Cher Costa-Gavras,
Chère Irène,
Cher Thierry,
Chers Amis,
Je suis très heureuse d’être parmi vous pour célébrer les 130 ans du cinéma.
J’ai hâte, cher Thierry, comme tout le monde ici, de découvrir votre nouveau film sur les origines de cet art qui nous rassemble tous ce soir.
On connaît votre don pour redonner vie aux films du passé et pour les transmettre à un large public. C’est tout un art, ça aussi !
Et c’est bien ça, la magie du septième art : cette capacité à traverser les époques et les générations.
C’est le double miracle du cinéma. Le premier, évidemment, ce fut cette première projection publique, ici même à Paris. « Un truc extraordinaire ! », comme le dit Méliès en sortant du Grand Café. Et il s’y connaissait, en trucs !
Et le second miracle du cinéma, c’est d’avoir conservé toute sa force, 130 ans après, dans un monde saturé d’images ; dans un monde où nous avons tous un lointain descendant du cinématographe dans la poche.
130 ans après, la fascination pour le cinéma est intacte dans le pays qui l’a vu naître, comme en témoigne la magnifique assemblée de ce soir.
Comme en témoigne aussi l’amour toujours renouvelé du public pour les salles obscures. Nos compatriotes ont toujours été parmi les plus cinéphiles au monde ! Depuis la fin de la pandémie, ils sont même les plus cinéphiles du monde.
Le cinéma est donc une grande passion française. Une grande réussite, aussi. Cette réussite est due à l’immense talent de nos cinéastes, bien sûr. Il suffit de voir, chaque année, les palmarès des plus grands festivals internationaux.
Elle est due également à un « État qui comprend, en dépit des régimes et des ministres, qu’une nation sans culture serait comme un pays mort », comme l’écrivait André Bazin dès 1953.
L’histoire du cinéma français, c’est en effet aussi l’histoire d’un soutien public constant, volontariste et pionnier. Depuis le siècle dernier, la France a su bâtir un modèle d’action publique que le monde nous envie aujourd’hui.
Sa grande force, c’est d’avoir su épouser chacune des révolutions qu’a connues le cinéma. Elles ont été nombreuses. Et ce n’est pas fini !
Depuis la création du CNC en 1946, l’État a accompagné chacune de ces mutations. Il a inlassablement préservé la singularité des films en salles quand le cinéma est arrivé dans tous les foyers : par la télévision d’abord, puis par tous les écrans. Je l’ai dit et je le répète : le modèle français de soutien au cinéma est un véritable trésor national. J’y suis très attachée et je le défendrai toujours.
A cet égard, je me réjouis tout particulièrement que la nouvelle chronologie des médias et les accords qui l’accompagnent, passés entre les organisations du cinéma et certains diffuseurs – les plus « historiques » comme Canal+ et les plus récents comme la plateforme Disney+ –consolident le financement de nos films et la place unique de la salle de cinéma pour montrer les films.
L’autre force de notre modèle, cher Costa, chère Irène, c’est de ne jamais oublier d’où il vient. Dans cette grande épopée du cinéma français, le patrimoine, la mémoire commune a toujours eu une place centrale. Et ce, depuis la création de la Cinémathèque française dans les années 30 – ce temple du cinéma – puis de ses petites sœurs qui prendront vite leur indépendance. Là aussi, l’État a été constant dans son soutien. Les inventaires de notre patrimoine culturel voulus par Malraux ; le plan de sauvegarde des « films nitrate » lancé par Jack Lang dans les années 90 ; puis, en 2012, le plan de numérisation et de restauration de ce patrimoine, dont j’ai renforcé les moyens cette année.
C’est bien cet engagement de l’État, décennie après décennie, qui nous permet aujourd’hui d’assister à cette renaissance des films Lumière. La permanence de l’action publique, le travail remarquable de toutes nos cinémathèques et institutions patrimoniales sur tout le territoire, la collaboration entre l’État et les collectivités locales par-delà les clivages politiques, le dynamisme des ayants droit et de nos industries techniques, tout cela nous permet de poursuivre aujourd’hui tous ensemble l’œuvre engagée par nos géniaux inventeurs : Reynaud, Marey, les frères Lumière, Méliès et tant d’autres. Je veux que 2025, cet anniversaire, marque une étape importante dans cette belle aventure collective.
Ce soir, nous célébrons les premiers films de l’histoire du cinéma. Je veux que cette année, nous célébrions aussi son public. Je veux que 2025 soit l’année d’un nouvel élan pour la cinéphilie en France. Une cinéphilie vivante et généreuse. Une cinéphilie qui s’inscrit dans notre tradition, mais qui la renouvelle aussi. Une cinéphilie qui traverse les générations et les milieux sociaux. Une cinéphilie qui parle à tous les publics et qui s’adresse aux jeunes. C’est cette cinéphilie que vous défendez, chère Irène, cher Costa, dans ces deux temples du cinéma que sont l’Institut Lumière et la Cinémathèque française.
