanques de Sormiou et Morgiou, cette zone de falaises abruptes plongeant dans la mer regorge de cavités émergées ou sous-marines. L'entrée de la grotte est un étroit passage qui s’ouvre au pied de l’une de ces falaises escarpées par 37 m de profondeur. La grotte est en partie dans le domaine public maritime et se développe sous des parcelles appartenant à l’État qui en est le seul propriétaire.
La découverte
En juillet 1991, Henri Cosquer découvre les premières œuvres sans les déclarer (Cosquer 1993). Le 1er septembre 1991, trois touristes plongeurs accompagnés par un moniteur local pénètrent dans le siphon d’accès. Seul le moniteur survivra à cette plongée tragique. Il sera condamné pour homicide involontaire à trois ans de prison. Les corps des victimes sont récupérés le 2 septembre. Le 3 septembre, Henri Cosquer, contraint par ces événements dramatiques, déclare la grotte qui portera son nom. Ce triple accident mortel a démontré les difficultés et les risques liés à l’accès en plongée souterraine et la nécessité impérieuse, pour l’État propriétaire, de mettre le site en sécurité, ce qui sera fait dès la déclaration de découverte.
La partie archéologique de la grotte ne concerne que la fraction encore exondée d'une vaste cavité majoritairement envahie par la mer. Ce reliquat, constitué de deux salles, est la partie la plus haute et la plus reculée de la grotte originelle. Il ne reflète donc pas la réalité topographique du site que fréquentaient les hommes préhistoriques. En effet, lors de la dernière glaciation, le site était constitué d’un vaste réseau de volumes dans lesquels les hommes préhistoriques pouvaient aisément circuler. L’accès actuel se fait en empruntant une galerie immergée formant siphon dont l’entrée est à 37 m de profondeur. Cette galerie sous-marine remontante débouche dans la salle 1 au niveau 0 de la mer. Lors de la dernière glaciation, ce trajet, alors à l’air libre, était celui qu’utilisaient les hommes préhistoriques.
Un réseau supérieur infranchissable assure, par l’intermédiaire d’un étroit siphon, la mise en pression atmosphérique naturelle de la grotte. L’injection de l’air, propulsé par la houle, se fait en suivant ce long corridor plus ou moins étroit qui établit une jonction avec le sommet du Grand Puits situé à 30 m au-dessus du niveau de l’eau. Depuis 1995, ce passage a été en partie aménagé pour des besoins techniques. Le Grand Puits, aux parois parfaitement verticales, ainsi que le réseau supérieur n’ont jamais été fréquentés lors de la préhistoire et ne présentent aucun vestige archéologique. L’ensemble de ce réseau supérieur reste inaccessible.
La grotte s’étant développée à la faveur d’un joint de strate dans les couches de calcaire barrémien, la topographie générale du site suit le pendage des strates qui est d’environ 30 % en direction du sud-est.
- la Salle I est un vaste espace d’environ 50 m de côté. La mer recouvre plus de la moitié de la surface au sol. La profondeur de l’eau varie, en fonction du pendage du sol, de quelques centimètres à plusieurs mètres. Seuls les secteurs 105, 107 et 115, envahis par des blocs d’effondrements détachés du plafond, ont un sol praticable mais extrêmement chaotique. Au nord
de la salle I, deux passages étroits, le « Hublot » et la « Porte des Bisons », permettent d’atteindre la Salle II.
- la Salle II a des dimensions plus restreintes : environ 15 m de large et 48 m de long. Le sol est subhorizontal. Toute la partie est de la Salle II (secteur 205) est occupée par une grande étendue d’eau correspondant à un puits vertical remontant de plus de 40 m au-dessus de la mer et plongeant à plus de 20 m sous l’eau. La partie supérieure du puits n’a jamais été fréquentée par l’homme préhistorique. La partie sous-marine n’a pas été étudiée.
Pour en faciliter l’étude, ces deux salles ont été divisées en 20 secteurs de travail : de 101 à 126 pour la salle 1 et de 201 à 205 pour la salle 2.
Lors de la dernière glaciation
Un peu avant 32 500 ans cal BP, durant la glaciation du Würm qui sévit alors et qui dure déjà depuis plus de 82 000 ans, un groupe humain (Aurignacien ou Gravettien ancien ?), sans doute récemment arrivé dans les Calanques et venant probablement du nord de l’Italie actuelle, découvre l’existence de cette grotte et décide d’y entrer. Au cours de leurs visites, ces hommes gravent sur les parois, à la lueur de torches, des animaux plus ou moins stylisés, cerfs, chevaux, bouquetins, etc. Leurs œuvres, de petite taille, sont les premières expressions laissées par des humains dans la grotte. Malheureusement, comme il s’agit de gravures, il nous est impossible de les dater.
