Mehdi Kerkouche, la danse ouverte sur le monde

Mehdi Kerkouche, figure majeure de la danse contemporaine française, a su imposer une signature artistique marquée par l’audace et la générosité. Très jeune, il s'oriente avec passion vers cet art qu’il considère comme une véritable forme d’expression universelle. Son parcours, jalonné de créations marquantes et d’initiatives novatrices, témoigne de son engagement à rendre la danse accessible à toutes et tous et à en faire un lieu de rencontre des cultures et des générations. 

Son cheminement, nourri par une curiosité insatiable et un regard tourné vers l’humain, s'est progressivement enrichi pour devenir une quête artistique. Il ne se contente pas de créer des spectacles, il tisse des récits à travers le mouvement, jouant avec les espaces urbains et les rencontres fortuites. Avec BOLERO.S,  Mehdi Kerkouche transcende à nouveau les cadres habituels en investissant la ville comme une scène chorégraphique vivante. Pour lui, la danse n'est pas seulement un art, c'est un langage, une célébration de la diversité et une invitation à explorer le monde ensemble.

La danse comme un espace sans frontières

 

"Tu veux faire de la danse ? Vas-y !"

Chorégraphe et directeur du Centre chorégraphique national (CCN) de Créteil et du Val-de-Marne depuis 2023, Mehdi Kerkouche insuffle à la danse contemporaine une énergie vibrante et une sincérité profonde. Son engagement artistique est le fruit d'une décision précoce. À 16 ans, il choisit la danse avec passion. Lorsqu’il en parle à sa mère, elle lui répond sans hésitation : "Tu veux faire de la danse ? Vas-y !". Cette liberté offerte a façonné son parcours, et il en porte encore l’élan dans chaque création, comme lors de ses créations chorégraphiques pour l’artiste Angèle. Au-delà de l’art, pour lui, la chorégraphie est un espace d'expression et de rencontre, un lieu sans frontières où les différences s'estompent pour laisser place à l'émotion partagée.

BOLERO.S : la ville comme scène chorégraphique

En 2025, Mehdi Kerkouche crée BOLERO.S, un court-métrage de 16 minutes. Cette œuvre saisissante s’inscrit dans l’année Maurice Ravel pour les 150 ans de sa naissance. Ce projet rend hommage à l'un des chefs-d'œuvre les plus célèbres - le mythique ballet - du compositeur français. Tourné à l’automne dans les rues de Créteil, on découvre comment Mehdi Kerkouche transforme l’espace urbain en scène chorégraphique ouverte. L’œuvre de Ravel, avec sa mélodie obsessionnelle et son crescendo envoûtant, devient le fil conducteur d'une danse qui prend vie dans le quotidien de la ville.

Pour BOLERO.S, le chorégraphe crayonne la ville pour mieux révéler son graphisme. Dès les premières vibrations musicales, aux quatre coins de la cité, des silhouettes émergent. Hommes et femmes s’élancent, portés par une énergie fluide, un mouvement souple, dansant. Ils avancent, se cherchent, se frôlent, jusqu'à converger très naturellement vers le Centre Commercial, le cœur battant de Créteil Soleil. Là, au point d'impact, l'osmose opère. Les corps et les gestes dialoguent, s'accordent dans une conversation silencieuse. Mehdi Kerkouche révèle une chorégraphie à la fois grave et légère, spontanée et harmonieuse, où chaque mouvement trouve sa juste place, tel un fragment d'un puzzle urbain. Chaque pas, oscillant entre élan instinctif et précision maîtrisée, raconte la ville et ses battements. Dans cette mise en scène, l'architecture joue un rôle essentiel. Véritable partenaire de ce ballet contemporain, elle structure et définit l'espace où évoluent les danseurs, magnifiant ainsi l'expression de leurs gestes et transformant chaque lieu en un véritable écrin du mouvement.

À travers ce tableau, on comprend aussitôt le désir du chorégraphe, de ne jamais asseoir la danse dans des cadres figés. Cette conviction profonde semble inspirer et guider chacune de ses créations artistiques. Mehdi Kerkouche fait respirer la danse. Il la veut vivante, au contact du monde réel, en l'ancrant dans la spontanéité de l’instant et la richesse des rencontres inattendues.