J’en profite d’ailleurs pour saluer, cher Costa, la nouvelle ambition que vous venez de donner à cette institution avec la « feuille de route » adoptée par votre conseil d’administration le 30 janvier dernier et je vous renouvelle toute ma confiance pour la porter.
Ces deux temples, vous êtes parvenus à en ouvrir très largement les portes. Vous réussissez à combiner la plus haute exigence scientifique et artistique avec une attention sans cesse renouvelée à l’accompagnement des films et à l’accueil de tous les publics. Et vos adeptes sont chaque année plus nombreux ! C’est bien la preuve que le désir est là. J’en suis absolument convaincue. On a tous un cinéphile qui sommeille en nous. Et un cinéphile contagieux ! Car la première chose qu’on fait, quand on a vu un film qu’on a adoré, c’est d’en parler autour de soi, c’est de pousser les autres à aller le voir.
Mais tout le monde n’a pas la chance de vivre à côté de la Cinémathèque française ou de l’Institut Lumière. Ni à proximité d’une autre cinémathèque. Ni même parfois, près d’une salle de cinéma.
Et il y a aussi des portes que beaucoup n’osent pas pousser, ou n’ont pas l’idée de pousser, même si c’est la porte d’à côté.
Moi, je veux que tout le monde puisse pousser ces portes.
Avec cette ambition j’ai d’abord demandé au CNC, dès mon arrivée au ministère, de déployer un grand plan pour la diffusion, pour ouvrir plus grand ces portes du cinéma à tous les publics. Et aussi pour faire venir le grand écran là où il n’est pas.
Nous nous sommes d’abord concentrés sur ces publics qui n’ont pas l’embarras du choix en matière de salles de cinéma. Voire pas de choix du tout.
Et pour cela, nous avons pu compter sur un formidable réseau de passionnés sur tout le territoire, que j’ai tenu à soutenir plus fortement.
Car c’est aussi ça, la cinéphilie française : ce sont ces très nombreux acteurs de terrain, souvent bénévoles ; ces passionnés qui ne ménagent pas leurs efforts pour franchir les derniers obstacles, physiques ou psychologiques, qui éloignent le public des salles :
- les équipes des festivals locaux, qui animent tout un territoire ;
- les exploitants itinérants qui apportent le grand écran dans leur camionnette jusque dans les villages les plus reculés ;
- les médiateurs qui font vivre leurs salles de cinéma et les jeunes ambassadeurs que nous avons recrutés pour viraliser la cinéphilie sur les réseaux.
En quelques mois, nous avons déjà atteint des résultats formidables. Cher Richard Patry, je ne prendrai qu’un exemple qui vous tient à cœur : l’association Normandie Images organise en ce moment le recrutement de 50 « jeunes ambassadeurs » qui s’engageront en soutien de 80 salles de cinéma et d’une dizaine de festivals. Ils pourront visionner des films, créer une programmation, animer des débats et partager leur expérience et leurs coups de cœur avec leurs pairs.
L’État soutient fortement cette opération ambitieuse : le CNC la finance à 60%, aux côtés de la région Normandie, de Normandie Image et des collectivités territoriales. Mieux soutenir ces passeurs en première ligne, c’était l’urgence. Et je veux poursuivre dans cette voie en renforçant également nos actions à destination des publics empêchés.
J’ai donc demandé au CNC d’identifier les acteurs de terrain les mieux à même d’intervenir dans les établissements de santé, dans les prisons, tous ces lieux où le cinéma n’est pas alors qu’il y est tout aussi nécessaire qu’ailleurs, si ce n’est plus encore.
Dans ce grand plan pour la diffusion, il fallait aussi renforcer la colonne vertébrale de la diffusion du cinéma dans notre pays, ce réseau extraordinairement dense de salles dont bénéficient les Français sur tout notre territoire.
Comme je lui avais demandé à Lyon lors du Festival Lumière – en votre présence cher Thierry – le CNC a donc augmenté et modernisé le soutien automatique à l’exploitation, pour l’adapter à la réalité de la reprise post-COVID.
Et puis, dans la droite ligne de ce que je disais à l’instant sur l’engagement constant de l’État en faveur du patrimoine, j’ai aussi voulu renforcer notre soutien aux cinémathèques et aux autres institutions patrimoniales. Ce sont elles qui maintiennent intacte la flamme de la cinéphilie partout en France et qui sont à même de la raviver. Et elles ne manquent pas d’imagination pour aller chercher le public ! J’ai donc voulu leur donner des moyens nouveaux pour cette belle ambition.