Quelques temps après (il est difficile de quantifier la durée qui sépare les deux épisodes), ces mêmes hommes ou d’autres, pénètrent à nouveau dans la cavité et laissent des représentations de mains négatives noires réalisées au charbon qui, elles, seront datées à 32 500 ans cal BP. Nous avons pu observer que le pigment charbonneux de certaines de ces mains recouvre des animaux gravés antérieurement ce qui nous permet d’établir une chronologie relative : les gravures sont plus anciennes que les mains.
Les hommes qui ont réalisé ces représentations au charbon font partie d’une culture appelée Gravettien (site éponyme : la Gravette, à Bayac en Dordogne) qui couvre un vaste espace paneuropéen s’étendant de la péninsule cantabrique à l’Europe de l’Est.
À ce moment, le climat est toujours plus froid et sec (la glaciation würmienne va sévir encore pendant au moins 14 000 ans). Le niveau général des océans (et de la mer Méditerranée) est 130 m plus bas que l’actuel. Dans les Calanques de Marseille, l’abaissement du niveau fait que le rivage est distant d’environ 10 km des falaises actuelles. Trois biotopes se distinguent dans cette marge méditerranéenne : un biotope littoral avec ses ressources halieutiques et cynégétiques (poissons, coquillages) ainsi que des phoques et des pingouins ; un biotope de plaines steppiques (qui correspond à la partie du plateau continental libéré par l’abaissement du niveau de la mer) où se développent des graminées favorables aux grands herbivores (chevaux, bisons, aurochs, mégacéros, cerfs élaphes) ; enfin une zone montagneuse (monts de Marseilleveyre et de Puget, cap Canaille, îles de Riou) qui constitue un biotope propice aux bouquetins et chamois notamment. La faune de ces trois écosystèmes aux ressources riches et pérennes est celle figurée dans le bestiaire de la grotte Cosquer, grotte qui se différencie surtout des autres par les représentations d’animaux marins. Hormis les animaux, la majeure partie des dessins et gravures est constituée de signes abstraits, de mains négatives et de tracés digitaux.
Vers 26 500 ans, le froid atteint son paroxysme lors du Dernier Maximum Glaciaire. Ce très grand froid fait que le niveau de la mer est encore plus bas et se situe à 135 m en dessous du niveau actuel. Lors de cette période extrêmement difficile pour les hommes préhistoriques, nous remarquons la baisse du nombre de représentations datables. Cela pourrait indiquer un éventuel dépeuplement dû au froid. Ces violents phénomènes climatiques viennent bouleverser la culture gravettienne en place et créer une scission en deux groupes distincts selon un axe constitué par le Rhône et le massif des Alpes. Les groupes humains situés dans la partie Ouest se tournent désormais vers une évolution solutréenne puis magdalénienne alors que les groupes du Sud-Est (Europe méditerranéenne, centrale et orientale) vont garder une stabilité culturelle, s’orientant vers une évolution épigravettienne qui conservera, en les faisant peu à peu évoluer, certains éléments techniques les plus caractéristiques de la culture gravettienne. D’un point de vue géographique, cette culture s’étend à l’ouest jusqu’au Rhône et à l’est jusqu’au Dniepr. Les péninsules Italiques et balkaniques se trouvent alors au cœur de cet espace géographique. En Provence et plus largement dans la péninsule italique, l’ Épigravettien méditerranéen se substitue à la culture gravetienne locale.
L’homme a fréquenté la grotte pendant plusieurs milliers d’années. La date la plus récente correspondant à son dernier passage est d’environ 19 000 Cal BP.
A partir de la fin de la glaciation,
Le climat se réchauffe et le niveau de la mer commence à remonter. C’est vers -10 000 ans que l’entrée de la grotte est submergée. A partir de ce moment plus aucun homme n’est entré dans la grotte, l’entrée du long boyau étant inondée. Petit à petit, le niveau de l’eau montant, la couche de mondmilch qui tapissait les parois s’est désagrégée. Le mondmilch s’est déposé sous forme de sédiment blanc sur le sol de la galerie. C’est ce sédiment qui se met en suspension dans l’eau au moindre faux mouvement en occultant totalement la visibilité.
