Chaque lauréat contribue, dans son domaine, à renouveler les esthétiques, à enrichir les connaissances sur les processus de création ou à nourrir les pédagogies. Pour comprendre ces démarches, voici six portraits d’artistes en recherche, lauréats de l’édition 2020 de cet appel à projets.
Prochain rendez-vous pour découvrir la richesse et la diversité de tous les projets réalisés, les 2 et 3 février 2023 au Studio-Théâtre de Vitry pour l’événement « Exposer la recherche : gestes et savoirs d’artistes ».
Arnaud Churin
Faire entendre aux actrices et aux acteurs les éléments de la prosodie (mélodie de la parole) repérés par la linguistique de telle sorte que la « sensibilité, comme dans un papier buvard, arrive automatiquement presque, sans intention ». A mi-chemin entre les sciences du langage et la pédagogie, la recherche d’Arnaud Churin vise à ouvrir la voix sur les plateaux, en formant les acteurs d’aujourd’hui et de demain à une nouvelle approche du jeu verbal.
Metteur en scène, directeur de la compagnie la Sirène Tubiste, conseiller pédagogique pour le Théâtre National de Bretagne (TNB) de 2012 à 2018, Arnaud Churin a d’emblée construit son rapport à la recherche par le biais de la transmission. C’est en effet en collaborant avec des linguistes dans le cadre d’un atelier d’étude avec des apprentis comédiens que naît le projet d’inventer un exercice sur la prosodie de la parole interprétée.
Si la parole constitue le matériau premier de l’acteur, son approche « technique » : l’intonation, l’accentuation, le rythme, et autres inflexions prosodiques, sont en revanche souvent délaissées ou au moins ignorées dans le travail de l’interprétation. C’est en partant de ce constat qu’il collabore avec le linguiste Rémi Godement-Berline lors des ateliers « exploration de la langue ». Cette recherche a pour but, tout autant d’étudier la prosodie des acteurs, que d’aider ces derniers à en prendre conscience pour mieux s’en saisir dans le processus créatif. De la même manière qu’un musicien entend les tons en mettant en lien le placement de ses doigts sur son instrument, l’acteur doit parvenir à repérer ce qui est dit et comment. L’exercice s’appelle donc les gammes de la parole, rappelant la pratique des musiciens.
Arnaud Churin conçoit la recherche comme indissociable du processus créatif. Il souhaite ainsi explorer un angle encore trop peu abordé selon lui dans les études théâtrales : la question du jeu. Dans un contexte où les possibilités d’interprétation des acteurs sont matériellement de plus en plus contraintes, particulièrement au niveau des temps de répétition, travailler sur de nouvelles manières de concevoir le jeu, le filage, l’improvisation, est plus que cruciale pour le metteur en scène. C’est en cela que l’étude de la prosodie a beaucoup à apporter au théâtre de la parole que défend Arnaud Churin, mêlant les modes opératoires de la linguistique à la pratique artistique.
Bien que ses ateliers soient accessibles à tout un chacun, le premier public que vise Arnaud Churin par sa recherche sont les élèves des écoles de théâtre. Ainsi, des ateliers à l’ESAD ou au Conservatoire de Nantes notamment font partie de ses projets pour l’année à venir.
A terme, Arnaud Churin souhaiterait contribuer à l’élaboration d’un master en recherche et création qui concernerait la pratique de plateau, projet pour lequel des partenaires restent encore à trouver.
Compagnie Troisième Génération
Depuis près de douze ans, la Compagnie Troisième Génération œuvre à décloisonner les arts du mime et du geste, en démontrant toute leur actualité et leur éloquence scénique. Leurs travaux de recherche visent à replacer la dramaturgie corporelle au cœur de l’écriture théâtrale, en croisant les techniques du mime, avec celles du cinéma et de la bande-dessinée.
La Compagnie Troisième Génération a été fondée par Sergi Emiliano I Griell et Agnès Delachair. Elle réunit des jeunes comédiens européens autour d’un désir commun de dépoussiérer l’image du mime, pour en faire une technique de jeu à part entière, au service de l’écriture théâtrale. Leurs créations ont été récompensées par plusieurs prix, notamment du Groupe Geste(s) - groupe de professionnels du spectacle dont le but est de favoriser la création et la diffusion dans le domaine des arts du mime et du geste - en 2013 et en 2017. Depuis plus d’un an, ils sont associés à l’Odyssée – Scène conventionnée de Périgueux.
