Grande dame de la langue française, historienne à la plume et aux analyses d’une rare finesse, Hélène Carrère d’Encausse nous a quittés.
Née à Paris dans une famille géorgienne et russophone qui avait fui quelques années plus tôt la révolution russe, Hélène Zourabichvili comptait parmi ses ancêtres des personnalités de premier plan de la vie politique, fidèles de la famille impériale mais aussi opposants. Enfant, elle grandit dans la richesse de deux langues, deux littératures, deux cultures. Sans jamais renier ses origines, elle choisit dès l’adolescence d’embrasser pleinement la langue et les institutions françaises où elle se forme – du Lycée Molière à l’Institut d’études politiques de Paris – sans savoir qu’elle prendra plus tard avec panache la tête de la plus prestigieuse d’entre elles.
Tandis que le parcours de sa famille est marqué au fer des vicissitudes de l’histoire, la doctorante qu’elle est alors choisit, justement, cette discipline et s’emploie dès les années 1960 à creuser sous le narratif soviétique pour y discerner les voix eurasiennes, les fissures, les dissensions. Devenue Carrère d’Encausse, l’historienne mène ainsi un impressionnant travail de recherche sur le rapport des minorités musulmanes à l’URSS sur l’implosion dudit empire qu’elle annonce dès 1978, dans ce qui sera son premier succès public et critique : L’Empire éclaté, la révolte des nations soviétiques en URSS. Une publication qui lui vaudra d'être interdite de séjour en URSS pendant dix ans.
Riche du considérable travail de terrain qu'elle a mené dans les années 1960, déterminée, insensible aux doxas et aux pressions, Hélène Carrère d’Encausse apporte quelque chose d’éminemment neuf aux études de l’espace russe et des territoires soviétiques. C’est justement dans la profondeur de son regard historique que les essais qu’elle publie dans les années 1980 sur le déclin de l’empire soviétique puisent leur acuité politique. Un an avant l’implosion de l’URSS, en décembre 1990, c’est forte de cette voix différente, percutante, matinée d’une immense culture littéraire, qu’elle fait son entrée au 14e siège de l’Académie Française.
Pour autant, l’immortelle ne se contente pas d’observer. Lorsque le déclin qu’elle avait prédit advient, Hélène Carrère d’Encausse s’engage résolument pour l’Europe dans laquelle elle voit l’incarnation pleine d’espoir de ses convictions humanistes. Députée européenne pendant cinq ans, conseillère officielle ou officieuse des hommes politiques face aux bouleversements géopolitiques que connaît le continent, elle prouve s’il en était besoin qu’on peut être une de femme de lettres, d’idées et d’action.
Parce qu’elle est tout cela à la fois, Hélène Carrère d’Encausse est élue à l’aube du XXIe siècle à la tête de l’Académie française depuis laquelle elle publiera ses immenses biographies de Catherine II, d’Alexandre II et de la dynastie des Romanov. Pendant près de vingt-cinq ans, elle y a oeuvré pour défendre notre langue, en concertation avec la Commission d'enrichissement de la langue française coordonnée par la Délégation générale à la langue française et aux langues de France du ministère de la Culture, et préserver son intégrité, notamment face aux anglicismes. Sa devise : « faire vivre le français, l'enrichir, faire de sa préservation le devoir de toutes nos vies ».
Soucieuse de transmettre le goût de la langue française aux jeunes générations, elle crée en 2019 un portail numérique rassemblant les neuf éditions historiques du dictionnaire de l’Académie française. Trois siècles et demi d'évolution de notre langue se trouvent ainsi offerts à la connaissance de tous.
Engagée pour le développement de la francophonie, elle contribue, aux côtés du ministère de la Culture, à la création du Dictionnaire des francophones et fait entrer à l’Académie de grandes voix du monde francophone tels qu’Amin Maalouf, Assia Djebar ou Dany Laferrière, Andrei Makine ou François Weyergans.Sous son impulsion, le dictionnaire de l’Académie s’ouvre aussi à des mots venus du Québec, de Suisse, de Belgique ou de pays africains.
Jusqu’au dernier instant, Hélène Carrère d'Encausse a incarné l’élégance, la rigueur et l’excellence d’une institution perpétuelle dont elle restera toujours la troisième Immortelle.
J’adresse à son époux, à ses enfants, Emmanuel, Nathalie et Marina, à sa famille et à ses proches mes plus sincères condoléances.