Madame la Présidente du Centre national du Cinéma et de l’Image
animée (CNC), Chère Véronique CAYLA,
Madame la Présidente de la Commission d’aide sélective à la production
de longs métrages, plus connue sous le nom d’« Avance sur recettes »,
Chère Florence MALRAUX,
Monsieur le Président « sortant », Cher Pierre CHEVALIER
Mesdames, Messieurs,
Chers amis,
Si j’ai tenu à être présent parmi vous à l’occasion de cette soirée, c’est
pour manifester l’importance que le Ministre de la Culture et de la
Communication accorde au travail que vous avez consenti – ou que vous
allez consentir pour ceux d’entre vous qui, ce soir, entrent dans le cercle
très fermé, très prisé de l’avance sur recettes – en faveur du dispositif
d’aide au cinéma le plus unanimement apprécié et reconnu. La
commission d’avance sur recettes reste à ce jour, depuis cinquante ans,
depuis la géniale intuition d’André MALRAUX, le symbole même de cette
« exception française » qui a permis à tout un cinéma indépendant, à tout
un cinéma d’auteurs, à tout un cinéma d’ailleurs, mais de langue
française, d’exister et de prospérer.
De ce dispositif, ses inventeurs ont affirmé qu’il reposait sur deux
principes : « le premier – dit Pierre MOINOT, qui travailla auprès d’André
MALRAUX et conçut avec lui ce système – partait de l’idée qu’on peut
faire un mauvais film avec un bon scénario mais qu’il est très rare qu’un
mauvais scénario aboutisse à un bon film ». C’est ainsi qu’il justifiait sa
méthode : faire de la qualité du scénario le critère de sélection de l’avance
sur recettes. Le principe a, depuis, évolué, puisqu’aujourd’hui on peut
visionner aussi les premières oeuvres (courts métrages, oeuvres pour la
télévision) de l’auteur d’un film, en plus du scénario, pour apprécier son
talent de metteur en scène, de réalisateur. Et puis l’avance, c’est aussi le
troisième collège qui a pour vocation de juger sur film terminé et, parfois,
de réparer d’éventuelles erreurs d’appréciation sur un scénario dont la
réalisation est une réussite. Cette méthode, qui a fait ses preuves, a donc
su également s’adapter au fil du temps. C’est « le génie du système »
(comme le disait d’Hollywood André BAZIN), même s’il n’est pas possible
de créer un système du génie…
Le second principe, cher aux inventeurs de l’avance, est demeuré intact
depuis cinquante ans, et je suis convaincu qu’il ne faut le modifier pour
rien au monde : ce principe, toujours selon Pierre MOINOT,
c’était qu’« une addition de subjectivités très diverses » est le meilleur
moyen, paradoxal seulement en apparence, de se rapprocher
« asymptotiquement » de l’objectivité. En conséquence, il avait souhaité
(je le cite encore) « une commission composée de membres d’origine,
de goûts, d’écoles, de formations très différentes », et il fallait leur
soumettre « des scénarios achevés, construits et dialogués, permettant
à chacun d’imaginer, non pas peut-être le film, mais son film ». Cela
traduit bien l'expérience que chacun d’entre eux a pu faire, ou pourra
faire, du débat, de la discussion en comité ou en plénière qui est le coeur
du dispositif.
L'autre motif de ma présence est lié à l'affection et à la grande estime
que je porte à tous ceux qui ont accepté de consacrer beaucoup de leur
temps à cette ambition collective et désintéressée, et d'abord à ceux qui
ont accepté d'assumer – je parle d'expérience – la lourde responsabilité
de la présidence.
Je voudrais remercier ce soir Pierre CHEVALIER d’avoir été un
président attentif, disponible, sensible avant tout à la qualité des projets
qui lui étaient soumis – hors de toute autre considération – et d’avoir
consacré beaucoup de son temps et de son énergie à cette mission. Je
dis mission, je pourrais presque dire sacerdoce… Nous commençons à
voir, au fur et à mesure que les films sortent en salle, à quel point les
choix de la commission sous sa présidence ont été avisés : avoir
soutenu des projets aussi variés que ceux de Bertrand TAVERNIER, de
Jean-Paul RAPPENEAU, de Djamshed USMONOV, de Lou YE, de
Mahamat SALEH HAROUN, pour ne citer qu’eux, ou que le film
d'animation de Jean-Francois LAGUIONIE, c’est la preuve d’un
authentique souci de diversité, absolument indispensable au
renouvellement de la création. De tout cela, merci, Pierre !