Dès leurs débuts, ils ont envisagé la recherche comme une étape décisive et nécessaire dans leur projet de rénovation et d’exploration des techniques du mime et du geste. Ils considèrent les temps de recherche comme des moments privilégiés, permettant de poursuivre et d’approfondir leurs intuitions artistiques. Ces travaux leur donnent également l’opportunité de nourrir des dialogues féconds avec leurs institutions partenaires, notamment l’Odyssée et le Théâtre Victor Hugo de Bagneux, ainsi qu’avec d’autres artistes issus de disciplines diverses.
L’enjeu de la recherche portée par la compagnie est de parvenir à recréer dans l’espace scénique et via le corps de l’acteur-mime, une représentation du temps semblable à celle à l’œuvre dans un montage cinématographique : ellipses, travellings, valeurs de mouvement, champs/contre-champs... Il s’agit donc d’inventer un nouveau langage physique, à travers le croisement des disciplines artistiques, dans lequel le mouvement se suffirait à lui-même dans son expressivité, et supplanterait le recours à la narration et la psychologie des personnages.
C’est avant tout sur scène que la compagnie souhaite transmettre et partager les résultats de ses recherches, en donnant à voir leurs expériences et leurs réflexions. Soucieux de ne pas faire une recherche élitiste, mais bel et bien accessible à tous, leurs travaux s’adressent aussi bien au grand public, qu’aux chercheurs académiques, aux acteurs, aux metteurs en scènes, aux théâtres et aux professionnels.
Dans un contexte où la théorisation reste encore rare dans le champ du mime, le travail d’artistes comme la Compagnie Troisième Génération joue un rôle très important. Pour autant, les objectifs de leurs travaux dépassent les frontières de leur seule discipline. Selon eux, il s’agit bien au-delà de « redonner au théâtre une spécificité qui lui donnerait une envergure différente, […] un nouveau souffle, qui serait vivant, attractif, hypnotique, et qui remettrait véritablement les acteurs au centre ».
Plusieurs résultats des recherches de la Compagnie Troisième Génération seront présentés dans leur prochain spectacle, Un jour tout s’illuminera, dont la première aura lieu en janvier 2023 au théâtre de l’Odyssée de Périgueux.
Claire Heggen
Transmission et transversalité sont deux composantes clefs du travail de création et de recherche de Claire Heggen. Avec son travail sur la « grammaire de la relation » entre l’objet marionnettique et le corps en mouvement, elle recense sous forme d’abécédaire, un répertoire visuel à destination des générations d’artistes actuelles et à venir.
Claire Heggen est autrice, metteuse en scène, actrice, directrice artistique de la compagnie Claire Heggen - Théâtre du mouvement et enseignante dans les domaines des arts de la marionnette et des arts du mime et du geste. Depuis 35 ans, elle travaille sur la relation entre le corps, l’objet, la marionnette et les matériaux. Influencée par des artistes et des penseurs issus de disciplines multiples, allant du mime corporel à la marionnette, en passant par l’anatomie, la philosophie du corps, la recherche en arts de la scène, elle diffuse ses spectacles et enseigne aussi bien en France qu’à l’international, en école d’arts, à l’université, à l’occasion de rencontres professionnelles.
Avec sa recherche sur la théâtralité du mouvement et la relation corps/objet, Claire Heggen inaugure un nouveau champ de la recherche dans le domaine des arts de la marionnette. Son but est de répertorier et mettre en jeu les principaux procédés d’animation d’un objet manipulé, en relation avec le corps de l’artiste. Elle élabore ainsi un abécédaire à la fois écrit et visuel, qui regroupe environ 90 notions, concepts, définitions, accompagnées de vignettes vidéos illustrant chacun des termes. Ce travail d’inventaire est restitué notamment dans une « conférence mouvementée » intitulée L’inventaire animé. Lors de cette présentation, qui se veut animée et ludique, Claire Heggen est accompagnée par deux marionnettistes, Philippe Rodriguez-Jorda et Christophe Hanon, et une musicienne-danseuse, Elsa Marquet-Lienhart. Par ce travail de recensement, il s’agit non seulement de distinguer, préciser et nommer ce qui est en jeu, d’inventer des protocoles d’entraînement pour les artistes, mais aussi de proposer une grammaire du mouvement qui puisse nourrir d’autres disciplines scéniques, les arts du mime et du geste, le cirque, la danse…
Selon Claire Heggen, la recherche en arts doit à la fois faire avancer les connaissances et provoquer un renouvellement des esthétiques, tout en tenant compte des répertoires et des héritages artistiques. Dans son travail elle est particulièrement animée par un désir de savoir et d’apprendre, elle cherche à bouleverser les représentations établies sur le corps et sa mise en mouvement, mais aussi à transmettre. Chevalière des Arts et des Lettres, elle est récompensée en 2015 par le Prix de la transmission de l’Institut international de la Marionnette.
