Mesdames et Messieurs les membres de la famille de Grégoire Schusterman,
Madame la Députée, chère Fabienne COLBOC
Madame la Députée, chère Isabelle RAUCH,
Monsieur le Maire de Cagnes-sur-Mer, cher Louis NÈGRE,
Madame l’adjointe au maire de Dieppe, chère Patricia RIDEL,
Mesdames et Messieurs les élus,
Monsieur le président de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, cher Pierre-François VEIL,
Monsieur le Président de la Commission pour la restitution des biens et l’indemnisation des victimes des spoliations antisémites, cher Michel JEANNOUTOT,
Monsieur le Secrétaire général, cher Luc ALLAIRE,
Monsieur le Directeur général des patrimoines et de l’architecture, cher Jean-François HEBERT,
Madame l’Ambassadrice pour les droits de l'homme, chargée du devoir de mémoire relatif à la dimension internationale de la Shoah et aux spoliations, chère Isabelle ROME,
Monsieur le Président du musée d’Orsay, cher Sylvain AMIC,
Monsieur le Directeur du musée Renoir de Cagnes-sur-Mer, cher Emeric PINKOWICZ,
Monsieur le Directeur du musée de Dieppe, cher Pierre ICKOWICZ,
Mesdames, Messieurs,
En nous tenant aujourd’hui devant ces deux toiles, nous partageons tous la même expérience.
Nous plongeons notre regard directement dans les moments les plus tragiques de notre histoire commune.
Des moments, pour reprendre les mots prononcés par le Président CHIRAC le 16 juillet 1995, « qui blessent la mémoire, et l'idée que l'on se fait de son pays ».
Cette histoire dans laquelle ces deux toiles ont été comme englouties, c’est celle des années sombres de l’Occupation et de la Shoah, celle des atrocités commises par les nazis, celle des spoliations et des ventes forcées, de l’humiliation et du vol.
Et parce que ces deux tableaux étaient devenus malgré eux des traces de la persécution et des preuves de l’injustice, c’est avec beaucoup d’émotion que, tous ensemble aujourd’hui, nous faisons acte de réparation.
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Et cet acte de réparation, il commence par le fait de nommer le légitime propriétaire de ses tableaux.
Il s’appelle Grégoire Schusterman.
Marchand d’art né en Ukraine, il a ouvert sa galerie avenue Kléber dès 1933. Amoureux fou de peinture française, il achète nombre de toiles impressionnistes, qu’il admire tout particulièrement.
Mais parce qu’il est né juif, Grégoire Schusterman mesure bien le danger qui le guette lorsque l’armée d’Hitler entre dans Paris. Il faut dire qu’il est aux premières loges, avec le Commandement militaire supérieur allemand qui s’installe à l’hôtel Majestic, en face de sa galerie.
Le vol et les pillages allemands commencent dès juin 1940 pour les plus grands marchands et collectionneurs juifs et les actes antisémites du Gouvernement de Vichy débutent tout aussi tôt.
Alors Grégoire Schusterman prend les devants et s’enfuit pour éviter les persécutions qui s’annoncent. Il ferme sa galerie et quitte Paris pour Nice. Contraint et forcé, il se sépare de ses tableaux.
Et c’est dans la trajectoire de ces deux toiles que l’on peut lire la suite de l’histoire et la double injustice qui est vécue par Grégoire Schusterman.
C’est d’abord l’injustice de la vente forcée, ainsi que l’a révélé l’enquête menée pour établir les faits, et comme en a acté la Commission pour l’indemnisation des victimes de spoliations antisémites.
Car oui, il faut le dire et l’affirmer, la vente forcée, la vente sous contrainte, c’est bien une modalité de spoliation.
Et la seconde injustice, c’est celle de se voir débouté, après-guerre, de toutes les demandes d’indemnisation et de restitution, comme si sa propriété sur ces œuvres lui était contestée une seconde fois.
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Mesdames et Messieurs, pour la France, l’amour de l’art ne peut se concevoir sans l’amour de la justice.
J’ai eu l’occasion de le dire il y a quelques semaines au moment d’inaugurer au Louvre les terrasses « Rose Valland », en hommage à cette grande résistante qui a porté le combat des restitutions et de la recherche de provenance.
Aujourd’hui, ce combat, nous le faisons nôtre, grâce à toutes ces personnes remarquables qui agissent au sein de nos musées et de nos institutions culturelles pour mener ce travail de justice et de réparation.
Je veux saluer les travaux de la chercheuse Hélène IVANOFF, qui, avec la détermination de la famille, ont permis d’attirer l’attention du Ministère sur ces toiles.
Je veux saluer aussi le travail de la Mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945, et notamment celui de Mme Gitta HO, qui a pris la suite.
C’est elle qui a transmis le dossier à la Commission pour l’indemnisation des victimes de spoliations antisémites, que je salue également à travers son président, M. Michel JEANNOUTOT.
Je salue enfin les équipes et les directeurs des musées qui ont conservé et protégé ces œuvres pendant des années. Le musée de Cagnes-sur-Mer, qui abritait, les Cariatides depuis 1995, et musée de Dieppe où se trouvaient les Péniches depuis 1954.
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Mesdames et Messieurs,
Ce travail de longue haleine doit continuer pour que les milliers d’œuvres spoliées retrouvent leurs propriétaires légitimes.
Et je sais bien que cette cause est défendue avec ferveur au sein même de nos institutions culturelles, dans nos musées nationaux mais aussi dans les établissements sous tutelle territoriale.
C’est aussi pour cela que l’aide financière à la recherche de provenance a été doublée cette année pour faciliter ce travail dans davantage d’institutions culturelles régionales.
Et c’est surtout dans cette optique que le Parlement a voté en juillet dernier une loi-cadre de restitution, qui simplifie les procédures.
Je veux encore saluer et remercier nos parlementaires pour ce vote historique, qui fut aussi l’occasion pour la représentation nationale de reconnaître à l’unanimité la nécessité de cette politique de réparation des spoliations.
Je salue notamment les rapporteures de ce projet de loi, Mme la députée Fabienne COLBOC, ici présente, et Mme la sénatrice Béatrice GOSSELIN, ainsi que les présidents des commissions des affaires culturelles, Mme la députée Isabelle RAUCH et M. le sénateur Laurent LAFON.
Mesdames et Messieurs, je le redis : parce que l’amour de l’art ne se conçoit pas sans l’amour de la justice, notre politique des restitutions a une valeur immense. Pour hier, mais aussi pour aujourd’hui.
Car en rendant ses œuvres à leurs propriétaires légitimes et à leurs descendants, on permet de rompre le cycle de l’injustice. On permet à des familles de reconstruire des souvenirs, un passé et une mémoire.
Et surtout, on affirme des valeurs humanistes, des valeurs de liberté et de justice, qui fondent notre idée de la France et de la République.
Ces toiles, aujourd’hui, sont devenues plus que des œuvres d’art. Elles étaient devenues des traces de la cruauté de l’histoire, des signes de la persécution et de l’injustice.
Mais en présidant aujourd’hui cette cérémonie, j’ai le sentiment que nous en faisons aussi les symboles de notre engagement pour l’avenir.
Je vous remercie.