« Bivouac à cent mille au bord du ciel et l’eau
Prolonge dans le ciel la plage de Malo
[…] Les parfums du printemps le sable les ignore
Voici mourir le Mai dans les dunes du Nord »
Louis Aragon, « La nuit de Dunkerque »
Journaliste courageux, loyal à ses valeurs, fidèle à ses convictions, Jacques Duquesne nous a quittés.
Né à Dunkerque en 1930, Jacques Duquesne prend très tôt conscience de la violence de l’histoire et de la vigilance que nous devons exercer à son égard. A dix ans, à l’aube de la Seconde Guerre Mondiale, il observe la destruction de sa ville, la déroute militaire et la mort : un souvenir qui imprégnera à jamais sa vision du monde. Ce n’est donc sans doute pas un hasard s’il se passionne pour la grande histoire dès son adolescence, puis pour celle des idées politiques.
Jeune adulte, il quitte Dunkerque après avoir réussi le concours de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris : Sciences Po, où il découvre de nouveaux continents de la pensée mais aussi le fossé que creusent les inégalités sociales entre jeunes gens du même âge. Alors, il s’engage : d’abord auprès de la Jeunesse étudiante chrétienne puis de l’Association catholique de la jeunesse française, avant d’être élu en 1955 à la présidence du Conseil de la Jeunesse de l’Union Française. Mais à la politique, Jacques Duquesne préférera vite la plume, l’observation, l’enquête.
Informer devient sa mission. Il part en Algérie en 1957, peu après la Bataille d’Alger. Il rentrera en France avec une série d’articles « Souffrances et espoirs de l’Algérie » qui sont comme un électrochoc : Jacques Duquesne y dénonce la pratique, presque banalisée, de la torture. S’ensuivront une condamnation à mort par l’OAS, mais aussi un solide respect de la profession envers ce très jeune journaliste du Nord, reporter à La Croix, qui a osé dire ce qu’on ne disait pas.
Indépendant, juste, méticuleux : le ton est donné et la carrière de journaliste de Jacques Duquesne se poursuit, brillamment. Il quitte La Croix en 1964 pour rejoindre Panorama chrétien puis l’Express où l’on s’arrache sa plume - à telle enseigne qu’il lui arrive de réécrire la quasi intégralité des articles afin de leur donner la coloration vive, acérée et précise dont la rédaction raffole et qu’il manie comme personne. Il quittera pourtant bientôt L’Express pour co-fonder Le Point, en 1972 dont il deviendra quelques années plus tard rédacteur en chef puis président-directeur général jusqu’à 1990.
S’il a été un journaliste et un patron de presse d’exception, Jacques Duquesne a exercé sa plume dans bien d’autres registres. A partir des années 1960, il couche sur le papier sa manière de voir la chrétienté en dialogue avec les évolutions de la société : d’essais sur la nécessaire évolution du rôle des prêtres à une biographie de Jésus dont l’audace fit couler beaucoup d’encre au milieu des années 1990, il est l’auteur d’une bibliographie riche qui témoigne d’une pensée sans cesse frottée contre celle d’autrui. Pour le grand public, enfin, il restera toujours cet écrivain du Nord qui – dans Maria Vandamme, récompensé du Prix Interallié 1983, comme dans Les héritières dans les années 2000 – a défendu le panache de son terroir et rendu justice au rôle des femmes dans l’histoire.
Nous perdons aujourd’hui un journaliste exemplaire, un patron de presse pionnier, féru d’indépendance : un homme de grandes valeurs.
J’adresse à son épouse, à sa famille et à ses proches mes plus sincères condoléances.