Cher Didier Varrod,
La chanson, dites vous, est un véhicule de la modernité. C’est la chanson française telle que Nougaro l’a incarnée, qui vous inspire ces mots dans l’hommage radiophonique que vous lui adressez. « Celle qui fait sa place au soleil/ dans l’ombre de nos cœurs/ et que rien n’effarouche », ainsi que chante le poète, et tient sa force de la langue française dont elle fait si justement résonner les mots.
Ce « voyage sonore », cette « odyssée dans la syncope des mots » dont vous dites qu’elle est aussi « traversée du désir », c’est aussi, au-delà de la plongée dans l’univers des notes bleues de Nougaro dans lequel vous emportez vos auditeurs, ce qui définit votre carrière placée sous le signe de la musique et de la découverte.
Le voyage sonore de l’adolescent « radio-maniaque » que vous étiez alors commence en 1981, au printemps de la parole libérée, au cœur du mouvement des radios libres. C’est sur les ondes d’une nouvelle radio libre entièrement consacrée à la musique électronique, Fréquence Gaie, que vous faites vos premières armes.
France Inter vous ouvre ensuite ses portes pour faire de vous, au rythme des émissions et des années, une des figures incontournables de la radio publique. Au sein de cette belle maison où la musique tient une place privilégiée, vous collaborez pendant près de 20 ans avec un grand monsieur de la chanson française, le regretté Jean-Louis Foulquier, partageant une même passion, celle de la chanson française, de ses textes et de ses nombreux talents.
Après « Pollen », « Y’a de la chanson dans l’air », vous faites souffler un air de liberté et d’évasion techno et électro sur la nuit radiophonique avec « Electron libre ». Cette émission dont la longévité a permis de donner de la visibilité et une véritable reconnaissance à la musique électronique sur notre radio de service public, tient une place particulière dans le cœur des auditeurs qu’elle a contribué à renouveler et à attirer nombreux sur les ondes de France Inter.
Après la nuit, c’est la matinale que vous investissez de votre passion avec votre chronique qui ouvre une parenthèse musicale très attendue dans ces matins « du pire ou du mieux », des matins qui « cherche[nt] et qui doute[nt] » au rythme effréné de l’actualité.
Si pour beaucoup vous êtes LA voix de la musique sur les ondes du service public, vous êtes aussi, cher Didier Varrod, un homme aux nombreux talents : programmateur pour les Francofolies, directeur artistique de grandes maisons de production. Journaliste musical, notamment pour le magazine Serge que vous créez avec Patrice Bardo, vous avez aussi consacré des documentaires remarqués à ceux qui ont marqué durablement l’histoire de la chanson française : Gainsbourg, Barbara, Véronique Sanson, Renaud, Brassens, comme à ceux qui sont en train de l’écrire, comme Pauline Croze ou Olivia Ruiz.
On vous doit notamment «Chantons de droite à gauche», un portrait de la nouvelle génération de chanteurs engagés. « A quoi sert une chanson si elle désarmée ? » : c’est sur le texte d’Etienne Roda-Gil, chanté par Julien Clerc, que s’ouvrent ces pages musicales où les artistes d’hier et d’aujourd’hui racontent le lien étroit qui unit création et citoyenneté.
C’est cette carrière sous le signe des notes et des mots, à l’écoute des nouvelles esthétiques et des voix singulières, qui fait de vous un des plus grands défenseurs et prescripteurs de la scène musicale française actuelle.
Catherine Trautmann ne s’y est pas trompée qui vous confie en 1998 un rapport sur les musiques actuelles. Les décrivant très justement comme « porteuses de sens et constitutives d’une mémoire collective et d’un patrimoine en perpétuel mouvement», vous en soulignez l’importance pour le rayonnement culturel de notre pays et la promotion de la langue française : « nombreux sont les artistes français, concluez-vous, à pouvoir faire résonner au-delà de nos frontières élastiques, le chant bien légitime de notre exception culturelle. »
C’est cette force et cette vitalité des artistes français – ils sont nombreux ce soir - que vous avez à cœur d’encourager à la direction artistique et de la musique sur France Inter. Pour renouer avec l’identité musicale de la maison et redonner toute sa dimension prescriptrice au service public de la radio, vous lancez cette année un radio-crochet, On a les moyens de vous faire chanter, qui fait la lumière sur les nouveaux auteurs-compositeurs-interprètes. Les dimensions éducative et culturelle, missions essentielles du service public, sont au cœur de cette initiative qui sensibilise les auditeurs aux métiers de la production ou de l’édition, grâce à la mobilisation d’un jury de professionnels que je salue, et dresse un état des lieux très encourageant de la création française et de la scène musicale de demain.
Cher Didier Varrod, vous avez consacré votre carrière à transmettre votre enthousiasme communicatif et éclectique pour les artistes dont vous savez mieux que quiconque déceler le talent et à faire vivre le service public de la radio au rythme de son époque et des nouvelles sonorités. Parce que vous êtes un de ses serviteurs les plus passionnés et les plus fidèles, la République des Arts et des Lettres vous rend hommage aujourd’hui.
Cher Didier Varrod, au nom de la république française, nous vous faisons Chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres.