Son livre, fruit de recherches approfondies, propose une analyse novatrice de "Guernica", la peinture monumentale de Picasso, par le prisme de ses pérégrinations, méconnues, explorant les dimensions historiques, artistiques et politiques de ce tableau. À travers cette publication, Isabelle Limousin contribue à la mise en valeur de l'histoire de l'art à destination d’un large public.
Cette interview met en lumière la sensibilité d'Isabelle Limousin pour l’art, son goût pour l’écriture et la recherche, soulignant son rôle essentiel au sein de la DRAC Île-de-France et son dévouement à la transmission et à la préservation de la culture.
Pouvez-vous nous décrire votre rôle et missions au sein de la DRAC Ile de France ?
Isabelle Limousin : En tant que conseillère pour les musées au sein du service des musées de la DRAC Île-de-France, j’assure le suivi des musées de France et des Maisons des Illustres dans trois départements de la région : les Yvelines, l’Essonne et le Val-d’Oise.
J’apporte écoute et conseil aux établissements de ces départements, assure le contrôle scientifique et technique de l’État sur les activités des musées, en particulier les acquisitions et les restaurations par l’organisation de commissions scientifiques régionales. J’accompagne également les établissements dans les moments clés que sont les projets d’investissement, avec l’appui de l’expertise des collègues du Ministère de la culture en matière de conservation préventive, de sûreté, de sécurité ou de muséographie, lorsque nécessaire. Mon rôle est essentiel pour entretenir le lien entre les musées, les territoires et les services centraux de l'État.
Qu'est-ce qui vous a poussé à écrire un livre sur "Guernica" de Picasso ?
"C’est Nathalie Leleu, fondatrice de la maison d'édition Archivio, qui m'a invitée à écrire cet ouvrage sur "Guernica", le deuxième livre de la collection "La vie privée des œuvres".
Parlez-nous de votre processus de recherche et d’écriture pour ce livre ?
"Ce processus s'est appuyé sur les recherches archivistiques que j’ai conduites sur Picasso et "Guernica". Une partie de ces recherches a été menée lors de la préparation de l'exposition "Picasso et la guerre", dont j'étais commissaire pour le musée de l'Armée et qui était coproduite avec le musée national Picasso - Paris. Une autre, dans les fonds Picasso en France et aux États-Unis, comme ceux du MoMA de New York. Ces recherches ont nourri et fondé l'écriture de cet ouvrage.
Mon objectif était de rédiger un texte scientifiquement solide. Les informations et connaissances présentées dans cet ouvrage sont traitées avec la même rigueur scientifique que celle appliquée aux cartels, textes de salle ou au catalogue d’une exposition.
Par ailleurs, l'objectif de la collection est de rendre l'histoire de l'art accessible à tous les lecteurs, qu'ils soient spécialistes ou non. En tant que professionnelle des musées, j'ai souvent constaté que l'histoire de l'art pouvait paraître difficilement accessible. Il est donc essentiel de l'ouvrir à un public large. En écrivant ce livre, j'ai voulu que chacun puisse lire et comprendre la spécificité de cette œuvre et son histoire, depuis la guerre civile espagnole jusqu'à la fin de la guerre froide, couvrant ainsi plusieurs décennies du XXe siècle."
Quelle est votre analyse personnelle de "Guernica" et quels messages clés pensez-vous que Picasso voulait transmettre ?
"Cette œuvre a fait l'objet de nombreuses exégèses par de grands auteurs et historiens de l'art. À mon avis, "Guernica", désormais présentée au Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía à Madrid, n'a pas besoin d'une analyse supplémentaire. Cette œuvre monumentale s'adresse directement à tous par ses impressionnantes dimensions (presque 3.5 m par 8 m), ses formes et ses couleurs. Les choix radicaux de Picasso - le gris, le blanc et le noir - et les formes marquées par la souffrance, véhiculent une émotion puissante, perceptible par tous.
Je pense que "Guernica" se suffit à elle-même et ne nécessite pas d'interprétation additionnelle. Elle résulte d’un évènement historique survenu le 26 avril 1937, le massacre de Guernica, un village important du Pays basque, pendant la guerre civile espagnole par l'aviation allemande et italienne. Cet événement, marquant une nouvelle méthode de guerre, a entraîné la destruction massive et la mort de nombreux civils, lors d'un jour de marché. Picasso, vivant à Paris depuis plusieurs années, a découvert ce massacre à travers la presse. Cette tragédie a profondément marqué l'artiste et rejaillit dans la puissance expressive de Guernica."
Avez-vous découvert des aspects ou des anecdotes particulières sur "Guernica" lors de vos recherches ?
"Au fil de mes recherches pour cet ouvrage, j’ai été sensible entre autres au choix radical de Picasso au moment de peindre "Guernica". Il l’a fait en très peu de temps. L'inspiration est venue lorsqu’il a appris le massacre de la ville, Picasso a rapidement concrétisé ses idées sur papier. Il a ainsi réalisé plus d'une trentaine d'études préparatoires.
Ces études sont marquées par l’usage de couleurs vives, qui paraissent joyeuses et provoquent un contraste frappant entre les formes de la souffrance. Pourtant, pour l'œuvre finale, Picasso a fait le choix d'utiliser le noir, le gris et le blanc. En optant pour ces couleurs sans concession, il a intensifié la puissance douloureuse de l'œuvre."
Comment votre formation et votre expérience à la DRAC ont-elles influencé la rédaction et la promotion de votre livre ?
“En tant que conservatrice du patrimoine, le partage de la connaissance ainsi que l'accessibilité de l'histoire de l'art sont au fondement de mes missions. Ce projet m'a particulièrement intéressée car il vise à rendre cette histoire accessible au plus grand nombre, dans un domaine souvent méconnu malgré l’omniprésence des œuvres d'art.
C'est ce que nous défendons et soutenons à la DRAC : rendre l'art accessible au plus grand nombre. Les politiques culturelles du ministère de la Culture, depuis sa création en 1959, visent à ouvrir et partager l'art avec tous les citoyens, afin de contribuer à l'émancipation de chacun et à la construction d'une culture partagée.
Dans cet ouvrage, j'ai voulu souligner que les peintures ne sont pas simplement de la toile tendue sur un châssis avec une couche picturale, mais des objets qui pour certains jouent un rôle dans la société et contribuent à écrire l'histoire d’une époque. Les œuvres sont puissantes et participent activement à la société."
Comment parvenez-vous à équilibrer vos responsabilités professionnelles à la DRAC avec vos projets d'écriture et de recherche ?
"Il y a en effet un équilibre à trouver entre ces deux sphères d’activité, mais aussi avec une troisième, celle de ma vie familiale. Comme beaucoup de femmes, je veille à organiser ces sphères de manière à ce que chacune ait sa place. Car je souhaite toutes les assumer et les vivre pleinement. Sans renoncement. Cela requiert de trouver un équilibre, très personnel. Il n'y a pas de modèle unique."
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