Mais BOLERO.S signe aussi la célébration de la diversité culturelle et de l'expression artistique. Chaque épisode illustre les liens subtils entre les individus, explorant les rencontres manquées et la richesse des différences. En incarnant cette musique intemporelle dans des espaces modernes, le chorégraphe offre une réinterprétation expressive et contemporaine du chef-d'œuvre de Ravel.

Ce projet ambitieux inaugure également l'initiative du studio numérique du CCN de Créteil et du Val-de-Marne, affirmant la volonté de "créer, partager, rassembler". Il s'agit de la première création cinématographique de cette envergure au sein du centre chorégraphique, marquant un tournant vers des formes artistiques hybrides et inclusives.

Une discipline du partage

"Il y a assez de gens qui divisent, la danse, elle, rassemble"

Pour Mehdi Kerkouche, la danse est un langage universel, un art du rassemblement. Il déclare : "Il y a assez de gens qui divisent, la danse, elle, rassemble." Son engagement artistique est profondément collectif. Ce qui le passionne, c'est l'aventure humaine, portée par une confiance inébranlable dans la force du groupe, où chacun contribue en apportant une part essentielle de lui-même.

Pendant le confinement, alors que le monde se fige, il trouve une solution créative pour contrer l'immobilisme. Il réunit quatre danseurs de sa compagnie EMKA et leur lance un défi audacieux : répéter une heure de danse chaque jour pendant une semaine, chacun depuis son appartement, connectés uniquement par écran interposé. Mehdi Kerkouche immortalise ensuite cette expérience en créant une série de vidéos qu'il partage sur les réseaux sociaux. Le public découvre alors une mosaïque de corps en mouvement, animés par une énergie commune. L’engouement est au rendez-vous. "On Danse Chez Vous" est né, créant des ponts au-delà de l'isolement.

Cette initiative s'est transformée en une véritable plateforme d'expression nouvelle. Elle continue et se déroule désormais au grand air et s’invite dans les espaces publics, réunissant danseurs et spectateurs dans un élan commun de partage et de créativité. Les 21et 22 septembre derniers  "On Danse Chez Vous" a eu lieu à Marseille au Mucem.

Le numérique au service de la danse

"C’est formidable qu’un gamin puisse voir une chorégraphie sur son écran de téléphone"

Convaincu que l’ère numérique est une chance, il explore les nouvelles technologies. Diffusion en directe, vidéos, plateformes en ligne : il voit dans ces outils un moyen de démocratiser la danse, d’offrir un accès libre à l’émotion chorégraphique. Ils sont autant de courants pour faire résonner la danse au-delà des scènes traditionnelles. "Chacun peut y avoir accès quand il veut", observe-t-il, soucieux de briser les barrières culturelles et sociales qui séparent encore certains publics de l’art. "C’est formidable qu’un gamin puisse voir une chorégraphie sur son écran de téléphone." Ce désir d’ouverture et d’inclusion, témoigne d’un artiste profondément lucide sur la réalité contemporaine et conscient de ces défis. Mais, son ambition est claire : rendre la danse visible partout, ressentie par chacun. Cette ouverture, témoigne d'une vision artistique profondément ancrée dans la réalité de notre époque.

Quand la danse devient langage universel

Cet artiste n’a jamais cessé de danser l’instant et de célébrer le lien humain avec passion. Son parcours exemplaire, guidé par une foi inébranlable dans la transmission et le partage, est l’incarnation d'une danse vivante, ouverte sur le monde et tournée vers l'avenir. À travers BOLERO.S et l'ensemble de son œuvre, Mehdi Kerkouche affirme que la danse est un langage universel, capable de franchir les frontières et de rassembler les sensibilités. Une conviction qu'il porte avec grâce et détermination, au service d'un art qui, pour lui, est avant tout une célébration de la vie.

Un message à la jeunesse et à l’enfant qu’il était

"Aussi insurmontable que la montagne puisse paraître, avec les bons outils, on peut la monter"

Et quand on lui propose de s’adresser à l’enfant qu’il était lorsqu’il a découvert la danse, après un silence, il confie un peu ému : "Qu’il ne sait pas encore ce que la danse va lui permettre de vivre et de découvrir. Qu’il s’attache à ses rêves, parce que, aussi insurmontable que la montagne puisse paraître, avec les bons outils, on peut la monter."