Fin du XXe siècle
Grâce à l’amélioration des techniques de plongée souterraine, l’homme pénètre à nouveau dans la grotte. La vaste cavité est en partie inondée, un tiers seulement de ses volumes reste exondé. C’est donc en suivant en plongée sous-marine le siphon de 137 m de longueur qu’un scaphandrier découvrit, sans connaissance de la préhistoire et inconscient du terrain qu’il foulait, des animaux dessinés sur les parois, des mains négatives et des vestiges archéologiques qui jonchaient le sol.
Depuis 1991
Des recherches dirigées par le ministère de la Culture ont permis de constituer un corpus des œuvres, d’établir des datations et de recenser les vestiges anthropiques visibles. À l’heure actuelle, les travaux menés dans la grotte sont destinés à obtenir un relevé tridimensionnel de l’ensemble de la cavité. Ces relevés, qui représentent un engagement considérable, permettront d’appréhender au mieux le développement de la grotte dans le massif du cap Morgiou, de réaliser des études sur les vestiges anthropiques encore conservés et enfin d’avoir une meilleure compréhension des particularités du climat interne et de son impact direct sur les conditions de conservation. Des relevés bathymétriques menés par le DRASM (Département des Recherches Archéologiques Sous-Marines) permettront de visualiser au moyen d’un modèle numérique le vaste espace, maintenant englouti, dans lequel évoluait les peuples de la Préhistoire.
Le ministère de la Culture poursuivra son action par la mise en place d’équipes de recherches pour l’étude interdisciplinaire de la grotte.
Le ministère de la Culture poursuivra son action par la mise en place d’équipes de recherches pour l’étude interdisciplinaire de la grotte.
À la suite de la déclaration de découverte le 3 septembre 1991, une opération d’expertise a été organisée par le DRASM (Département des recherches archéologiques sous-marines) et conduite par Jean Courtin (Centre National de la recherche Scientifique), du 19 au 21 septembre 1991, à la demande du ministère de la Culture (Direction de l’architecture et du patrimoine). Cette opération a permis d’authentifier les figurations et, par des prélèvements de charbons, d’établir une première date à 18 440 +/- 400 BP soit 23 421 – 21 251 cal BP.
La grotte a été classée au titre des Monuments Historiques par arrêté du 2 septembre 1992. Des campagnes de relevés et d’études ont eu lieu en 1992 et en 1994 sous la responsabilité scientifique de Jean Courtin avec l’appui du DRASM et de son navire L’Archéonaute. Le travail accompli et les résultats obtenus lors de ces deux campagnes sont remarquables et fondateurs de la connaissance de la grotte. Une première chronologie est alors proposée dans un ouvrage publié aux éditions du Seuil en 1993 : "La grotte Cosquer, Peintures et gravures de la caverne engloutie" par Jean Clottes et Jean Courtin.
Cette première chronologie fait apparaître :
- une phase 1 aurignaco-gravettienne passant de 27 500 – 26 500 à 29 000 - 24 000 BP : réalisation de tracés digités et des mains négatives.
- un hiatus entre les phases 1 et 2, initialement de « 8 000 ans au moins », se trouvant réduit à 4 300 ans, (entre 19 700 et 24 000 BP). Durant cet intervalle se forme le « chaos » (effondrement de gros blocs du secteur 107 et, simultanément, se met en place la couche de calcite qui recouvre actuellement une grande partie du sol de la grotte.
- une phase 2 solutréenne située entre 19 700 et 18 000 BP : dessin et gravures de toutes les représentations animales.
A partir de 1995, une équipe constituée par Luc Vanrell (IMMADRAS) a été désignée par les services du Ministère pour mettre en œuvre un ensemble d’interventions de suivi archéologique et de travaux (prospection-inventaire d’art pariétal, mise en sécurité, conservation, relevés de données et maintenance des appareils de mesures disposés dans la grotte), de 1995 à 2000 sous le contrôle du DRASSM (ex DRASM, devenu Département des Recherches Archéologiques Subaquatiques et Sous-Marines), puis de la Direction Régionale des Affaires Culturelles de Provence-Alpes-Côte d’Azur (DRAC-SRA PACA, Ministère de la Culture), à partir de 2001.
De 2001 à 2005, cinq opérations de recherches archéologiques programmées visant à poursuivre la collecte d’informations archéologiques sur le site sont organisées sous la responsabilité scientifique de Luc Vanrell.
De 2010 à 2015, cinq opérations de recherches archéologiques programmées sont organisées sous la responsabilité scientifique de Luc Vanrell en collaboration avec Michel Olive (DRAC PACA SRA). Lors de ces campagnes, l’inventaire des œuvres et la connaissance de la grotte ont été enrichis par de nombreuses découvertes.
En 2010, à la suite d’événements climatiques et sismiques puissants et de leurs impacts visibles dans la grotte, des visites de surveillance des risques et de mesures systématiques des dégâts sont mises en place. Parallèlement, une étude est menée à l’initiative de la DRAC PACA afin de réaliser un relevé numérique tridimensionnel de la totalité de la grotte. Ce travail a permis d’implanter sur site des mires qui constituent l’ossature de tous les relevés et de réaliser un relevé tridimensionnel-test du panneau des Chevaux et de la draperie des « Méduses ».
Une campagne de prélèvements 14C est organisée par le SRA. Les analyses en laboratoires, disponibles en 2015, permettent de mieux appréhender la fréquentation de la grotte par l’homme et permettent de mettre en évidence que cette fréquentation du site est quasi ininterrompue durant une période comprise entre 32 500 ans Cal BP et 19 000 ans Cal BP.
A partir de 2017, la DRAC (Conservation Régionale des Monuments Historiques et Service Régional de l’Archéologie) mène des opérations de conservation et d’études du contexte hydro-climatique particulier à la grotte Cosquer en collaboration avec le CEREGE (Centre de Recherches et d’Enseignement de Géosciences de l’Environnement)et le LRMH (Laboratoire de Recherche des Monuments Historiques).
Depuis 2017, plusieurs campagnes de relevés tridimensionnels de haute précision sont organisées afin d’enregistrer une mémoire des vestiges et d’offrir la possibilité à des chercheurs de les découvrir sans devoir se déplacer dans la grotte. Ces opérations de relevés sont longues, fastidieuses et dépendent des conditions météorologiques aussi ces travaux ne sont pas encore finalisés. A terme, ils offriront également la possibilité au grand public de découvrir la grotte via des modèles numériques ou des anamorphoses (projet de la Région en cours au sein de la villa Méditerranée).
Plusieurs spécificités font que cette grotte est unique parmi les grottes ornées.
Sa principale singularité est due à sa localisation sur la côte méditerranéenne, dans le sud-est de la France. Elle est à la marge à la fois des grottes ornées du sud-ouest de la France, de la côte cantabrique espagnole et du contexte liguro-provençal. La présence d’animaux marins dans le corpus des représentations est également une originalité.
Une autre des particularités de la grotte Cosquer est la densité des traces laissées par les hommes. Celle-ci paraît signer une fréquentation abondante sur une très longue période (Gravettien ancien – Epigravettien ancien) qui pourrait concorder avec la qualité du lieu et la variété de ses ressources (trois biotopes aux ressources pérennes) propices à une sédentarisation des chasseurs-cueilleurs et ainsi à une plus grande stabilité régionale des cultures.
La grotte présente, dans les endroits non encore envahis par l’eau, de nombreuses traces des activités humaines :
- des aménagements de concrétions ;
- des traces d’éclairage fixe ou mobile ;
- des foyers avec de nombreux charbons ;
- quelques gravures au sol ;
- des empreintes de mains d’enfants ;
- des cassures volontaires de spéléothèmes (concrétions - karstiques telles que les stalagmites, les stalactites, les fistuleuses, etc.) ;
- quelques outils en silex.
Le nombre élevé d’entités graphiques permet d’affirmer que la grotte Cosquer fut l’un des grands sites d’art pariétal européen, à l’instar de Lascaux, Altamira ou Chauvet. Nous ne disposons en effet à Cosquer que d’une petite partie des panneaux car la plupart des parois sont aujourd’hui sous l’eau, totalement corrodées et envahies par des concrétionnements marins. Étant donné que toutes les surfaces actuellement accessibles (même difficilement) dans la partie exondée ont été utilisées et qu’il s’y trouve partout des gravures, des tracés digitaux et des dessins, il est légitime de supposer qu’il en fut de même dans les zones qui sont immergées.
Le bestiaire de la grotte Cosquer est représentatif des animaux que l’homme préhistorique pouvait observer et même chasser. Ces animaux font partie des trois biotopes caractérisant le lieu (littoral marin, plaine à graminées et montagne). Cela explique le grand nombre des espèces représentées. Fait exceptionnel dans l’art pariétal, l’homme a dessiné des animaux marins.
