Les toiles colorées et habitées de Nengi Omuku répondent aux images photographiques désincarnées et quasi-abstraites de Karim Kal
Ces deux artistes questionnent la façon dont les corps tentent de s’émanciper d’un cadre normatif, qu’il soit social, architectural ou politique.
© La Mer à Fort-de-l’Eau, Alger, 2015 Issue de la série Environ Alger, 2014-2015 Tirage jet d’encre, contre-collage dibond 180 × 135 cm Courtesy de l’artiste Karim Kal et oeuvre de Nengi Omuku La Galerie, Centre d'art contemporain de Noisy-le-Sec © Aurélien Mole
Nengi Omuku observe comment les êtres humains se positionnent et s’adaptent les uns aux autres dans l’espace. Son travail est influencé par une certaine politique du corps et par les complexités qui entourent l’identité et la différence, En réaction aux récentes expériences contraignantes du confinement, les dernières peintures de Nengi Omuku témoignent de l’intérêt que l’artiste porte au corps collectif et à la vie en communauté.
Vue de l'exposition de Karim Kal et Nengi Omuku - La Galerie, Centre d'art contemporain de Noisy-le-Sec © Aurélien Mole
Vue de l'exposition de Karim Kal et Nengi Omuku - La Galerie, Centre d'art contemporain de Noisy-le-Sec © Aurélien Mole
Peints sur des pans de tissu traditionnel nigérian (Sanyan*), les portraits colorés qu’elle réalise sur fond de paysages oniriques semblent glisser de formes anthropomorphes en surface bariolées, révélant ainsi des problématiques en lien avec le genre, la race et l’héritage culturel.
Vue de l'exposition de Karim Kal et Nengi Omuku - La Galerie, Centre d'art contemporain de Noisy-le-Sec © Aurélien Mole
En prenant ses distances avec un certain lyrisme propre à une tradition de la photographie documentaire, la pratique de Karim Kal se nourrit davantage de références à l’Histoire de l’Art comme l’abstraction ou le minimalisme. Éminemment politique et poétique, sa démarche photographique rend compte d’une forme de coercition spatiale induite par une supposée ergonomie structurelle et sociale.
© La Mer à Fort-de-l’Eau, Alger, 2015 Issue de la série Environ Alger, 2014-2015 Tirage jet d’encre, contre-collage dibond 180 × 135 cm Courtesy de l’artiste Karim Kal Vue de l'exposition " A corps défendant" de Karim Kal et Nengi Omuku - La Galerie, Centre d'art contemporain de Noisy-le-Sec © Aurélien Mole
Les grands aplats monochromes que Karim Kal privilégie dans ses images ancrent ces dernières dans une critique de la domination provoquée par l’influence de l’architecture sur nos habitudes, et envisage le bâti comme un marqueur culturel et idéologique. Avec ses paysages urbains nocturnes, il dessine les contours sociaux et politiques de ces environnements, comme autant de cadres d’écrans noirs dans lesquels il est possible de projeter d’innombrables histoires.
Nengi Omuku
Née au Nigéria, Nengi Omuku a suivi des études à la Slade School of Fine Arts de Londres, d’où elle est sortie diplômée en 2012. Elle développe depuis un travail pictural influencé par une certaine politique du corps et par les complexités qui entourent l’identité et la différence. Si elle est notamment reconnue pour ses portraits d’individus isolés issus de différentes cellules familiales, Nengi Omuku observe surtout comment les êtres humains se positionnent et s’adaptent les uns aux autres dans l’espace. En filigrane, son œuvre rend compte des conditions parfois éprouvantes produites par la violence de l’histoire, du colonialisme, de la discrimination et de différentes coercitions, qui se répercutent de générations en générations dans les esprits et les corps, dans les vies sociale et intime.
Nengi Omuku, Ring A' Roses 2021 huile sur sanyan. Production La Galerie, Centre d'art contemporain de Noisy-le-Sec. Courtesy de l'artiste et Kristin Hjellegjerde Gallery, Vue de l'exposition " A corps défendant" de KarimKal et Nengi Omuku - La Galerie, Centre d'art contemporain de Noisy-le-Sec © Aurélien Mole
Le sanyan* tire ses origines de la culture yoruba : à partir de soie initialement récoltée dans le nord du pays et tissée avec du coton industriel provenant de l’ouest, ce tissu est largement répandu au Nigéria. La découverte de ce matériau par l’artiste est « comme une expérience spirituelle » marquée par « la sensation de celui-ci, son artisanat, son histoire et son âge1 ». Nengi Omuku souhaite que ce tissu fasse corps avec son oeuvre et change alors sa façon de peindre. La surface très rugueuse de cette matière induit effectivement un ajustement de style où les marques de pinceau deviennent beaucoup plus lâches. Au-delà de cet aspect purement pictural, le sanyan permet à Nengi Omuku de proposer une compréhension précoloniale du vêtement nigérian comme réel marqueur identitaire, à la différence du wax africain aujourd’hui largement répandu en Afrique de l’Ouest mais dont la naissance, finalement, est intrinsèquement liée au colonialisme hollandais et au commerce entre l’Afrique et l’Indonésie dans la seconde moitié du XIXe siècle.