Son travail lui permet aujourd’hui de se produire, de travailler et d’enseigner en lien avec des professionnels issus de disciplines diverses et dans de nombreux pays. Toutefois, le caractère transversal de sa pratique reste encore difficile à rendre visible, dans un contexte où les séparations entre les disciplines restent très prégnantes.
Claire Heggen élabore son travail de telle sorte à ce qu’il se transmette à tous types de publics, professionnel ou amateur. En ce sens, elle souhaiterait que sa « conférence mouvementée » L’inventaire animé se diffuse le plus largement possible.
Ésacto’Lido
En 2020, l’appel à projets Recherche en théâtre et arts associés a permis de soutenir plusieurs projets de recherche portés dans des établissements d’enseignement supérieur du spectacle vivant, à l’instar du projet L’Artiste de cirque en entrainement (LACE). Porté par Karine Saroh et Aurélie Vincq au sein de l’Ésacto’Lido, cette étude porte sur les conditions d’entrainement des artistes professionnels, ses modalités de gouvernance, ses dynamiques sociales et l’impact de la crise sanitaire du Covid-19.
L’École supérieure des arts du cirque Toulouse Occitanie (Ésacto’Lido) est un établissement d’enseignement supérieur de formation aux arts du cirque, accrédité depuis 2019 par le ministère de la Culture. L’établissement s’est structuré ces dernières années autour d’une importance accrue accordée aux programmes de recherche, qui y sont menés par Karine Saroh, chargée de recherche et développement et Aurélie Vincq, secrétaire générale de l’école.
Si l’entraînement est essentiel et incontournable, tant pour le maintien des compétences artistiques ou la prévention des blessures, que pour la sociabilité des artistes et leur insertion professionnelle, il demeure peu valorisé, aussi bien au niveau institutionnel que du côté du grand public. Alors que le territoire de la métropole toulousaine est particulièrement bien doté en espaces d’entraînement, le but du programme était de comprendre comment les artistes au niveau national s’organisent pour s’entraîner de manière régulière et dans des conditions adéquates. La recherche s’est ainsi construite autour de quatre axes de travail : les territoires de l’entraînement, sa signification dans le contexte des arts du cirque ; la place de l’entraînement comme espace de socialisation pour les circassiens ; les espaces dédiés à l’entraînement des artistes et leurs modes de gouvernance ; la crise sanitaire et son impact sur les pratiques des artistes.
Mené en étroite collaboration avec Émilie Salamero, maîtresse de conférence en sociologie à l’Université Paul Sabatier de Toulouse et Nina Peix-Vives, étudiante en master STAPS, cette recherche s’est construite autour d’une démarche pluridisciplinaire, associant des représentants de la profession, des structures d’entraînement et de formation, des artistes et collectifs. Pour Karine Saroh et Aurélie Vincq, la recherche en école d’art doit en effet susciter des liens entre le monde académique et le secteur artistique, et s’adresser à tous les publics.
Un appel à projets spécifique pour le soutien à la recherche dans les établissements d’enseignement supérieur du spectacle vivant a été mis en place depuis 2021 par le Ministère de la Culture - Direction générale de la création artistique.
LaboMobiles
Questionner les pratiques artistiques, favoriser les échanges entre les différentes disciplines. Dans un contexte où il demeure difficile pour les artistes d’aménager du temps de recherche en dehors des impératifs de création, la compagnie L’Instant mobile a créé les « LaboMobiles », des résidences de recherche éphémères et itinérantes dans le but de faire germer des idées pour la création de demain.
Le « LaboMobile » est un espace de recherche nomade, ouvert à tous les professionnels du monde de la création, issus des professions artistiques comme techniques. Selon le principe de la recherche au plateau, ce « laboratoire » réunit une dizaine de participants, inscrits via un appel à candidatures. Le temps de quelques jours ou plusieurs semaines, chacun et chacune des membres du collectif ainsi créé s’approprie l’espace du lieu de création qui les accueille, pour apporter des regards croisés et mener leurs réflexions sur une thématique définie en amont de chaque session de travail.