Les résultats 14C obtenus à partir des prélèvements effectués en 2010 permettent de mieux cerner la fréquentation humaine de la grotte et de réinterpréter les datations antérieures. La répartition des dates confirme la longue durée de fréquentation du site, au moins de 32 500 Cal BP à 19 000 Cal BP, soit une durée de 13 500 ans au minimum.
Cependant un ensemble graphique atypique mais cohérent, qui avait été nommé par Jean Courtin ensemble des « Petits animaux gravés » (désignation que nous avons conservée par habitude pour désigner cet art particulier) avait été mis en évidence dès 1992. Il concerne plusieurs panneaux de gravures animales plus ou moins réalistes, incisées très finement dans la paroi. De taille homogène, mais significativement petite en comparaison du reste du corpus peint ou gravé, cet ensemble détonne franchement du reste, notamment par la technique de réalisation, par les dimensions, par la façon de représenter les membres et parfois par l’irréalisme ou la déformation du sujet. Une attention particulière a permis la mise en évidence, en deux endroits, du recouvrement de ces gravures par le halo des mains négatives noires à proximité. Cela démontre l’antériorité de la réalisation des « petits animaux » (sans pouvoir les dater) aux mains négatives noires qui sont parmi les plus anciennes datées.
La grotte Cosquer est la seule cavité à avoir un accès extrêmement difficile qui n’est réservé qu’à des intervenants, archéologues ou spécialistes, en possession d’une solide formation à la plongée souterraine et ayant une activité régulière (afin de conserver une capacité opérationnelle) et dans le respect de la réglementation professionnelle liée aux interventions sous-marines.
Le cheminement qui consiste à suivre le siphon est une opération complexe et risquée. L’entrée se fait en plongée sous-marine sous plafond en suivant un boyau dont certaines parties sont étroites.
La météo est un élément décisif sur les interventions : un vent trop fort, une houle trop présente peuvent amener à annuler une mission longuement préparée.
Outre les difficultés d’accès pour les personnes et pour le matériel, il faut garder à l’esprit l’isolement du site et donc la difficulté d’intervention pour les secours. Les déplacements dans la grotte doivent, à ce même titre, être considérés comme périlleux : le moindre accident même bénin peut engendrer une chaîne de secours extrêmement complexe. La présence d’un milieu marin corrosif et d’une atmosphère chargée à plus de 90% d’humidité peut être funeste pour les équipements de haute technicité. La grande fragilité du site archéologique, des parois, des spéléothèmes et des vestiges encore présents au sol, un terrain particulièrement accidenté, des zones avec un plafond bas qui obligent à se tenir accroupi ou même à ramper, astreignent à une concentration et une attention permanente et cela lors de tout geste, mouvement et déplacement.
Le nombre maximum de personnes fréquentant en même temps la grotte ne doit pas excéder, journellement, cinq personnes pendant cinq heures. Cette règle a été définie tant pour protéger le milieu particulier de la cavité que pour préserver les capacités physiques des intervenants et par là même leur sécurité. Le travail dans la grotte Cosquer nécessite une excellente condition physique car l’engagement personnel est très éprouvant, voire épuisant (perte de poids de trois kilos par jour et par intervenant en moyenne).
Avant toute mission, et en fonction du type de travail, le matériel emporté (ordinateur, appareil photo, appareils de mesures, etc.) doit être conditionné en conteneurs étanches et équilibrés pour la plongée. Ce conditionnement devra être répété pour la sortie car nous nous interdisons, pour la bonne conservation de la grotte et des appareils, de laisser quoi que ce soit dans la grotte.
La réglementation environnementale établie par le Parc Naturel des Calanques doit également être respectée.
C’est l’accélération de la remontée du niveau mondial des océans, liée au réchauffement climatique qui est la menace la plus préoccupante. La perte progressive de ce qui reste de ce site majeur sera certainement la suite logique de ce phénomène. A l’heure actuelle, plusieurs œuvres, visibles en 1991, ont déjà quasi totalement disparu ou sont en cours de disparition. Cette dégradation, qui s’accélère depuis 2011, est due principalement à la montée du niveau de la mer dans la grotte. Elle est amplifiée par un phénomène interne qui induit une forte variation du niveau de l’eau.
La pollution marine introduite dans la grotte par les vagues est variable en fonction des périodes de l’année : plus discrète pendant l’hiver, cette pollution peut se renforcer dès le printemps et devenir extrêmement présente durant les périodes estivales. Elle ne portait jusqu’à présent pas atteinte aux œuvres mais une surveillance continue a permis de mettre en évidence la présence de microplastiques qui se déposent sur les œuvres et qui risquent de s’incruster définitivement.
