Avec l’arrivée de Marie Lenoir et Thomas Quillardet à la direction, le Festival Paris l’Été se réinvente en profondeur pour sa 35e édition. Si l’événement reste fidèle à son ADN festif et populaire, il affirme plus que jamais une volonté de décloisonnement et d’engagement. "L’aventure du festival continue, plus vibrante que jamais, avec une nouvelle ambition : sortir des murs et aller au plus près des habitants et des habitantes avec des projets généreux et engagés", affirme la codirection avec enthousiasme.
Replacer l’art dans la ville, entre patrimoine et quotidien
Repenser la ville comme une scène vivante, traversée par l’art. C’est tout le projet de cette édition. "Revisiter les Palais, construire des Nids, habiter les Quartiers" : ce triptyque guide une programmation résolument tournée vers l’exploration de nouveaux territoires.
À commencer par les lieux patrimoniaux. Le Grand Palais, site emblématique de la capitale, s’ouvre de façon inédite à un battle de "Waacking" signé Josépha Madoki, réunissant plus de 150 danseurs dans une célébration vibrante et spectaculaire, suivi d’une carte blanche festive et engagée à l’artiste Kiddy Smile. Un choix fort, qui reflète, selon Marie Lenoir et Thomas Quillardet, "la volonté d’ouvrir les lieux de pouvoir et d’histoire à de nouvelles esthétiques, à de nouveaux corps".
Autre moment fort : la Grande Scène du Jardin des Tuileries, en partenariat avec Les Étés du Louvre, accueille danse contemporaine (Lia Rodrigues, Silvia Gribaudi, MazelFreten), concerts (Mayra Andrade), expositions et soirées DJ dans une ambiance de fête urbaine. "Nous voulons renouer avec l’origine populaire et libre du festival, où la culture devient un espace de rassemblement festif", souligne la direction.
L’art s’invite dans les quartiers et lieux insolites
Mais Paris l’Été ne s’arrête pas aux hauts lieux de la culture. Le festival descend dans la rue, "au plus près des habitantes et habitants", notamment dans les quartiers du 19e arrondissement, de Pantin ou de Bastille, avec des créations in situ du collectif Jeanine Machine, d’Anne-Sophie Turion, de Thierry Collet, ou de Chloé Moglia.
Autre geste fort : faire des "Nids" d’art dans des lieux méconnus. Chapelle du Village Reille (14e), Domaine de Villarceaux (95), Fondation Fiminco (93)… "Nous voulons que les spectateurs découvrent des lieux qu’ils n’auraient jamais visités, où l’art devient un prétexte au déplacement, à l’émerveillement", expliquent Marie Lenoir et Thomas Quillardet. Sur 17 lieux investis cette année, 16 le sont pour la toute première fois. Et l’accessibilité n’est pas oubliée : "un tiers de la programmation est en accès libre, et les tarifs restent attractifs pour que chacun puisse en profiter".
Une ligne artistique hybride et résolument contemporaine
Cette 35e édition se distingue par une programmation pluridisciplinaire et radicalement ouverte à tous les langages scéniques. Théâtre, danse, musique, cabaret, arts visuels, cirque, magie ou drag : toutes les formes coexistent dans un esprit de liberté revendiquée. "Nous croyons à la porosité des disciplines comme à celle des publics", rappellent Marie Lenoir et Thomas Quillardet.
La danse y tient une place essentielle, envisagée comme un champ d’exploration sensoriel et politique. Des écritures contemporaines puissantes s'y croisent : le Gaga physique et introspectif de Thibault Enfermant "HHH", la danse de salon détournée par Eugen Jebeleanu "Le Prix de l’or", ou encore l’onde hypnotique de "Crowd" par Gisèle Vienne. L’ouverture artistique s’étend aussi aux territoires : dans le cadre de l’année croisée France–Brésil, Rio de Janeiro est mise à l’honneur. Lia Rodrigues, la plasticienne Marina Guzzo et le metteur en scène Marcio Abreu – accueilli en résidence longue à la Fondation Fiminco – incarnent cette circulation vivante des imaginaires et des pratiques. "Ces présences ne sont pas simplement symboliques : elles incarnent une vision traversante de la culture mondiale."
