Artiste sans concession, bouleversant, dé-constructeur en toutes choses, Patrick Saytour nous a quittés.
C’est à Nice, où il naît, qu’il fait ses premières armes à l’Ecole des Arts Décoratifs avant une brève migration parisienne durant laquelle il se forme au design, à l’Ecole Camondo. Après avoir tout appris, il faut tout désapprendre : ainsi, Saytour exprime immédiatement une capacité hors-pair à travailler toutes les matières – mais surtout, à les détourner.
Lorsqu’il rencontre Claude Viallat à Nice, en 1967, la connexion est immédiate. Ensemble, ils participeront à la fondation en 1971 de Supports/Surfaces, groupe radical, fulgurant qui marque durablement la scène artistique française. Ses membres entreprennent de déconstruire méthodiquement la peinture, pour en réinterroger tous les ingrédients et les protocoles, pour mieux les réinventer. Si, par tempérament, Saytour a toujours occupé une place singulière dans le mouvement il lui apporte au fil des ans certaines de ses pièces les plus fortes.
Dès la fin des années 1960, Saytour détourne les tissus chatoyants bon marchés et autres textiles, toiles-cirées, cartons, collectés de bazar en quincaillerie pour en faire une véritable matière picturale. Des études de théâtre qui ont parsemé sa jeunesse, il conserve en effet un goût farouche pour la mise en scène. Pliages, brûlages, découpages, autant de gestes familiers, domestiques, viennent remplacer le savoir-faire de l’artiste peintre, offrant des compositions intrigantes, vigoureuses, qui séduisent les musées de Saint-Etienne, du Havre, de Céret, l’école spéciale d’architecture de Paris puis de premières galeries franciliennes et occitanes.
Novateur, observé par ses pairs, Patrick Saytour mène pendant toute sa carrière une intense réflexion sur les matériaux : béton, moquette, métal goudron ou encore toile et bois avec Tuilage, qui entre en 1983 dans les Collections du Centre Pompidou. Fidèle à son ancrage à Aubais, dans le Languedoc, il enseigne à l’Ecole des Beaux-Arts de Nîmes et de Montpellier pendant de nombreuses années et montre son travail avec une forme de discrétion assumée, en particulier dans les galeries et institutions du sud de la France. Porté à l’étranger par la galerie Ceysson & Bénétière, Saytour fascine ses contemporains et intrigue les collectionneurs qui retrouvent dans ses œuvres la radicalité des avant-gardes historiques et une inventivité sans limite.
Dans les années 2000, son travail renoue avec ses amours textiles en ré-interprétant ses premières œuvres où les jeans retrouvent leur fonction de toiles, les cintres deviennent une signature graphique, les « Célébrations » et les « Trophées » déjouent les manifestations d’une splendeur ostentatoire. « Recommencer, dit-il, c'est refaire, au sens de re-produire, qui n'est pas produire à l'identique mais produire à nouveau, avec l’obligation d'une différence qui s'impose lorsqu'on re-fait un devoir ou que l’on re-voit sa copie. » Carré d’Art à Nîmes expose actuellement dans le cadre des trente ans du musée deux pièces où Patrick Saytour rejoue son histoire de l’art, comme un écho à ce re-commencement continu.
Discret, critique, inattendu, Patrick Saytour n’a jamais cessé de s’interroger sur son travail, de déconstruire aussi bien les couleurs, les formes que les matières et s’est imposé comme un pilier de l’art contemporain français
J’adresse à sa compagne, Chantal Creste, à sa famille et à ses proches mes plus sincères condoléances.