Ernest Renan fut l'un des savants les plus profonds et les plus féconds de son temps, et peut-être le plus audacieux. Sa Vie de Jésus (1863), qui initia une approche scientifique des débuts du christianisme, à travers la philologie, l'histoire et l'archéologie, fit l'effet d'une bombe. Amoureux des langues anciennes autant que de la langue celtique qu'il parlait couramment, pour être né à Tréguier, il est aussi célèbre (et encore lu avec soin) pour son essai Qu'est-ce qu'une nation ? (1882)
Il marque la Bretagne de son souvenir dans deux belles demeures toutes deux labellisées "Maisons des Illustres" par le ministère de la Culture. Celle de Tréguier, maison de son enfance, est devenue son musée. Toutes les infos sur les commémorations sont rassemblées sur le site de France Mémoire (voir le lien au bas de notre article).
Les origines trégorroises d'un élève extrêmement brillant
Le 27 février 1823 à Tréguier dans les Côtes-d’Armor, Ernest Renan voit le jour dans une famille désargentée. Son père, marin et républicain convaincu, a épousé la fille de commerçants royalistes installés à Lannion, la ville voisine. Dès son plus jeune âge, Ernest Renan est bercé par les opinions politiques et religieuses respectives de ses parents. Il a à peine cinq ans quand son père meurt noyé en mer au large d’Erquy. C’est sa sœur Henriette, son aînée de 12 ans, qui devient alors le chef moral de la famille.
Esprit libre, élève boursier à l’école des Frères de Lannion puis au petit séminaire de Tréguier, Ernest Renan impressionne ses professeurs. Ces derniers remarquent très tôt ses capacités intellectuelles et voient en lui un futur homme d’Église. En 1838, âgé de 15 ans, il termine son collège auréolé de nombreux prix d’excellence. Henriette, devenue institutrice à Paris, lui propose de la rejoindre.
Le voilà inscrit en seconde au séminaire de Saint-Nicolas du Chardonnet. Plus que la philosophie et la théologie, c’est la philologie (étude historique d’une langue par l’analyse critique des textes) qui intéresse Ernest Renan. Il se passionne pour les langues anciennes et, en plus du grec et du latin, apprend l’hébreu et le syriaque. L’étude des textes anciens ébranle la foi d’Ernest Renan, qui commence à émettre des doutes sur la Bible en tant que livre révélé. Cela ne l’empêche pas de recevoir la tonsure le 23 décembre 1843. Mais cinq ans plus tard, il renonce définitivement à sa carrière ecclésiastique et préfère devenir enseignant, avant d’être nommé chargé de mission en Italie pour y étudier des manuscrits grecs et orientaux.
Pensée et œuvre d'un "saint laïc" de la IIIe République
A la fois écrivain, philosophe, historien et philologue, il est notamment l'auteur d'ouvrages qui examinent les évangiles à la lumière d'une critique scientifique qui scandalise le clergé et la droite catholique royaliste. Savant respecté dans toute l'Europe, Renan reçoit tous les honneurs : il est membre de l'Académie des inscriptions et belles lettres, professeur au Collège de France, académicien et officier de la Légion d'honneur.
Philologue particulièrement versé dans les langues sémitiques, après avoir abandonné l’état ecclésiastique, il est deux fois lauréat de l'Institut ; professeur d'hébreu au Collège de France en 1862, il fait paraître en 1863 Vie de Jésus, son œuvre capitale, qui soulève d'extraordinaires polémiques. De nombreuses attaques ou défenses de cette œuvre paraissent en France et à l'étranger ; le pape l'appelle le "blasphémateur européen", des manifestations hostiles se produisent au Collège de France, amenant la suspension de son cours. Le gouvernement impérial lui offre comme compensation l'administration de la Bibliothèque nationale qu'il refuse. Après les changements de régime faisant suite à la guerre de 1870, Ernest Renan est réintégré dans sa chaire et élu administrateur du Collège de France en 1883 où il est réélu tous les trois ans. Membre de l'Académie des Inscriptions et Belles Lettres depuis 1856, il est également élu à l'Académie française le 13 juin 1878 en remplacement de Claude Bernard.
Parmi les autres œuvres souvent citées, sa célèbre Prière sur l'Acropole constitue en fait le chapitre II de ses Souvenirs d'enfance et de jeunesse publiés en 1883. Ernest Renan y évoque la découverte qu'il fit de la Grèce lors d'un voyage en 1865. Prière sur l'Acropole remporte un vif succès et fait l'objet, en 1899, d'une somptueuse publication illustrée par des compositions de H. Bellery-Desfontaines et tirée à 400 exemplaires pour l'Exposition Universelle de 1900. Le court texte est rééditée à Paris en 1920 par la librairie F. Ferroud. Les illustrations de Serge de Solomko constituent l'une des merveilles de l'édition française de cette époque.