Aujourd’hui, alors que nous célébrons 130 ans de cinéma, je pense que nous pouvons et devons prolonger ces efforts en ayant une ambition renouvelée pour la cinéphilie. Les visages de la cinéphilie sont nombreux. L’amour du cinéma est une flamme que l’on peut allumer et nourrir de mille façons. Cette flamme est cependant nourrie par deux gestes fondateurs, la réflexion et la transmission. La réflexion sur le cinéma, la critique de cinéma, est née très tôt en France, dès le début du 20e siècle. Et ce n’est pas étonnant : en France, on aime les films et on aime aussi beaucoup donner notre avis !
Au cœur de notre cinéphilie, il y a ce plaisir de parler du cinéma, d’en débattre. Je pense bien sûr aux revues cultes comme Les Cahiers du cinéma et Positif, qui ont su traverser le temps. Historiquement, les plumes des grands critiques ont façonné nos goûts et notre curiosité. Leurs enthousiasmes contagieux mais aussi – disons-le – leurs disputes homériques ont placé les films au cœur des conversations.
On assiste aujourd’hui à une grande vitalité des revues de cinéma et de l’édition spécialisée. Une vitalité précieuse, mais aussi fragile, on le sait. J’ai donc demandé au CNC de renforcer les moyens de la commission qui leur est dédiée.
Et j’ai demandé également d’élargir ce soutien aux manifestations scientifiques sur le cinéma.
Dans cet élan, le CNC s’associera aux journées de réflexion sur la cinéphilie hier, aujourd’hui et demain, prévues en fin d’année, que l’Afcae organise pour ses 70 ans. C’est par l’Art et Essai que la cinéphilie est née et il me semble essentiel de donner à cet événement toute la portée qu’il mérite.
Cette grande conversation sur le cinéma que la France tient depuis plus d’un siècle, je veux continuer de la nourrir. Et je veux que tout le monde puisse y prendre part.
C’est pourquoi 2025 marquera aussi un nouvel élan pour la transmission de la cinéphilie.
La meilleure façon de la transmettre – et la seule qui nous permettra vraiment de toucher tous les milieux, toutes les couches sociales, tous les territoires –, c’est de la transmettre dès l’école.
C’est là que tout se joue, on le sait très bien. C’est d’ailleurs un grand paradoxe : tout le monde s’accorde sur l’importance de l’éducation artistique et culturelle dès le plus jeune âge et pourtant elle n’a jamais été aussi fragilisée.
Je vous annonce que j’en fais une priorité absolue pour les années à venir.
C’est un chantier d’envergure, mais je le répète, on sait très bien que c’est le terreau pour tous les autres.
Avec la ministre de l’Éducation nationale, très consciente elle aussi de l’enjeu pour les nouvelles générations, nous avons décidé de confier une mission à Édouard Geffray, conseiller d’État, ancien directeur général de l’enseignement scolaire, avec le mandat d’identifier les voies pour une relance ambitieuse de l’éducation aux images, dont nous avons crucialement besoin.
Enfin, toujours dans l’idée de transmettre la passion pour les films et leur histoire à un large public – et là je sais que je vous parle à tous directement au coeur, tout particulièrement à vous, cher Costa –, je vous annonce que l’année 2025 sera fondatrice pour le projet de musée national du cinéma.
En 1895, la France a été le berceau d’un art devenu un langage universel.
Il est donc temps d’offrir à cette grande épopée artistique et à nos collections uniques au monde, les conditions de conservation et de stockage qu’elles méritent, le musée qu’elles méritent, les grandes expositions qu’elles méritent, les actions d’éducation à l’image qu’elles méritent – et le large public qu’elles méritent.
Je sais que vous l’attendez tous avec beaucoup d’impatience.
C’est la raison pour laquelle je veux confier à la Cinémathèque française et au CNC une mission conjointe de réflexion et de préfiguration sur un projet qui doit intégrer toutes ces dimensions – c’était d’ailleurs la demande très explicite de la Cour des comptes.
Je suivrai d’ailleurs personnellement ce dossier qui me tient, à moi aussi, particulièrement à coeur.
Pour terminer, et avant de découvrir votre film, cher Thierry, je voudrais seulement me permettre de faire une remarque. Elle me semble importante, alors que nous abordons ce deuxième quart du 21e siècle.
C’est un simple constat, en réalité : il y a un mois, le sommet de l’IA se tenait à Paris, plein de promesses, mais aussi d’incertitudes pour l’avenir.
Et ce soir, nous sommes tous réunis pour partager l’émotion créée par des films conçus par de géniaux inventeurs il y a plus d’un siècle.
Il y a des choses qui ne changent pas. A l’heure où la technologie nous fait miroiter des prouesses de perfection surhumaine, je crois qu’il est fondamental de se rappeler que ce qui nous touchera toujours dans un film : c’est l’humain.
Je vous souhaite à toutes et à tous une excellente projection.