Monsieur le Président,
Madame la Présidente de la commission de la Culture, de l’Education et de la Communication, chère Catherine Morin-Desailly,
Monsieur le Rapporteur, cher Michel Laugier,
Mesdames les Sénatrices, messieurs les Sénateurs,
Il n'y a pas de démocratie sans une presse libre.
Cela ne date pas d'hier.
Le 11 septembre 1848, dans son discours à l'Assemblée constituante, Victor Hugo défendait que la liberté de la presse n’est « pas moins sacrée, pas moins essentielle que le suffrage universel. »
« Le jour où [...] on verrait la liberté de la presse s'amoindrir [...], ajoutait-il, ce serait en France, ce serait en Europe, ce serait dans la civilisation tout entière l'effet d'un flambeau qui s'éteint ! »
Ce flambeau, nous ne pouvons pas le laisser s'éteindre.
Et nous ne le laisserons pas s'éteindre.
Si nous voulons le maintenir allumé, il faut aujourd'hui raviver sa flamme.
Si nous voulons protéger la presse et sa liberté, il faut aujourd'hui moderniser sa distribution.
C'est tout l'objectif du projet de loi que vous examinez aujourd'hui.
La « loi Bichet » de 1947 a souvent été qualifiée, y compris dans votre hémicycle, « d’icône de la République ».
Dans le contexte tourmenté de l’après-guerre, elle avait permis de garantir l’effectivité du principe constitutionnel de pluralisme des courants de pensée et d’opinion.
Comme l’a affirmé le Conseil constitutionnel dès 1984, la libre communication des pensées et des opinions ne peut être effective que si le public est à même de disposer d’un nombre suffisant de publications de tendances et de caractères différents.
Cela implique que tous les journaux d’information politique et générale soient disponibles sur l’ensemble du territoire national.
C’est une condition de l’effectivité de la liberté de la presse.
Aujourd’hui, les objectifs de la loi Bichet demeurent : garantir la pluralité de l’information et l’égalité entre les éditeurs, indépendamment de leur taille ou des opinions qu’ils véhiculent.
Et les enjeux du numérique rendent cette loi encore plus nécessaire.
D’une part, parce que la diffusion numérique présente les mêmes enjeux au regard des objectifs de pluralisme. C’est d’ailleurs pourquoi le projet qui vous est soumis prévoit l’extension des principes fondamentaux de la loi Bichet à la diffusion numérique.
D’autre part, parce que je crois profondément à l’avenir de la presse papier, à son ancrage dans nos territoires, à son utilité pour le débat démocratique. Le secteur est aujourd’hui confronté à des bouleversements importants : entre 2007 et 2017, plus de 1 000 éditeurs de presse ont vu leurs volumes de ventes diminuer de 54%; plus de 6 000 points de vente ont fermé entre 2011 et 2018, dans les grandes villes mais aussi dans des villes moyennes ou des communes.
Et vous connaissez les difficultés économiques récurrentes rencontrées par la société Presstalis, messagerie qui assure aujourd’hui la distribution de l’intégralité des quotidiens nationaux.
L’entreprise a bénéficié d’un plan de continuation homologué en mars 2018 par le Tribunal de commerce, auquel l’Etat a contribué par un prêt d’un montant de 90 millions d’euros.
Elle affichera cette année des fonds propres négatifs à hauteur de 400 millions d’euros.
Cette situation rend indispensable l’adaptation de la loi Bichet.
Si elle est une icône de la République, elle ne doit pas être un totem.
Ce n’est qu’à condition d’être modernisée qu’elle pourra continuer à remplir les objectifs démocratiques qui lui sont assignés.
Moderniser la distribution de la presse au numéro, sans casser le système actuel : voilà la tâche délicate qui nous incombe.
Délicate, parce qu’il n’est pas aisé de modifier un texte aussi ancien, aussi symbolique.
Délicate, parce que sur ce texte s’est construit, depuis plus de 70 ans, un système complexe : un système dans lequel les intérêts de tous les acteurs sont intimement imbriqués, mais un système qui a pu occasionner, aussi, certaines dérives, et qui a clairement démontré ses limites.
Je crois pourtant que le projet présenté par le Gouvernement parvient à résoudre cette équation.
Parce qu’il est le fruit d’un travail long, approfondi, mené en concertation constante avec l’ensemble du secteur. Parce qu’il s’agit d’un texte équilibré et protecteur de l’intégrité de la distribution de la presse.
Et parce qu’il permet de préserver : la diversité des publications, garante de l’expression de la pluralité des opinions, un service de proximité, sur l’ensemble du territoire national, et tout particulièrement dans les zones rurales, et l’avenir d’une filière et de professionnels qui sont pour certains aujourd’hui confrontés à des difficultés.
Oui, ce projet de loi préserve les principes essentiels de la loi Bichet ; ce socle sur lequel notre réseau de distribution s’est construit.
Il préserve le principe coopératif obligatoire, auquel sont très attachés l’essentiel des acteurs de la filière, qui y voient une garantie forte d’équité de traitement entre tous les éditeurs.