Les conséquences de l’activité sismique régionale et de l’évolution géologique de la grotte sont visibles en plusieurs endroits, des concrétions sont fissurées et des draperies en cours de fracturation.
En complément de la documentation acquise depuis 1992, la couverture photogrammétrique (en cours de réalisation) va permettre de disposer d’un état de référence des parois ornées et d’opérer ensuite un suivi dynamique des zones-témoins sélectionnées avec la collaboration des équipes du Laboratoire de recherche des monuments historiques pour évaluer l’évolution microbiologique et l’évolution des altérations. Des campagnes de prélèvement d’eau et d’air ainsi que la pose de témoins de mouvements se poursuivent et vont permettre de comprendre l’évolution des altérations.
En complément du suivi actuel des équipes de la DRAC, un constat d’état des parois de la grotte et notamment des zones soumises aux fluctuations marines permettra une meilleure analyse des processus d’altération et de pertes des œuvres. Ce constat d’état, réalisé par des spécialistes de la conservation et des restaurateurs sera une base pour l’élaboration d’un plan de sauvegarde qui prendra forcément plusieurs années.
Devant l’irrémédiable disparition d’œuvres patrimoniales de première importance, le Ministère de la Culture a décidé de réaliser un relevé tridimensionnel le plus précis possible de la grotte. Un premier essai a été réalisé en 2013. Il ne s’est cantonné qu’à des tests sur certaines zones de la salle I directement menacées par l’eau et reflétant la diversité de la grotte. Ces premiers résultats analysés ont permis la mise au point d’une méthode plus adaptée (en tenant compte de l’omniprésence de l’eau, de la morphologie extrêmement complexe des supports, de l’absence de tous réseaux de communication, etc.). Une campagne de relevés de la totalité de la cavité (parties aériennes et subaquatiques) a commencé en 2017.
Un groupement de sociétés spécialisées dans le domaine (FUGRO/IMMADRAS) ont été chargées de la réalisation de ce relevé qui se décompose en plusieurs phases :
- un relevé millimétrique par scanner laser ;
- un relevé photogrammétrique qui, allié au scanner laser, permettra d’atteindre une précision suffisante pour l’étude des œuvres en laboratoire ;
- un relevé laser sous-marin et un relevé bathymétrique réalisés en collaboration avec le DRASSM viendront compléter les données nécessaires aux études à visées archéologique et conservatoire.
Une grotte ornée pose des problèmes complexes aussi bien pour sa conservation que pour son étude. Ces deux approches complémentaires impliquent l’intervention d’un grand nombre de spécialistes dans des disciplines scientifiques qui doivent œuvrer en synergie : archéologie, géologie, climatologie, microbiologie, entomologie, spécialités liées à la conservation des matériaux du patrimoine, etc.
Actuellement l’État est propriétaire de la grotte Cosquer et de son environnement proche. Il est en charge du devenir de la grotte et des actions qui doivent y être entreprises. La Direction régionale des Affaires Culturelles de Provence-Alpes-Côte d’Azur assure la gestion du site et veille à la cohérence des actions entreprises.
Les acteurs intervenants dans la grotte :
La Direction régionale des affaires culturelles de Provence-Alpes-Côte d’azur :
- Conservation régionale des Monuments Historiques
. Robert Jourdan, ancien Conservateur régional des monuments historiques
. Jean-Baptiste Boulanger, Conservateur régional des monuments historiques
. Delphine Lecouvreur, Ingénieure du patrimoine en charge des Bouches-du-Rhône - Service régional de l’Archéologie
. Xavier Delestre, Conservateur régional de l’archéologie
. Michel Olive, Ingénieur d’études MCC SRA PACA, LAMPEA UMR 7269
Intervenants extérieurs à la DRAC PACA :
- Laboratoire de recherche des monuments historiques
. Faisl Bousta, responsable du pôle microbiologie
. Stéphanie Touron, responsable du pôle grottes ornées - Centre Européen de Recherches et d’Enseignement en Géosciences de l’Environnement
. Bruno Arfib, Maitre de conférence, Université Aix – Marseille (Karstologie, Hydrogéologie), membre du conseil scientifique de la grotte Lascaux - Société FUGRO
. Bertrand Chazaly, Ingénieur topographe - Société IMMADRAS
. Orsane Vanrell
. Luc Vanrell, chercheur associé LAMPEA UMR 7269
Sans oublier les plongeurs professionnels de la société IMMADRAS qui assurent la sécurité et le suivi des plongées.
Partager la page