C’est un véritable rendez-vous avec l’Histoire : chaque année, les journées archéologiques régionales sont l’occasion de découvrir son environnement autrement. Cette édition à Saint-Lô, en présence du préfet de la Manche et du président du conseil département de la Manche, a été rythmée par trois axes principaux : l'exploration de la très ancienne occupation humaine de la Manche, les enjeux liés au recul du trait de côte et à la protection du patrimoine littoral, ainsi que la mise en lumière de vestiges archéologiques liés au Débarquement de 1944.
Ouverture des JAR 2025, CRA, Préfet de la Manche, Président de la Manche ©EJ
Paléolithique, littoral menacé et traces de 1944 au cœur des découvertes archéologiques normandes
Aux origines de la Manche : l'occupation paléolithique révélée
L'un des apports majeurs de ces Journées a été de souligner combien le territoire de la Manche et plus largement la Normandie ont été des terres d’occupation humaine très ancienne.
La communication de F. Charraud, B. Aubry, F. Jimenez et S. Hinguant (Inrap) sur le site de Louviers – Avenue W. Churchill (Eure) a mis en évidence 15 000 ans d’histoire humaine à la confluence Seine-Eure, témoignant d’une fréquentation continue depuis le Paléolithique supérieur. Par ailleurs, de nombreux travaux menés sur le littoral, notamment sur l'archipel de Chausey (présentés par H. Gandois - UMR 6566 - CreAAH Rennes), ont permis d’esquisser un tableau beaucoup plus riche qu’on ne l’imaginait de l’occupation humaine dès les périodes anciennes.
Les découvertes anciennes, croisées aux projets récents, révèlent que ces territoires aujourd'hui insulaires formaient, à d’autres époques, des prolongements accessibles par voie terrestre et porteurs d’activités humaines, ce qui ouvre des perspectives inédites sur la préhistoire de la Manche.
Ces résultats confirment combien l’archéologie normande s’est enrichie ces dernières années, en rendant visible une trame d’occupation très ancienne, souvent masquée par les aléas naturels et l'évolution du paysage.
Le recul du trait de côte : un patrimoine en danger
Autre thème central de la journée : le recul du trait de côte, phénomène qui menace directement de nombreux sites archéologiques littoraux. La présentation coordonnée par C. Billard (DRAC-SRA Normandie), H. Gandois, G. Blondel (SMAVE) et F. Giligny (Univ. Paris I) a dressé un bilan préoccupant de l'impact de l’érosion sur le patrimoine, en Normandie comme ailleurs. Un programme d’évaluation systématique a été engagé pour recenser, documenter et parfois sauver en urgence des sites archéologiques désormais exposés à la mer. Parmi les exemples marquants, certains établissements côtiers anciens, parfois plurimillénaires, sont aujourd'hui directement menacés de disparition. Les chercheurs ont souligné l'importance d'intervenir rapidement, avec des méthodes adaptées, pour conserver la mémoire de ces sites avant leur disparition physique, rappelant combien le patrimoine littoral est fragile et temporaire face aux évolutions climatiques et aux dynamiques naturelles.
Ce travail contribue aussi à renouveler profondément la manière dont l’archéologie est conduite aujourd’hui : il s'agit non seulement de fouiller, mais aussi de cartographier des risques, d’anticiper et de documenter des paysages en mutation rapide.
1944 sous la pelle : l'archéologie de la Seconde Guerre mondiale autour de Saint-Lô et sur la côte de Nacre
Enfin, la journée a mis en lumière l'importance de l'archéologie du récent, notamment autour de la Seconde Guerre mondiale, un domaine en plein développement. Plusieurs interventions ont été consacrées aux découvertes effectuées autour de Saint-Lô et sur la Côte de Nacre (Langrune-sur-Mer, Englesqueville-la-Percée), deux zones majeures du Débarquement de juin 1944. J.-Y. Lelièvre et A. Vantillard (Service archéologique du Département du Calvados) ont présenté les résultats des fouilles réalisées sur des portions du Mur de l'Atlantique, incluant notamment des stations radar et des ouvrages défensifs restés partiellement enfouis ou dégradés. De même, A. Gorgues (Université de Bordeaux) a proposé un regard novateur sur l'archéologie des champs de bataille dans la Manche, soulignant que cette approche permet de compléter les sources historiques classiques et de mieux comprendre les dynamiques des combats et de l'occupation militaire.
Ces recherches montrent que l’archéologie contemporaine est aussi une archéologie de la mémoire : les objets, les infrastructures militaires, les restes de camps et de fortifications témoignent directement de la violence des événements de 1944, tout en offrant un éclairage unique sur la vie quotidienne des soldats et des civils.
Une dynamique régionale affirmée
Ces Journées ont permis de mesurer à quel point l'archéologie en Normandie est aujourd'hui dynamique, ouverte sur des enjeux contemporains, et en pleine mutation méthodologique :
- en s’attaquant aux fouilles de sauvetage face aux risques naturels,
- en explorant de nouveaux terrains comme l’archéologie militaire récente,
- ou encore en intégrant des approches pluridisciplinaires (géoarchéologie, tomodensitométrie sur objets métalliques).
Elles témoignent aussi de l’importance de maintenir une coopération étroite entre les services de l’État, les collectivités, les universités et les acteurs de la recherche archéologique privée. La participation du public et la présence d'étudiants montrent enfin que l'archéologie, loin d’être une discipline tournée vers le passé, est aujourd'hui plus que jamais vivante, passionnante et connectée aux grands défis de notre époque.
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