Un exemple (presque) complet de retable anglais de la fin du Moyen Âge
Entre le milieu du XIVe siècle et la Réforme anglicane au XVIe siècle se développe dans les Midlands, au cœur de l’Angleterre, une importante production de sculptures en albâtre, exportées à travers toute l’Europe. Vendus à l’unité ou en série, peints et dorés, livrés « en kit » avec des dais amovibles, ces reliefs en albâtre étaient fixés dans des cadres en bois pour former des retables dont la taille et le thème s’adaptaient aux souhaits et aux capacités financières des commanditaires. Cette production abondante et les liens étroits qui unissaient l’Angleterre et la Haute-Normandie se traduisent par la présence d’une cinquantaine de reliefs en albâtre conservés aujourd’hui dans les églises et les musées du département de l’Eure. Cependant, rares sont les exemples de retables aussi monumentaux (1,10 m de haut et 2,30 m de large) et complets que celui de l’église Saint-Pierre de La Selle à Juignettes (Eure), objet mobilier classé au titre des monuments historiques par arrêté du 24 novembre 1906.
Réalisé à la fin du XVe ou au début du XVIe siècle, le retable de La Selle a par ailleurs conservé une grande partie de son cadre en chêne d’origine orné d’inscriptions gothiques qui explicitent les scènes représentées. Autour du panneau central de l’Assomption et du Couronnement de la Vierge par la Trinité, douze grands reliefs se déroulent en deux registres : le registre inférieur est consacré à la vie de la Vierge, tandis que le registre supérieur relate les épisodes marquants de la vie de saint Georges, patron de la chevalerie et saint national de l’Angleterre. L’association de ces deux cycles iconographiques correspond aux intentions du commanditaire, certainement un noble anglais ou normand. Le retable est scandé par des séries de niches de plus petite taille peuplées de statuettes de saintes (Madeleine, Barbe), de saints (Christophe, Antoine) ou encore d’apôtres (Pierre, Paul, Jean, André, Jacques le Majeur). Comme cela est habituel dans le corpus des albâtres anglais de cette époque, la qualité d’exécution des sculptures est relativement modeste, mais tant le cadre en bois que les scènes figuratives en albâtre ont conservé de nombreuses traces de dorure et de polychromie, qui en font un ensemble riche et chatoyant.
Du pillage à la redécouverte des reliefs d'albâtre du retable de La Selle
Plusieurs scènes, personnages et dais en albâtre ont été volés dans l’église de La Selle entre 1947 et 1966. En 2015, l’ensemble du retable a été déposé par la commune de Juignettes – qui reste propriétaire de l’œuvre – au musée d’art, histoire et archéologie d’Évreux, où il est exposé dans les salles du parcours permanent (fig. 1). Fin 2018, près de 75 ans après leur disparition, quatre des quelque dix éléments disparus ont été redécouverts en mains privées en Nouvelle-Aquitaine et restitués par le détenteur de bonne foi : saint Antoine ermite avec son cochon et son tau (fig. 2-4), saint Jean l’Évangéliste tenant la coupe d’où sort le dragon (fig. 5-6), saint Christophe portant l’Enfant Jésus (fig. 7-8) et un dais architecturé (fig. 9), qui prenaient place dans les niches latérales du retable.
Grâce à l’implication des équipes de la DRAC Nouvelle-Aquitaine (CRMH et CAOA), du musée d’Aquitaine, de la DRAC Normandie (CRMH et CAOA), du musée d’art, histoire et archéologie d’Évreux et de la sous-direction des monuments historiques et des sites patrimoniaux du ministère de la culture, les quatre œuvres ont été abritées temporairement au musée d’Aquitaine avant d’être rapatriées le 10 avril 2024 à Évreux. Elles seront nettoyées et restaurées avant d’être de nouveau exposées au public dans l’écrin doré du retable de La Selle.
Photos et texte - Pierre Taillefer
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