J’ai appris avec émotion le décès de Vera Molnar, grande figure de l’abstraction géométrique et pionnière de l’art algorithmique.
Vera Molnar est née le 5 janvier 1924 à Budapest. Elle pratique beaucoup de piano mais son goût pour la peinture prend le dessus et se développe auprès de son oncle, « peintre du dimanche », qui lui transmet sa passion : « J’allais chez lui l’admirer, il peignait des clairières, des sous-bois avec des nymphettes dansantes (...) l’odeur de la peinture à l’huile, les petites feuilles vertes et jaunes m’enchantaient ».
A 16 ans, sa voie est tracée : « je ne croyais plus en Dieu, je ne voulais plus aller à l’église, je ne voulais plus faire du piano, je voulais peindre ».
Elle étudie ainsi à l’école des Beaux-Arts de Budapest de 1942 à 1947, où elle découvre le cubisme qui nourrira grandement ses inspirations et l’accompagnera durant toute sa carrière. Elle y rencontre aussi son futur mari, François Molnar. Ils obtiennent ensemble une bourse d’étude pour se rendre à Rome où ils restent six mois, avant de s’envoler pour Paris, sa ville de cœur et bientôt d’adoption.
Elle se détourne alors de la peinture figurative, jugée « trop classique, trop sclérosante ». Elle explore le travail de Fernand Léger, de Le Corbusier, s’intéresse au minimalisme et à la géométrisation dont elle s’inspire pour ses dessins Cercles et demi-cercles et Quatre éléments distribués au hasard dans les années 1950.
A l’orée des années 1960, Vera Molnar crée une nouvelle méthode de production, la « machine imaginaire » : elle travaille comme un ordinateur, applique des programmes qu’elle s’est elle-même prédéfinie. « Vous imaginez un programme dans votre tête, et vous exécutez le programme pas à pas » dira-t-elle pour décrire son travail.
En 1961, elle fonde avec son ami François Morellet, maître de l’abstraction, ainsi que son mari, le Groupe de recherche d'art visuel (Grav).
Son travail prend une nouvelle tournure à partir de 1968, avec l’arrivée des ordinateurs et sa rencontre avec Pierre Barbaud, inventeur de la musique algorithmique. Elle devient alors la première artiste en France à réaliser des dessins en utilisant un ordinateur qui est relié à une table traçante : elle conçoit des algorithmes, des séquences, y introduit un élément de « désordre », et la machine exécute.
C’est en 1976 à Londres qu’elle donne sa première exposition personnelle. Quatre années plus tard, elle fonde le Centre de recherche expérimentale et informatique des arts visuels, basé à l'université Paris 1 où elle enseigne.
Au début des années 1990, Vera Molnar fait encore évoluer ses méthodes de travail. Elle crée des dessins à la main puis, à travers un programme dénommé « Resauto », laisse à l’ordinateur le soin d’en fabriquer des variations qu’elle retranscrit après sur une toile.
A partir de cette même décennie, Vera Molnar a été mise à l’honneur à travers de nombreuses expositions personnelles dans nos plus grands musées, dont le Musée d’Art et d’Histoire de Cholet où elle a exposé deux fois en 1995 et 1996, le Musée de Grenoble en 2001, le Musée des Beaux-Arts de Brest en 2004 et en 2005, et le Musée des Beaux-Arts de Rouen en 2007, 2012 et 2021.
Peintre de la ligne et du cercle, de la géométrie en désordre, Vera Molnar a su se servir de la machine tout en conservant une liberté et une autonomie artistique totales : « L’ordinateur, si étonnant soit-il, n’est pour le moment qu’un outil qui permet de libérer le peintre des pesanteurs d’un héritage classique sclérosé ».
Chercheuse infatigable, créatrice à l’enthousiasme permanent, Vera Molnar a été accompagnée toute sa carrière par des galeries françaises telles que Denise René, Lara Vincy, Lahumière, la Galerie du Cloître, Torri, Oniris ou encore la Cour carrée.
Elle avait créé en 2022 un nouveau programme destiné à créer une série d’œuvres en tant que NFT ayant pour titre « 2 % de désordre en coopération », avec la Galerie 8+4. Une rétrospective Vera Molnar, Parler à l’œil était en préparation au Centre Pompidou. Elle s’ouvrira le 28 février 2024.
Vera Molnar fut une artiste à la fois ingénieuse et profondément libre. Elle restera à travers ses œuvres une grande source d’inspiration, de réflexion et d’épanouissement.
J’adresse mes sincères condoléances à sa famille et à ses proches.
Rima Abdul Malak