Entre eux, ils l’appellent familièrement « le Patron », et ils parlent, pour la salle Richelieu, située au Palais-Royal, de « sa maison ». Mais qu’on ne s’y laisse pas prendre : les longues traditions et « le répertoire » n’entament pas la vitalité de la « Troupe », ni le désir de créer. C’est ce que confirmera cette saison toute entière consacrée à célébrer l’anniversaire de celui dont le nom, consécration unique, entre dans une périphrase qui désigne notre langue.
Pour Eric Ruf, administrateur général de la Comédie-Française depuis 2014, qui signe l’éditorial de présentation de la saison, Molière revêt « mille visages et mille théâtres », si bien que « la seule autorité que nous puissions avoir, nous, en sa Maison (ou déclarée telle), c'est bien d'en dresser un portrait aussi douteux que riche, seule manière d'atteindre peut-être à un bout de vérité. Alors ne craignons pas de continuer à le pister dans toutes les directions, qu'elles soient fastueuses ou maigres, révolutionnaires ou potaches, fondées ou masquées, ciblées ou détourées. » Autrement dit une programmation sans complexe, fondée dans le désir de jouer, qui convoque « près de trente metteuses et metteurs en scène » avec lesquels « nous tenterons d’approcher par tous les détours l’iconoclaste figure tutélaire de notre théâtre. »
La toute première version du Tartuffe, jouée une seule et unique fois en 1664
Ces mille portraits de Molière se partagent toutefois en deux grandes familles de styles distincts, précise Eric Ruf : celle « des conservateurs-archivistes, historiens, universitaires » et celle « de ses comédiens », la recherche du savoir et la recherche du meilleur jeu, deux chemins intenses et passionnants.
Ces chemins se croiseront le 15 janvier 2022, jour anniversaire du baptême de Jean-Baptiste Poquelin (15 janvier 1622) : le metteur en scène Ivan van Hove, en effet, fera entrer au répertoire de la troupe rien moins que… Tartuffe, oui, un Tartuffe jusqu’ici inconnu, celui que Molière écrivit en 1664, qu’il joua devant le roi, lequel l’apprécia sans doute beaucoup mais ne pouvait que l’interdire. Georges Forestier, auteur d'une passionnante biographie de Molière chez Gallimard (2018), a restitué cette toute première version sulfureuse en trois actes.
Un feu d'artifice de créations
Parmi les spectacles programmés, il ne faudra pas manquer non plus, évidemment, Dom Juan, Le Misanthrope, Les Précieuses ridicules, L’Avare, Les Fourberies de Scapin, le Mariage forcé… avec une mention particulière pour Le Bourgeois Gentilhomme, donné dès octobre dernier, et Christian Hecq, inénarrable dans le rôle-titre. L’occasion sera donnée, pour ceux qui auront la chance d'en être, d’apprécier la richesse et la variété de l’art incroyable de tous ces comédiens et comédiennes.
On ne perdra rien non plus à s’intéresser aux spectacles originaux créés pour l’occasion. Nul ne devra contourner « l’impromptu musical » par lequel « six comédiennes et comédiens de la troupe, accompagnés d’une violoncelliste et d’un théorbiste, retraceront la trajectoire rayonnante et ambivalente du duo Molière-Lully ». On découvrira aussi, par exemple, cet auteur italien, Giovanni Macchia (1912-2001), qui écrivit Le Silence de Molière, un texte d’une grande finesse sur « Mademoiselle Molière », qui sera interprétée par Daniel Lebrun. On croisera les leçons de Louis Jouvet dans une adaptation et mise en scène de Lisa Guez. Anne Kessler, de son côté, interprétera les femmes de Molière, dans une adaptation savoureuse de celles qui sont « toutes si différentes mais qui viennent d’un seul et même cœur », dans un seul-en-scène à ne pas manquer.
Et parmi d’autres propositions d’excellence, on attendra avec impatience la nouvelle création de Julie Deliquet, qui, par une variation subtile à partir des textes de L’École des femmes, la Critique de l’école des femmes et L’Impromptu de Versailles, donnera aux comédiens du Français la joie d’incarner les comédiens de la troupe de Molière.
Des créations largement ouvertes sur les publics
Qu'on se le dise : l’audience des spectacles ne restera pas confidentielle ! Si la Comédie française, en effet, dispose déjà de trois salles, non seulement certains spectacles partiront en tournée, mais encore d’autres seront diffusés par France Télévisions.
Mieux encore, le programme « La Comédie française au cinéma », monté en collaboration avec Pathé live, sera l’occasion de diffuser en direct, dans les salles de toute la France, mais aussi de l’étranger, quatre productions de la saison Molière 2022. Ne pas manquer de réserver vos places au multiplex voisin !
Et ce n’est pas tout : la Troupe reprendra son « Théâtre à la table », formule initiée pendant le confinement, éditée en direct sur sa chaîne youtube, qui a pulvérisé son audience ordinaire et l’a élargie aux internautes du monde entier. Cette fois, la séance à la table sera donnée en public avant d’être mise en ligne.
La radio et le podcast ne seront pas en reste, chez France Culture, France Inter, RFI et France Musique.
Enfin, les groupes et les collectivités, les publics enseignants et scolaires, les publics du champ social, les personnes en situation de handicap, personne n’est oublié à cette fête, grâce à des tarifs (et notamment la « carte Molière »), des dispositions d’accueil et des actions adaptées.
Spectacles, expositions, publications... une très riche année Molière en 2022
L'année Molière 2022, c'est aussi toute une série d'événements qui vont se tenir sur l'ensemble du territoire. Petit aperçu.
> l’hommage ne serait pas complet sans de belles expositions. A Moulins, le Centre national du costume de scène (CNCS) présentera plus de 150 costumes et ensembles de maquettes, photographies et captations audiovisuelles. La Bibliothèque-musée de l’Opéra s’intéressera bien évidemment au précurseur de l’opéra français, et la Bibliothèque nationale de France (site de Richelieu), quant à elle, reviendra, chez Molière, sur la thématique passionnante et terrible du Jeu du vrai et du faux.
> A Pézenas, ville d'Occitanie où l'auteur des Fourberies de Scapin a séjourné à plusieurs reprises, c'est un week-end de festivités qui célèbrera le 400e anniversaire de sa naissance.
> La Bretagne se mobilise avec de nombreux spectacles soutenus par la Drac, dont Mission Molière, une création originale de Johann Sauvage en mai et juin prochains. A noter également la tenue, du 17 au 19 novembre, d'un colloque international à l'université de Rennes. Son thème : Molière et les acteurs comiques, arts et techniques de la création.
> Parmi les très nombreuses publications auxquelles donne lieu le 400e anniversaire de Molière, signalons un passionnant Atlas Molière signé Clara Dealberto, Jules Grandin et Christophe Schuwey (Les Arènes), le Dictionnaire amoureux de Molière de Francis Huster (Plon) et la réédition de l'ouvrage d'un maître : Michel Bouquet raconte Molière préfacé par Fabrice Luchini (Philippe Rey).
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