Le visiteur et le lecteur confrontés à une liasse d’archives éprouvent souvent ce que Jules Michelet ressentait lorsqu’il entrait avec enthousiasme dans ce qu’il appelait la « danse galvanique des archives » : le sentiment d’être en contact avec un monde tissé d’existences qui s’entrecroisent, qui communiquent, qui attestent en chœur d’une histoire vécue. Oui, l’archive dit et révèle un monde, il y a là comme une pulsion vitale à l’âge de la mémoire virtuelle et de la dématérialisation, qui explique, parmi tant d’autres raisons, ma présence à chacun des Conseils supérieurs des archives depuis mon arrivée rue de Valois.
Aujourd’hui la réunion du Conseil supérieur des archives porte sur le projet scientifique, culturel et éducatif - le PSCE - des Archives nationales, dont la gestation et la rédaction ont été reprises avec tant de compétence et d’abnégation par la directrice Agnès Magnien. La date en a été reportée car je tenais absolument à être présent et à participer à vos échanges.
Une fois encore, je tiens à témoigner de mon intérêt personnel pour les archives – quelles qu’en soient la nature : écrites ou photographiques, audiovisuelles ou numériques - pour les politiques publiques conduites par nos institutions. Il y a là l’un des piliers de la Direction générale des Patrimoines, il y a là une mission centrale de conservation et de transmission placée au service d’une certaine idée de l’Etat de droit, de la culture, et à dire vrai de la République. Car les peuples soumis au joug de l’obscurantisme et du pouvoir personnel, soumis au XXe siècle aux idéologies criminelles de « l’homme nouveau » n’ont pas accès aux archives, à ces documents divers qui permettent au présent d’inscrire l’individu dans une filiation, une tradition, un héritage, en d’autres termes d’en faire un citoyen. Pour moi investir pour les archives, c’est aussi une façon d’investir pour l’avenir. C’est pourquoi j’ai rendu des arbitrages permettant de soutenir cette politique ambitieuse.
J'ai eu très récemment l'occasion de rencontrer les personnels des archives travaillant dans les territoires, notamment lors de mes déplacements aux Archives de l’Outre mer à Aix-en-Provence, aux Antilles, mais aussi plus récemment aux Archives du monde du travail à Roubaix, aux Archives départementales de la Meuse, « département-mémoire » dont j’ai inauguré le nouveau bâtiment. Rarement un ministre aura passé autant de temps dans les rayonnages et les compactus, sans oublier les chantiers ! Nous y reviendrons. J’ai pu prendre la mesure, à ces différentes occasions, de la richesse de nos collections et de l'engagement des personnels, à tous les niveaux, en faveur de l'ouverture au public et d’une mémoire mieux partagée.
J'ai pleinement conscience que le projet des Archives nationales qui vient de nous être présenté est aussi un projet décisif pour l'avenir de l’ensemble des services d'archives, pour le réseau des conservateurs et celui des utilisateurs des archives, pour l’ensemble des acteurs de ce que l’on peut appeler la « planète archives ».
A quelques mois des débuts de l'installation à Pierrefitte-sur-Seine, nous vivons à tous égards une situation exceptionnelle : exceptionnelle par la nature même de la décision qui a été prise au plus haut niveau de l’Etat, celle de doter notre pays d’un nouveau centre pour les Archives nationales, exceptionnelle par l'ambition du projet scientifique, par les outils technologiques et numériques construits à cette occasion, exceptionnelle par le niveau d’investissement de l’Etat sur ce site, qui sera le lieu du pilotage scientifique et administratif des Archives nationales et conservera les fonds postérieurs à 1790. Au total ce sont près de 244 millions d’euros qui sont investis, soit le coût de la construction du bâtiment (194 millions d’euros) et les chantiers de modernisation qui l’accompagnent : nouveau système d’information, déménagement des fonds et des collections, chantier de la numérisation permettant la consultation à distance. En tout, ce sont 66 000 m2 de superficie utile, 320 kilomètres linéaires de magasins d’archives afin d’accueillir les archives des administrations centrales de l’État pour les 30 ans à venir. Les 5 400 m2 d’espaces publics permettront de recevoir les lecteurs mais aussi le public des expositions, des conférences, les publics scolaires qui bénéficieront ainsi de l’expertise, du rayonnement scientifique mais aussi du travail de médiation des Archives nationales. Des ajustements sont encore à préciser entre les missions de valorisation culturelle du site parisien et les projets qui seront développés à Pierrefitte, notamment vis-à-vis des scolaires, des publics issus de la diversité ; néanmoins, ce programme fixe un cap et maintient le principe de trois sites de plein exercice, tout en précisant les spécificités et les champs d’intervention de chacun. Il traduit par ailleurs une forte préoccupation en faveur de l’accueil des chercheurs et des publics les plus divers. Le succès remarquable de l’exposition « Fichés ? » traduit bien l’exigence qui doit être la vôtre, et que je partage, en matière de valorisation culturelle.