Illustration de Serge Solomko pour Prière sur l'Acropole, d'Ernest Renan © Coll. Archives Larbor-DR
La statue du savant sculptée par Jean Boucher, érigée en 1903 place du Martray à Tréguier, s'inspire de ce texte en le présentant en position assise, dominé par la statue d’Athéna, symbolisant la libre Pensée.
Attachement aux racines bretonnes
Ernest Renan quitte la Bretagne et son Trégor natal à l'age de 15 ans. Après la fin de ses études à Paris, il a l'opportunité de parcourir d'Europe et de découvrir notamment l'Italie, la Grèce et la Suède. Il ne revient régulièrement en Bretagne qu'à partir du milieu des années 1880. Parlant couramment breton, il n'oublie pas ses racines et publie dès 1854 L’Âme bretonne. Ernest Renan, qui désire renouer avec ses origines depuis son retour dans sa ville natale de Tréguier en 1868 à l’occasion de l’inhumation de sa mère, accepte, incité par Narcisse Quellien, de compter parmi les membres fondateurs de la Société celtique et des dîners qui lui sont associés. La Société celtique s’ouvre aux Bretons de France et d’outre-Manche comme aux simples amis des études celtiques. Dans les faits, les premiers Dîners celtiques organisés mensuellement à Paris regroupent surtout des Bretons et des philologues celtisants. C’est sous sa présidence qu’a lieu le premier Dîner celtique en 1878-1879 au café d’Alençon en face de la gare Montparnasse. En 1880 il en devient président d'honneur à vie.
De 1885 à 1892, Ernest Renan revient passer ses étés en Bretagne à Rosmapamon, une belle demeure qu’il louait à Louannec, près de Perros-Guirec.
La demeure estivale de Rosmapamon et la maison familiale de Tréguier : deux maisons des illustres
La demeure de Rosmapamon est construite en 1840 au 21 route de Perros à Louannec. Ernest Renan la loue et y séjourne avec sa famille et ses hôtes de passage tous les étés pendant huit ans, de 1885 et jusqu'au 18 septembre 1892. Le label "Maisons des Illustres" a été attribué au manoir en 2018. L'accès au parc est occasionnellement ouvert au public notamment lors des Rendez-vous aux jardins, manifestation nationale organisée chaque année début juin.
La maison bourgeoise de notables du 20 rue Ernest Renan à Tréguier abrite aujourd'hui le musée Ernest Renan géré par le Centre des monuments nationaux (CMN). Construite à la fin du XVIe siècle, cette maison typique de l'architecture du Trégor est acquise en 1780 par les grands-parents du savant. Ernest Renan la quitte pour toujours à l'âge de 15 ans. Elle devient musée en 1947. En 1992, lors des cérémonies du centenaire de la mort de l'auteur, la façade sur rue reçoit un décor de bois sculpté. La façade sur jardin a conservé son appareil de pierre.
Maison Ernest Renan de Tréguier Coté jardin
Commémorations du 28 février
Le Comité Renan annonce deux temps forts : le 28 février, une délégation importante visitera la maison de l’écrivain. L’après-midi sera dédiée à une conférence organisée en salle d'honneur de l'hôtel de ville de Tréguier animée par François Hartog, historien et professeur d’Université, à 14 h 30, ouverte au public et gratuite.
Un colloque international dédié à Ernest Renan se tiendra les 30 juin et 1er juillet 2023 au Théâtre de l’Arche où quinze universitaires, sélectionnés par le Comité Renan, interviendront sur le thème « Renan, entre Terre et Mer ». En marge de ce colloque, Paul Barge, acteur trégorrois, fera une lecture de textes (le vendredi à 18 h 30) et la Cheap Cie, en la personne d’Anne Huonnic, théâtralisera la vie de Renan, entre sa mère et sa sœur ; une pièce inédite, pure création écrite par une enfant du pays.
Afin de rendre hommage à l’écrivain trégorrois, à l’occasion du bicentenaire de sa naissance, treize élèves en graphisme du lycée Savina de Tréguier, mettent à l’honneur quatre de ses œuvres théâtrales en partenariat avec le Centre des monuments nationaux et réalisent des affiches en mobilisant plusieurs techniques de gravure. Leurs travaux présentés une année durant dans la maison de famille du savant sont à découvrir à compter du mois de juin 2023.
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