Ma présence est aussi pour moi l’occasion de dire à Florence
MALRAUX toute mon admiration, et ma conviction profonde qu’elle
possède toute l’expérience, toute l’intelligence et toute la finesse
requises pour conduire cette belle institution, pour lire les projets avec
toute l’attention qu’ils méritent, et pour dénicher les talents et les chefsd’oeuvre
de demain. Malgré son apparence discrète, elle a la carrure et
la stature de ces membres de la commission que furent, aux débuts de
l’institution, les Jacques AUDIBERTI, Julien GRACQ ou Edgar MORIN,
suivis ensuite par Françoise GIROUD, Christian BOURGOIS et bien
d’autres.
Enfin, si je suis venu ce soir, c’est aussi pour rendre hommage à tous
les personnels qui animent cette commission avec un dévouement
absolu, dont j’ai été le témoin direct durant des années. Je connais leur
amour du travail bien fait, leur respect pour les auteurs, leur souci de
faciliter la tâche aux membres de la commission, et je souhaite les
remercier chaleureusement de leur conscience professionnelle et de
leur engagement sans faille. Ces remerciements s’étendent à
l’ensemble du personnel du Centre, placé sous l’autorité vigilante et ô
combien compétente de sa présidente Véronique CAYLA, que je
remercie de nous accueillir ce soir.
Vous avez la chance de voir ce soir un premier film qui a obtenu
l’avance dès le premier tour de vote. C’est d’ailleurs un très beau
symbole, car le scénario de ce film était un travail de fin d’études de Léa
FEHNER à La Fémis (dont la présidence vient d’être confiée à Raoul
PECK comme je le souhaitais), et qu’après avoir passé avec aisance
l’examen du premier collège, il a été couronné par le prix LOUISDELLUC
du premier film, sans doute l’une des plus prestigieuses
récompenses que puisse recevoir un(e) jeune cinéaste français(e), car
ce Prix exprime l’unanimité de la critique autour d’une oeuvre.
Avant de laisser le producteur du film Jean-Michel REY, vous présenter
ce film, je voudrais rappeler que Jean-Michel a distribué les deux
derniers films d’Eric ROHMER – comme je rends aussi hommage à
Margaret MENEGOZ et à toute l’équipe du LOSANGE qui a
accompagné si longtemps ce grand auteur – dont la perte, faut-il encore
le souligner, est immense pour nous tous. Il avait, lui aussi, reçu, bien
sûr, le soutien de l’avance – je crois que son premier film à avoir
bénéficié de l'avance a été La Collectionneuse.
En ces temps que je sais troublés et parfois inquiétants pour le monde
du cinéma, qui doit non seulement parer les effets de la crise
économique, mais aussi se préparer à une révolution technologique
majeure, d’ailleurs largement entamée, celle du numérique, je crois
qu’une institution comme la vôtre garde, plus que jamais, tout son sens.
Elle doit continuer de jouer pleinement son rôle face aux tentations de la
facilité, ou à l’application pure et simple des règles du marché, dont elle
doit contribuer à se libérer. C’est à vous – à un niveau que vous pourriez
tenir pour humble, mais qui est en réalité évidemment essentiel – de
permettre que continue de souffler dans le cinéma de langue française
ce vent de liberté et d’invention qui est sa raison d’être. Certes, l’Etat a
tout fait en France pour consolider le financement des films et nous
voyons tous que – même en temps de crise – ce modèle offre une belle
résistance et une belle résilience. Mais si les financements restent
solides, vers quels films se portent-ils spontanément ? A cet égard,
« l’avance » doit demeurer un laboratoire, et un label d’excellence. Elle
doit savoir aider les films qui resteront, qui feront patrimoine. Ces films
que certains décideurs financiers jugent parfois secondaires et qui sont
indispensables. C’est cela, la plus belle récompense que vous puissiez
obtenir en contrepartie de votre participation à la commission.
C’est bien parce que je suis convaincu du rôle essentiel de cette
commission que j’entends poursuivre la revalorisation du budget dont
elle dispose comme l’a suggéré le rapport du Club des 13. J’ai bien noté
que vous avez, cette année, consenti une augmentation significative des
montants accordés à certains films à proportion de leurs besoins
artistiques et aussi de l’enthousiasme qu’ils avaient suscité lors de vos
débats. Je serai très à l’écoute de vos observations et je me propose de
rencontrer, chaque fois qu’elle le souhaitera, la Présidente Florence
MALRAUX pour qu’elle me parle de son sentiment d’ensemble sur les
projets que vous recevez, puisque cette commission est véritablement
un observatoire de la création dans notre pays.
Sachez, enfin, que je mesure parfaitement la lourdeur imposante de la
tâche qui va être la vôtre cette année : plus de 600 scénarios à lire
collectivement. Je me souviens de membres du collège arrivant rue
Galilée, pour les plénières, avec une valise à roulettes… C’est une vraie
responsabilité, et je vous remercie d’avoir accepté de l’assumer. Vous
n’en serez pas déçus, car elle est passionnante. Je souhaite donc, à
chacun d’entre vous, bon travail et, bien sûr, une excellente année
2010 !