Les Archives nationales, ce seront donc trois piliers en Ile de France, ce seront donc trois sites au service d’un projet d’établissement commun, d’une culture de projet inscrite dans le Programme scientifique et culturel (PSCE) qui vous est présenté.
Je ne veux pas oublier la politique ambitieuse en matière d’emploi pour répondre au défi de la numérisation, des partenariats et de l’inscription des Archives dans la demande sociale. Avec un objectif de 515 à l’ouverture, les Archives nationales sont exonérées de la règle du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite. C’est un signal fort, c’est un engagement important dans le contexte général de l’emploi public. C’est surtout un effort considérable par rapport à la situation actuelle. Je tiens à rappeler qu’au début de la grande aventure de Pierrefitte-sur-Seine, le Service à Compétence Nationale des Archives nationales (SCN) ne comptait que 370 personnels. J’ai conscience que cet effort en faveur des recrutements doit être poursuivi, conformément aux engagements pris.
Pour les Archives nationales, ce grand chantier immobilier a été l'occasion de construire une nouvelle organisation dont nos organismes paritaires vont bientôt débattre, de développer de nouveaux partenariats scientifiques, notamment universitaires et éducatifs - de consolider encore leurs missions de collecte et de classement. Je me félicite que parmi les publics cités, une attention toute particulière soit portée au jeune public, aux écoliers – qui représentent déjà 50% du public du service éducatif en 2010 - aux collégiens, aux lycéens, mais aussi aux étudiants. A cet égard, le site de Pierrefitte permet l’ouverture de nouveaux partenariats du fait de la proximité d’institutions universitaires et de recherche de haut niveau : l’université Paris VIII, voisine, qui bénéficiera dès l’automne 2012 d’un master (niveau Bac+5) formant aux métiers des archives, qui sera ouvert à la formation continue. Je ne veux pas oublier l’Université Paris XIII mais aussi le Laboratoire d’excellence (Labex) Arts et Médiations humaines – qui fédère des universités, des écoles d’art, des établissements culturels de rayonnement national (Centre Georges Pompidou, RMN-Grand Palais, Universcience, BNF) sans oublier – à quelques kilomètres - le Campus Condorcet, qui s’implantera demain à Aubervilliers avec des institutions de recherche de très haut niveau. Le projet de Pierrefitte, chacun le voit, inscrit bien les archives nationales dans l’ambition du Grand Paris de la culture et de la connaissance ; il les inscrit bien dans le paysage changeant et innovant de nos politiques de recherche, à travers les partenariats engagés avec les divers Laboratoires d’excellence (Labex). Les partenariats avec les collectivités territoriales seront renforcés, de même que l’inscription de la politique culturelle et scientifique dans les grandes « saisons mémorielles » – à l’image des commémorations du centenaire de la Grande Guerre en 2014, auxquelles mon ministère sera associé – et dans les grandes manifestations nationales.