Au cœur de cette édition, les valeurs d’inclusion, de diversité et d’engagement irriguent la programmation. De nombreuses propositions donnent voix aux identités LGBTQIA+ : "Le Pédé, Le Cabaret Les Moches", la carte blanche confiée à Sara Forever et Matthieu Barbin, ou encore l’exposition "Kwir Noú Éxist" célèbrent les multiples manières d’exister, de créer et de résister
"Nous voulons que chacun puisse se reconnaître dans cette programmation : femmes, hommes, personnes queer, artistes émergents ou confirmés, publics curieux ou néophytes", soulignent les codirecteurs. Cette volonté se prolonge dans une série de projets participatifs, portés notamment par Marina Gomes ou Anne-Sophie Turion, qui font du spectateur un véritable acteur de l’expérience artistique.
Une fête collective, une joie partagée
"Des sujets importants y seront traités, mais le sérieux n’aura pas droit de cité. La joie sera notre moteur", affirment, comme un manifeste, Marie Lenoir et Thomas Quillardet. Ce souffle traverse toute la programmation : l’exigence artistique se conjugue à une atmosphère de fête, de rencontre, de découverte. Plus qu’un simple festival estival, Paris l’Été 2025 devient une expérience collective, sensible et généreuse. Une invitation à "l’émerveillement, sans cesse renouvelé, pour Paris et sa région", concluent Marie Lenoir et Thomas Quillardet. Un pari réussi : faire de l’art un bien commun, vivant, accessible et furieusement joyeux.
Danser pour exister, s’affirmer, rassembler
La danse irrigue cette édition comme un flux continu d’émotions, de récits et de révoltes. Elle traverse les espaces, les formes et les esthétiques pour faire du mouvement un acte d’affirmation, de communion et de liberté. Lia Rodrigues ouvre ce sillon avec "Encantado", une œuvre rituelle et collective nourrie des traditions afro-brésiliennes, entre écologie, spiritualité et puissance du geste.
Gisèle Vienne déploie "Crowd" au cœur du Bois de Vincennes : une rave au ralenti, envoûtante et politique, où le collectif devient tension et transe. Silvia Gribaudi joue avec les codes du ballet classique dans "Le Grand Jeté", chorégraphie décomplexée et festive portée par les interprètes de la MM Contemporary Dance Company. Marina Gomes, avec "Bach Nord", mêle hip-hop et musique baroque pour donner voix et corps à la jeunesse des quartiers populaires.
Dans le jardin de l’Institut Culturel Italien, quatorze jeunes danseurs présentent "Give peace a chance - Now !" une œuvre chorégraphiée par Julie Ann Anzilotti. Inspirée de "Imagine" de John Lennon et d’Isaïe 52,7, la pièce célèbre la paix. Les interprètes, issus de l’École d’art dramatique de Milan, donnent vie à des tableaux inspirés d’Henri Matisse. Enfin, Solos dorés, présenté au Palais de la Porte Dorée, réunit Calixto Neto, Rebecca Journo et Thibaut Eiferman autour de la question du corps normé, assigné, marginalisé — des présences plurielles pour une parole incarnée.
"Rave Lucid", création de Laura Defretin et Brandon Masele au sein de la compagnie MazelFreten, est une pièce pour dix interprètes mêlant danse électro, house et techno. Sur des rythmes effrénés, les chorégraphes inventent une rave collective, vibrante réponse à un monde numérique désincarné. Jeux de bras, ondulations graphiques et ralentis maîtrisés dessinent une gestuelle millimétrée, où la synchronisation des corps conduit à la transe. Une célébration de l’énergie électro et des valeurs collectives du hip-hop.