Karim Kal
L’intérêt de Karim Kal pour l’identité territoriale, pour les mouvements migratoires et pour ce qui est en marge peut notamment s’expliquer par son parcours biographique et familial qui selon lui "a une incidence significative". Né d’un père algérien et d’une mère française, Karim Kal a "grandi à la campagne, tout en baignant dans une culture ou contreculture urbaine" qui l’ont sans conteste influencé. Son double cursus à l’École Supérieure des Beaux-arts de Grenoble et à l’École de photographie de Vevey (Suisse) lui permet d’entremêler habilement l’Histoire de l’Art et celle de la photographie. En prenant ses distances avec un certain lyrisme propre à une tradition de la photographie documentaire, la pratique de Karim Kal se nourrit davantage de références artistiques comme l’abstraction ou le minimalisme. Éminemment politique et poétique, sa démarche photographique rend compte d’une forme de coercition spatiale induite par une supposée ergonomie structurelle et sociale. Les grands aplats monochromes que Karim Kal privilégie dans ses images ancrent ces dernières dans une critique de la domination provoquée par l’influence de l’architecture sur nos habitudes, envisageant le bâti comme un marqueur culturel et idéologique. Avec ses paysages urbains nocturnes, il dessine les contours sociaux et politiques de ces environnements, comme autant de cadres d’écrans noirs dans lesquels il est possible de projeter d’innombrables histoires. Au sein du programme "Regards du Grand Paris" porté par le Centre national des arts plastiques et les Ateliers Médicis, Karim Kal a réalisé un ensemble de photographies en 2017 le long de la ligne D du RER, de Grigny à Corbeil-Essonnes. Issu de cette série intitulée Ligne Dée, le visuel présenté ici occupe l’intégralité du mur, tiré sur un grand papier peint, qui semble prolonger la perspective vers une obscurité noire et profonde. Les seuls éléments urbains qui se détachent se trouvent dans la partie inférieure de l’image : la chaussée, le trottoir et la pelouse sur laquelle est installée une poubelle.
Karim Kal, série Sols, Noisy-le-Sec, 2021 Tirages jet d’encre sur papier baryté, dibond. Production La Galerie, centre d’art contemporain de Noisy-le-Sec Courtesy de l’artiste.Vue de l'exposition " A corps défendant" de KarimKal et Nengi Omuku - La Galerie, Centre d'art contemporain de Noisy-le-Sec © Aurélien Mole
Ce sont autant de détails a priori familiers que le mode opératoire de l’artiste rend à la fois saillants et étranges ; l’éclairage artificiel du flash éclaire et révèle davantage ce qui est à "proximité immédiate et laisse par conséquent dans l’ombre tout ce qui se trouve à distance. Karim Kal sait parfaitement tirer profit de cette caractéristique technique. Dans ses images, la clarté n’atteint jamais les lointains. […] Il produit ainsi des images parfaitement lisibles sur leur pourtour et d plus en plus sombres à mesure que l’œil s’approche du centre".
La Galerie, premier centre d’art labelliséCentre d’art contemporain d’intérêt nationaldans le département de la Seine-Saint-Denis et du Nord-Est francilien
La Galerie, centre d’art contemporain de Noisy-le-Sec a reçu l’attribution label "Centre d’art contemporain d’intérêt national" par le ministère de la Culture en juin 2021.
Ce label est une étape importante pour la Ville de Noisy-le-Sec et vient distinguer l’excellence du travail conduit par La Galerie au fil des années, et l’engagement de son équipe et des directions émérites qui s’y sont succédé : Hélène Chouteau (1999-2004), Marianne Lanavère (2005-2012), Émilie Renard (2012-2018) et aujourd’hui Marc Bembekoff.
Vue extérieure de La Galerie © Aurélien Mole
Initiée et portée par la Ville de Noisy-le-Sec en 1999, La Galerie a depuis exposé le travail de plus de 360 artistes français·e·s et étranger·e·s, produit plus de 660 œuvres originales (dont certaines font désormais partie des collections de musées prestigieux), et a accueilli près de 180 000 visiteur·se·s dont 110 000 scolaires. Sa remarquable dynamique et la dimension prospective et internationale de son approche décloisonnée de la création visent à favoriser la rencontre entre les artistes et les publics. Cette distinction nationale valorise davantage le territoire noiséen, notamment auprès des artistes dont le regard inédit et sensible sur les enjeux du monde s’avère encore plus essentiel aujourd’hui.
La Galerie est financée par la Ville de Noisy-le-Sec et bénéficie du soutien de la Direction régionale des affaires culturelles d’Île-de-France, du Département de la Seine-Saint-Denis et de la Région Île-de-France. Cet équipement municipal fait partie de plusieurs réseaux : d.c.a – association de développement des centres d’art contemporain, TRAM – réseau art contemporain Paris/Île-de-France, Arts en résidence – réseau national et BLA! Association des professionnel·le·s de la médiation en art contemporain.
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