Ce dispositif est créé par l’artiste, technicien et co-fondateur de la compagnie L’Instant mobile, Arnaud Chevalier, en lien avec Hugo Montero, anthropologue et cinéaste. La première édition a eu lieu pendant trois jours en 2018 au Théâtre de l’Élysée de Lyon sur le thème des « identités ». Une deuxième édition a eu lieu en 2019 au Lavoir Public de Lyon sur « la marche en ville ». Une troisième édition au CUBE – Studio Théâtre du Hérisson et au Studio-Théâtre de Vitry s’est intéressée au thème du « savoir-faire ». La quatrième édition sur le thème du « sensible » s’est tenue en janvier et février 2021 à l’Espace Scénique Transdisciplinaire de l’Université de Grenoble Alpes et aux Subs de Lyon.
Chaque édition du laboratoire est l’occasion de réfléchir à une nouvelle forme d’élaboration et de partage de la recherche. Au fil des éditions ont ainsi été mises en place des « contributions », une manière pour les participants de documenter et de partager les travaux menés pendant le laboratoire, selon un format libre. Une plateforme numérique rassemblant l’ensemble de ces contributions est en cours d’élaboration, dans le but de donner plus de visibilité au dispositif et à ses répercussions.
Pour Hugo Montero et Arnaud Chevalier, le but de la recherche en arts est de provoquer une rencontre, entre les personnes d’une part, et les disciplines et savoir-faire d’autre part, et ce dans un espace et une temporalité totalement distincte des autres réalités du monde artistique.
Si leur travail s’adressait davantage aux artistes qu’aux techniciens, les prochaines éditions des « Labomobiles », qui se dérouleront en janvier et février 2023 à RAMDAM, un centre d’art et au Cube de la compagnie La Belle Meunière. Cette prochaine édition fera l’objet d’une session de partage d’expérience et d’échange avec les publics du théâtre l’Hexagone de Meylan Scène Nationale Art et Science.
Renaud Robert
Véritable « fou curieux », Renaud Robert a toujours accordé une place centrale à la recherche historique et sociologique dans son travail de marionnettiste et de metteur en scène. Le directeur de la compagnie EFFIGIE(s) THÉÂTRE mène actuellement une recherche sur la famille Temporal, une dynastie de marionnettistes avec laquelle il entretient un lien plus que particulier.
Convaincu qu’« il n’y a pas de hasard » mais seulement des « rendez-vous », Renaud Robert n’a cessé de rencontrer les Temporal au fil de son parcours d’artiste et de chercheur.
Né « dans le chaudron de la marionnette » à Charleville-Mézières, il grandi avec le livre Comment construire et animer nos marionnettes de Marcel Temporal. A l’adolescence, il rejoint Les Petits Comédiens de Chiffons et il a l’occasion de rencontrer plusieurs fois Jean-Loup Temporal, fils de Marcel. Dans les années 1980, lorsqu’il fonde sa propre troupe à Meung-sur-Loire, il rencontre en voisin la troisième génération de la famille en la personne de Dominique Temporal, également marionnettiste. En 2016, il découvre de manière fortuite des marionnettes inédites des Temporal dans les réserves d’un château. Le bonheur de cette découverte s’est rapidement mué en une nécessité profonde de chercher pour sauver, étudier et faire connaître le patrimoine de cette grande famille de marionnettistes.
C’est avec passion que Renaud Robert se lance dans cette investigation qui le plonge dans des archives de la famille, comprenant marionnettes, dessins, textes et autres documents inédits. Il y découvre le caractère précurseur de l’œuvre de ces artistes et l’importance historique de leurs travaux et réflexions pour les arts de la marionnette. Sa recherche l’amène également à la Bibliothèque nationale de France, au Mucem et au Musée des Arts de la Marionnette. Il y tisse des liens entre les documents mis à jour. Il conçoit alors avec le scénographe Serge Dubuc une exposition intitulée « Haut les Bras ! Les Temporal et leurs marionnettes » qui est présentée pour la première fois lors du Festival Mondial des Théâtres de Marionnettes de Charleville-Mézières en 2019.
Pour Renaud Robert, l’œuvre novatrice des Temporal est bien vivante et actuelle. Elle doit être tout autant accessible à la curiosité du grand public qu’être une source d’inspiration pour les marionnettistes d’aujourd’hui. Aussi, il travaille actuellement à la mise en ligne de l’ensemble de ses ressources sur le Portail des Arts de la Marionnette de l’Institut International de la Marionnette. Il rêverait également de pouvoir retracer le parcours de la dynastie Temporal dans un ouvrage.
Une quatrième édition de son exposition, réunissant de nouvelles marionnettes, maquettes et photographies découvertes très récemment par Renaud Robert, a été présentée du 4 au 15 octobre 2022 à Vendôme, à l’occasion de l’ouverture du Centre National de la Marionnette.
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