Il préserve le droit absolu à la distribution de l’ensemble des titres d’information politique et générale, qui resteront libres de choisir les points de vente où sont distribués leurs titres et les quantités servies.
Il préserve un système permettant l’accès, sur l’ensemble du territoire national, à une grande variété de publications.
Car si la France propose le plus grand nombre de titres en Europe, c’est grâce à la loi de 1947.
C’est grâce à la loi Bichet.
La loi dans sa rédaction actuelle pose toutefois un certain nombre de difficultés, sur lesquels les nombreux rapports et analyses menés depuis plus de dix ans nous ont éclairés.
Tout d’abord, la détention majoritaire obligatoire du capital des messageries par les éditeurs place de fait ces derniers – à la fois clients et actionnaires – dans des situations structurelles de conflit d’intérêt.
Ensuite, alors qu’ils assurent le rôle essentiel d’interface commerciale avec le client lecteur, les marchands de journaux n’ont aujourd’hui aucun contrôle sur le type de publications qu’ils reçoivent, ni sur les quantités d’exemplaires livrées.
Il nous faut redonner une vraie marge de manœuvre à ces acteurs essentiels de la filière, et à leur capacité d’adaptation aux réalités du marché.
Enfin, les organes de régulation de la filière disposent de prérogatives et de moyens trop limités.
Sans que soit en cause la qualité du travail réalisé par les équipes du Conseil Supérieur des messageries de presse et de l’Autorité de régulation de la distribution de la presse – auxquelles je tiens à rendre hommage, pour leur engagement constant au soutien de la modernisation de la filière, dans des situations souvent compliquées – la régulation n’est pas suffisamment adaptée pour accompagner efficacement la modernisation de la filière, et garantir sa pérennité.
Le projet qui vous est soumis vise à remédier à ces importants dysfonctionnements, sans remettre en cause les principes essentiels que j’ai précédemment rappelés.
Il propose une vraie modernisation du cadre législatif, avec des modalités et un calendrier permettant d’accompagner la transition.
Cette modernisation tient en cinq points :
- En premier lieu, le projet de loi propose de confier la régulation du secteur à l’ARCEP, autorité compétente et légitime en matière de régulation économique, en lui donnant des pouvoirs d’intervention forts, en particulier en ce qui concerne l’homologation des barèmes, et en lui confiant un pouvoir de sanction dont étaient dépourvus le CSMP et l’ARDP.
- Deuxièmement, la fin de la détention capitalistique majoritaire des messageries par les coopératives d’éditeurs doit permettre de nouvelles perspectives en termes de stratégies industrielles pour les acteurs actuels. Elle aura également pour effet à moyen terme d’autoriser, le cas échéant, d’autres acteurs à proposer un service de distribution de la presse, à condition d’être agréés par l’ARCEP sur le fondement d’un cahier des charges strict, établi par décret. Toutefois, la possibilité pour l’ARCEP de délivrer des agréments à d’autres acteurs que les deux messageries actuelles ne pourra intervenir qu’après une phase de transition. En effet, le projet de loi autorise le Gouvernement à différer jusqu’au 1er janvier 2023 la publication du cahier des charges définissant les conditions de l’agrément. Et le Gouvernement entend utiliser toute cette marge de manœuvre, afin de laisser aux acteurs actuels un délai raisonnable pour s’adapter.
- Troisièmement – et ce point revêt une importance toute particulière dans nos territoires –, le texte prévoit de donner plus de souplesse aux marchands de journaux dans le choix des titres qu’ils distribuent, en dehors de la presse d’information politique et générale. Cet axe essentiel de modernisation doit permettre d’améliorer leur attractivité commerciale et de proposer une offre plus adaptée aux attentes des lecteurs dans nos régions, nos départements et nos communes. Les marchands de journaux y trouveront un nouveau souffle, qui ne pourra que renforcer l’attractivité d’un métier aujourd’hui affaibli par des conditions d’exercice difficiles.
- Quatrièmement – et c’est tout l’enjeu d’un texte moderne, adapté à la réalité des usages de nos concitoyens –, le projet de loi étend les principes de la loi Bichet à la diffusion numérique : d’une part, en prévoyant un droit d’accès aux kiosques numériques aux éditeurs de titres d’information politique et générale, et, d’autre part, en posant des obligations de transparence aux agrégateurs d’information en ligne sur leurs choix de « mise en avant » des contenus d’information qu’ils proposent et la manière dont ils utilisent nos données personnelles.
- Enfin, le projet de loi que nous avons présenté confie à l’ARCEP la mission d’élaborer un schéma d’orientation de la distribution de la presse. Ce schéma d’orientation devra intégrer le rôle joué par les dépositaires régionaux de presse, dans une logique d’accompagnement de la transition.
Ces grands axes offrent, je le crois, un cadre équilibré à l’indispensable évolution du dispositif actuel de distribution de la presse au numéro, dont la pérennité est essentielle pour l’équilibre économique de l’ensemble de la filière.