Je souhaiterais remercier particulièrement madame Georgette Elgey pour sa présence bienveillante et son autorité morale et intellectuelle, mais aussi le Directeur générale des Patrimoines, Philippe Bélaval et le directeur en charge des archives, Hervé Lemoine, pour leur tutelle attentive et pour leur engagement dans cette politique d’ensemble pour les archives. Mais aussi vous tous qui contribuez, par votre présence et votre engagement, à pérenniser et moderniser cette grande institution forte de ses collections, de ses expertises, de son rayonnement aussi.
Permettez-moi un mot sur la convergence, que j’appelle de mes vœux, entre les Archives nationales et la Maison de l'histoire de France. La Maison de l’histoire de France a été créée le 1er janvier 2012 sous la forme d’un établissement public administratif (EPA) placé sous la tutelle du Ministère de la Culture et de la Communication. Sa présidence a été confiée à madame Maryvonne de Saint Pulgent dont beaucoup ici connaissent la grande expérience, la science administrative et les qualités intellectuelles, qu’elle a su démontrer à la direction du Patrimoine, mais aussi à la tête du comité d’Histoire du ministère. Le projet est désormais sur les rails et le Comité d’orientation scientifique m’a remis hier le projet définitif qui a été enrichi, amendé, resserré sur les principes essentiels qui seront ceux de la Maison. Il a été adressé à plus de mille personnalités qualifiées, il a fait l’objet de réunions et de concertations dans toute la France afin d’en affiner les préconisations.
Cet établissement public original doit aujourd’hui faire sienne la « culture du partenariat ». Il est appelé à réunir autour de lui un réseau de partenaires, en France comme à l’étranger. Dans le cadre du PSCE, de ses ambitions, de ses contours, dans le souci également de restaurer et de rendre accessible le quadrilatère de Rohan-Soubise, siège historique des Archives nationales, je suis certain que les Archives nationales et la Maison de l’histoire de France sont appelées à travailler de manière convergente, à dialoguer ensemble. Je le dis et je le répète, la Maison de l’histoire de France est une chance pour les projets culturels et scientifiques des Archives : elle permettra d’élargir les publics, de trouver de nouveaux terrains pour leur développement, notamment à travers des initiatives numériques communes. J'ai la certitude aussi que le travail de collaboration entre ces deux institutions se construira, dans le respect des missions de chacune, et que ce voisinage au sein du quadrilatère en fera un espace d'échanges et de partages, un lieu culturel ouvert sur la société, un pôle attractif pour la « fabrique de l’histoire » dans toute sa complexité et sa diversité, depuis la source jusqu’à la diffusion la plus large.
Le Programme scientifique, culturel et éducatif, vous le voyez, marque une étape importante : il définit une perspective pour les années à venir, il dessine un chemin, qu’il vous revient d’apprécier et d’enrichir à la faveur de vos débats et de vos échanges, que je sais riches et engagés. Choisir Pierrefitte comme un centre pour les Archives nationales, c’est croire à l’accès de chacun à l’histoire dans sa pluralité, c’est faire le pari de la connaissance et du savoir pour tous les publics, c’est faire de la diversité un atout et une richesse. Mais notre politique d’archives, je ne l’oublie pas, forme un tout : elle s’inscrit dans un réseau capillaire, inscrit dans les territoires, dont Pierrefitte doit être l’un des points de référence. Il n’est pas concevable pour moi de construire le site de Pierrefitte sans conforter le réseau national des Archives en France, sans développer les partenariats scientifiques à l’échelle nationale et internationale. Dans la société de l’« l’hyper-présent » - pour reprendre l’expression de François Hartog - dans laquelle nous sommes trop souvent immergés, face à la fracture entre générations, face à la culture de l’entre-soi, proposer des lieux offrant une plongée dans la profondeur temporelle, des lieux qui soient le miroir de la diversité, de ce que j’appelle pour ma part, la France « pays-monde », cela a un sens. Une France à la fois une et multiple, à la fois complexe et forte de ses principes et de son histoire, ouverte au grand vent du village- monde comme à l’histoire des individus singuliers, des oubliés de l’histoire, de ces anonymes enfouis dans la poussière des archives, mais exhumés de l’oubli par le travail patient des chercheurs, des historiens - fussent-ils ceux du dimanche !
Je vous remercie.