Musique : vibrations électroniques, acoustiques ou intimes
La scène musicale de cette édition épouse des registres contrastés, du battement électronique à l’épure acoustique. En ouverture, Kiddy Smile et Horse Meat Disco insufflent une énergie queer et électrisante, promesse d’une nuit collective et libératrice. DJ Chloé et Vassilena Serafimova composent "Sequenza", un dialogue sensible entre marimba et textures électroniques.
Mayra Andrade livre un concert acoustique et multilingue tout en émotion, tandis que "Birds on a Wire" - duo complice formé par Dom La Nena et Rosemary Standley - réinvente avec finesse des chants venus du monde entier.
Voix engagées : dire, se souvenir, transmettre
Les artistes de cette édition investissent l’espace public comme un lieu de mémoire et de combat. Avec "Le Pédé", le collectif Jeanine Machine livre un solo frontal et poétique sur les luttes LGBTQIA+, en prise directe avec la rue. Eugen Jebeleanu poursuit ce geste d’exposition de soi dans "Le Prix de l’or", autofiction chorégraphique où il revisite son parcours de danseur de compétition sous le prisme des normes et du conditionnement. Anne-Sophie Turion crée "Grandeur nature", déambulation documentaire née de témoignages collectés à Bastille. La compagnie Paon dans le ciment transforme un escalier de quartier en scène solidaire avec "Hune". Enfin, une carte blanche à La Déferlante rassemble penseurs et artistes autour des engagements corporels contemporains, traçant une géographie politique sensible.
Cabarets et cultures queer : fêtes libres et affirmations joyeuses
Les cabarets queer déploient leur irrévérence joyeuse, affirmant des récits souvent invisibilisés. Kiddy Smile, déjà présent en ouverture, incarne cette alliance entre fête, fierté et subversion. Le Cabaret Les Moches, imaginé par Carla-Vladya Subovici et Axel Ibot, investit la Chapelle Reille avec une esthétique volontairement monstrueuse, jubilatoire et politique. Dans le cadre bucolique des Tuileries, Sara Forever orchestre une garden party queer avec "Slutty Fauns", entre opéra rock et drag militant. L’exposition "Kwir Noú Éxist", conçue par Raya Martigny et Édouard Richard, dévoile quant à elle une jeunesse queer réunionnaise à travers des portraits sensibles, puissamment incarnés.
Cirque et suspensions : poésie du vertige
Suspendus entre ciel et sol, les corps circassiens explorent la gravité comme une matière poétique. Bastien Dausse, avec Moon, imagine une déambulation où les installations jouent de l’apesanteur et de l’étrangeté. Chloé Moglia, dans Rouge Merveille, offre un solo aérien empreint de lenteur, où chaque mouvement devient respiration.
Damien Droin et la compagnie Hors Surface investissent le Jardin d’Acclimatation avec un ballet aérien où se mêlent acrobates, freestylers et musiciens. Enfin, "Les Balades Extraordinaires" de Blaise Merlin proposent un itinéraire circassien en pleine nature, dans le Domaine de Villarceaux : un souffle d’émerveillement à ciel ouvert.
Expériences hybrides : entre performance, participation et illusion
Le festival brouille les frontières, décloisonne les formes et invite à vivre l’art autrement. Géraldine Chollet ouvre un cercle avec "OUVERTURE", procession chorégraphique inspirée des rituels antiques, entre danse, souffle et résonances collectives. Marina Guzzo prolonge son engagement écologique avec "Mistura", performance végétale et participative où le lien au vivant devient geste artistique. Thierry Collet, dans "Que du bonheur (avec vos capteurs)", interroge la technologie à travers une magie contemporaine qui trouble les perceptions.
Enfin, Nicolas Heredia et La Vaste Entreprise signent "La Fondation du Rien", une proposition absurde et poétique où l’inactivité devient manifeste. Spectacle, site web, faux services, affichages annulés : un art à tiroirs qui défend, avec humour, l’espace du vide.
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