L’adaptation du statut des VCP aux enjeux du portage multi-titres, également proposée par le projet de loi, et très attendue par les réseaux de portage, notamment de la PQR, confortera également la distribution de la presse sur tout le territoire.
Ce projet de loi s’inscrit dans un cadre plus large : celui de la politique du Gouvernement en faveur de la presse.
La directive droit d’auteur, adoptée le 15 avril dernier par les institutions européennes, prévoit la création d’un droit voisin pour les éditeurs de presse et les agences de presse.
Elle est déjà en cours de transposition.
Sur le rapport du sénateur David Assouline, que je remercie très vivement pour la qualité du travail réalisé sur ce sujet, vous avez adopté une proposition de loi de transposition en première lecture.
Elle a également été adoptée par l’Assemblée nationale, il y a quelques jours, sur le rapport du député Patrick Mignola.
Nous sommes le premier pays européen à procéder à la transposition.
C’est la garantie pour les éditeurs et agences de presse de bénéficier enfin de revenus pour l’exploitation de leurs articles par les plateformes numériques.
Par ailleurs, les principaux éditeurs de la presse d’information politique et générale ont présenté au ministre de l’Economie et des Finances Bruno Le Maire et à moi-même, un « plan de filière », afin de mieux accompagner la modernisation du secteur.
Ce plan est actuellement en cours d’instruction par nos services, et viendra utilement alimenter nos réflexions.
Enfin, le soutien du Gouvernement à la presse repose en grande partie sur un système d’aides à la presse : aides à la distribution physique : portage, transport postal et distribution au numéro ; aides au pluralisme pour les titres à faibles ressources publicitaires ; mais également aides à la modernisation, à l’émergence et aux médias de proximité.
Toutes sont essentielles à la vitalité de notre débat démocratique et à l’accès de nos concitoyens à une information fiable et diversifiée.
Mesdames les Sénatrices, messieurs les Sénateurs,
Ensemble, c’est une nouvelle page de l’histoire de la presse écrite que nous écrivons.
Ensemble, c’est l’avenir de ce secteur que nous construisons.
Pour le construire, nous ne repartirons pas de zéro.
Nous repartirons des indispensables acquis de la loi Bichet.
C’est tout le sens du projet de loi que vous examinez aujourd’hui.
Je veux remercier l’ensemble des acteurs de la filière pour leur contribution, directe ou indirecte, à ce texte.
Et vous remercier, vous, mesdames les Sénatrices, messieurs les Sénateurs.
Je tiens à saluer l’esprit constructif et transpartisan dont vous faites preuve – sous votre égide Monsieur le rapporteur - sur ce texte comme sur les autres travaux que nous menons ensemble, saluer tout particulièrement la présidente de la Commission de la Culture, de l’Education et la Communication, Catherine Morin-Desailly.
Nous ferons évoluer le régime de responsabilité des plateformes, madame la Présidente : soyez-en assurée.
La directive droit d’auteur est un premier pas dans cette voie. Et nous ne nous arrêterons pas là. Je souhaite que nous puissions porter, auprès de la nouvelle Commission européenne, la renégociation de la directive « commerce électronique », qui constitue aujourd’hui malheureusement une entrave à notre volonté de responsabilisation des plateformes. D’autres Etats européens sont prêts à mener ce combat avec nous.
Je veux saluer, aussi, les débats fructueux, et le travail approfondi mené par la Commission de la culture, de l'éducation et de la communication, qui ont conduit à des améliorations notables du texte initial. C’est un travail qui nous a été extrêmement utile.
Je pense en particulier à l’amendement qui prévoit que la Commission du réseau doit recueillir l’avis du maire pour les décisions d’implantation des points de vente, monsieur le rapporteur, cher Michel Laugier.
Je pense aussi à l’amendement qui introduit un droit de première présentation aux marchands de journaux pour les titres hors IPG, monsieur le vice-président, cher Jean-Pierre Leleux. Je sais par ailleurs que le sénateur Gatollin a déposé un amendement, que vous examinerez tout à l’heure, visant à apporter une utile précision sur la mise en œuvre de ce principe. Aux amendements qui ont précisé le rôle de l'ARCEP sur l’assortiment, monsieur le sénateur Lafon, y compris durant la période transitoire, madame la vice-présidente, chère Françoise Laborde.
D’autres amendements sont venus clarifier le détail de la réforme, et faciliter la pleine compréhension de ses objectifs.
Grâce à ces précisions, vous avez renforcé la lisibilité du texte initial, afin de lever tout risque d’ambiguïté dans l’interprétation des dispositions.
Vous avez apporté des réponses aux inquiétudes de certains acteurs.
Le texte qui ressort de cet examen est significativement amélioré.
Mesdames les Sénatrices, messieurs les Sénateurs,
Au moment où je suis amené à défendre en parallèle quatre textes de loi devant le Parlement, je suis sensible à votre mobilisation.
Vous montrez qu’il y a des causes capables de nous rassembler, de nous fédérer ; des causes qui méritent que l’on dépasse nos engagements partisans.
La défense du pluralisme est de celles-là.
Je vous remercie.