La grande idée de la Cité internationale de la langue française est d’offrir au public « un voyage à l’intérieur des univers des langues françaises »…
Paul Rondin : C’est, en effet, toute l’ambition de cette Cité : un lieu certes très exigeant dans ses aspects scientifiques ou artistiques, un lieu où l’on peut venir s’instruire et se cultiver, mais aussi un espace de jeux, de plaisirs et – j’emploie ce terme à dessein – de divertissements.
Le plaisir est le chemin le plus engageant pour que tous les publics s’intéressent à la langue et se la réapproprient. Une langue qu’on regarde parfois, et c’est bien triste, comme une simple fonction, sans chair ni ressort, voire invisible ou insignifiante (c’est le comble !).
Nous accueillons nos visiteurs en leur disant ceci : nous avons ce patrimoine vivant, immatériel, commun qu’est la langue française, profitons-en ! J’ai toujours défendu l’exigence de faire de la Cité un établissement populaire.
Célébrer la langue française, n’est-ce pas un peu trop intimidant pour tout un chacun ?
P. R. : La langue française peut intimider, c’est certain, tout comme le château de Villers-Cotterêts, ce monument du patrimoine national. Notre travail consiste précisément à faire tomber les préjugés et préventions de toutes sortes, qui altèrent, vous avez raison, notre perception du français. Le français, c’est avant tout le patrimoine immatériel vivant appartenant à tous les citoyens.
L’enjeu est de créer le désir de la fêter, cette langue que nous utilisons tous les jours, en parlant, en chantonnant, en discutant. Ecrivons-nous des lettres d’amour ! C’est cette dimension festive et exploratrice que les artistes vont incarner, véritables médiateurs au service de tous les publics, y compris de ceux qui ne le sont pas encore devenus...
Des artistes vont venir à la Cité pour donner leurs spectacles, leurs expositions. Comment avez-vous conçu la programmation de la Cité autour des thématiques de la langue ?
P. R. : Nous allons inviter des artistes du monde entier à venir montrer tout ce qu’on peut faire avec la langue (la chanter, en rire, en faire du théâtre…). Nous avons monté ainsi une première année, avec des artistes très différents, connus ou moins connus, humoristes, musiciens, comédiens… Et avec, notamment, de grandes figures amoureuses de la langue française : je pense par exemple à Daniel Auteuil, qui vient du théâtre, qui est passé par le cinéma et qui arrive à la chanson avec toujours ce même goût puissant pour les mots.
Vous avez construit la programmation autour des quatre saisons de l’année dans lesquelles s’inscrivent une offre foisonnante, à commencer par les « Week-end au château » et les « Vacances à la Cité » …
P. R. : Nous allons nous appuyer sur ce que nous appelons « les moments de curiosité disponible » du public. Nous ne voulons pas nous adresser qu’à un public d’habitué, consommateur des spectacles d’un lieu identifié comme tel, pour lequel il n’y a plus qu’à remplir des cases de programmation. Ce public moins habitué n’est pas moins curieux, il est prêt à venir chez nous, pourvu qu’il y passe de bons moments, prêt à susciter sa propre curiosité, pourvu qu’on ne l’ennuie pas.
Comment la Cité internationale de la langue va-t-elle rencontrer son public ?
P. R. : C’est le début d’une grande aventure. Il faut prendre le temps de convaincre en douceur. Pour qu’un équipement culturel rencontre un territoire, il faut du temps. Et il en faut aussi pour qu’un territoire rencontre un équipement culturel de cette importance. Certains visiteurs viendront tout de suite et seront fidèles : nous avons besoin d’eux. Mais nous prendrons aussi le temps de faire venir un très large public, même celui qui fréquente moins les équipements culturels publics.
Nous misons sur la qualité de notre programmation et des bons moments que nous offrirons à nos visiteurs pour faire fonctionner le bouche-à-oreille. C’est très efficace, précisément, pour casser cette barrière intimidante dont souffrent les lieux culturels. Nous allons faire en sorte que les expositions, la première sera dédiée à la chanson, restent le plus longtemps possible, afin que personne ne « rate l’expo ».
Depuis des années je milite pour que les productions artistiques s’inscrivent dans une durée plus longue, non seulement pour en amortir le coût, mais surtout pour que tous les publics puissent voir les œuvres. Si vous avez rempli quatre fois votre salle avec un public d’amateurs, c’est très bien. Mais ce qui m’intéresse, c’est le cinquième soir. Aujourd’hui, c’est l’attention aux questions environnementales qui transforment les pratiques culturelles en allongeant les temps de programmation. Profitons-en pour améliorer ainsi la diversité de nos publics.
Et puis cette renommée de la Cité va s’appuyer aussi sur un réseau de partenaires sur le territoire…
P. R. : En effet. Ces partenaires y accomplissent un travail formidable depuis bien longtemps ! Nous avons construit ainsi un premier cercle sur le territoire autour de la Cité avec notamment la Cité de la musique et de la danse du Grand Soissons et le Centre de développement chorégraphique national de Château-Thierry (L’Echangeur). Des rapprochements qui nous permettent de produire et d’accueillir des spectacles ensemble.
L’offre culturelle de la Cité ne s’arrête pas aux expositions et aux spectacles. Il y a aussi les résidences…
P. R. : Cette dimension est très importante. A ce titre, la Cité s’appuie sur un réseau d’opérateurs culturels : les Francophonies de Limoges, la Chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon, la Cité des arts à Paris, avec lesquels nous formons un quadrige mieux à même de répondre aux besoins des résidents artistiques. Nous avons aussi un projet avec Viva Villa !, le rendez-vous autour des quatre grandes résidences d’artistes françaises à l’étranger.
Le français est aussi une « langue-monde », d’où la dimension très importante de la francophonie dans le dispositif de la Cité.
P. R. : A la Cité, on parle toutes les langues françaises, car, comme l’a affirmé le Président de la République, la langue française n’appartient à aucun d’entre nous, mais est la propriété de tous. Elle s’est émancipée de son lien avec la nation française pour accueillir tous les imaginaires. La francophonie élargit magnifiquement l’intérêt et la dynamique de la langue. Et la Cité est là pour l’incarner le mieux possible.
Le public verra ainsi combien la liberté et l’inventivité que recèle la langue française, quand on l’entend par exemple depuis le Congo, depuis Montréal ou depuis la Belgique, sont étonnantes et font la riche de la langue française dans sa diversité ! Ici l’enjeu est vraiment d’ouvrir les publics au voyage, car ce qui nous manque le plus, assurément, c’est de quitter notre ignorance. On sait si peu de choses sur notre propre langue et sur la multitude de ses foyers dans le monde
Partager la page