Des professionnels au service de l’intérêt général
Le ministère de la Culture, dans le cadre d’une campagne de mise en lumière des architectes des Bâtiments de France lancée en 2024, dit de ceux-ci qu’ils sont archi-constructifs, archi-nécessaires et archi-utiles à notre quotidien. Il est en effet peu de professionnels qui influencent à ce point notre cadre de vie, urbain comme rural, et mettent leur expertise au service de la préservation de celui-ci, en portant leur attention au patrimoine, à l’architecture et aux paysages, et en intégrant dans leur corps de doctrine les grands enjeux urbains et environnementaux.
Frédéric Masviel est arrivé au patrimoine par le métier d’architecte. Après son diplôme obtenu à l’École nationale supérieure d’architecture de Saint-Étienne, il suit la vocation qu’il pensait être la sienne, en travaillant d’abord en agence comme beaucoup de jeunes diplômés et en se mettant à son compte en tant qu’architecte libéral, avec une spécialisation d’architecte du patrimoine. Mais au fil du temps et de façon très naturelle, il se rend compte que l’exercice de ce métier ne lui convient pas complètement , notamment dans le rapport difficile avec la maîtrise d’ouvrage et l’accès à la commande publique. A l’issue de sa formation de deux ans à l’École de Chaillot, il voit le concours d’AUE comme une opportunité de lui donner un autre tournant à son métier d’architecte au service de l’État et dans le but de défendre l’intérêt général. Il prend son premier poste de fonctionnaire comme chef de l’UDAP de l’Eure à la DRAC Haute-Normandie : "Il y a une dimension unique dans ce métier, qui est que l’on doit s’intéresser à la petite comme à la grande échelle territoriale. Il faut pouvoir s’attacher aux détails de chaque projet tout en ayant une vision très large du contexte urbain dans lequel ce projet s’insère. Et puis, l’apprentissage est permanent quand on est architecte et urbaniste de l’État et que l’on exerce en tant qu’architecte des Bâtiments de France. On progresse chaque jour !".
Bénédicte Lorenzetto rencontre le patrimoine et l’architecture dès sa formation universitaire qui l’amène à participer bénévolement à des chantiers archéologiques. Diplômée de l’ENSA Paris La Villette puis de l’École de Chaillot, elle suit un double cursus avec l’obtention d’un master 2 en archéologie. Cheffe de projet dans l’agence d’un architecte en chef des monuments historiques pendant sept années, elle passe le concours d’AUE quand elle comprend qu’elle ne veut pas se limiter au seul objet "monument historique" et qu’il n’y a pas de rupture entre le monument et son environnement. C’est cette dialectique entre patrimoine, architecture et urbanisme qui l’intéresse, avec une approche territoriale au plus près des acteurs locaux que cela implique et l’ouverture à des champs comme l’environnement ou la qualité du cadre de vie.
Des missions variées et un quotidien trépidant
Être Architecte des Bâtiment de France (ABF), c’est avoir une grande diversité de missions au quotidien. Frédéric Masviel a été impressionné, à son arrivée dans l’Eure, par sa fonction d’ABF responsable unique de sécurité de la cathédrale d’Évreux, et par les six monuments historiques appartenant à l’État dont il s’occupait dans ce département. Il comprend aussi la plus-value de l’Architecte des Bâtiments de France lorsque le dialogue avec les élus – qui est permanent dans ces fonctions – permet de faire progresser positivement les projets. Plus récemment, en tant que chef de l’UDAP de Paris, les Jeux Olympiques et Paralympiques l’ont fortement marqué. La Loi Olympique se substituant au code de l’urbanisme, il a fallu assurer les missions d’instruction des demandes dans un cadre juridique exceptionnel, avec des délais contraints, en acceptant de ne pas tout savoir des projets pour des raisons de confidentialité et en veillant à chaque étape à ce que le patrimoine soit préservé dans une ville qui était à elle seule le décor principal des JOP. Ces missions sont venues s’ajouter à celles de l’UDAP, avec un volume de sollicitations qui n’a pas faibli, nécessitant une organisation méthodique.
Bénédicte Lorenzetto, dans les Yvelines, a elle aussi eu un rôle important dans les préparatifs des Jeux qu’elle a partagés avec les Architectes des Bâtiments de France du service pour les épreuves au château de Versailles. Les installations provisoires réalisées aux abords immédiats de la Grille Royale et dans le périmètre du bien UNESCO ont nécessité une attention particulière liée aux contraintes du grand paysage. L’héritage des Jeux c’est aussi la reconstitution du grand axe de l’Allée Royale de Villepreux qui était la principale des 5 allées partant en faisceau depuis l’Étoile Royale et la démolition du Moulin de Saint-Cyr qui a pu être réalisée en 2024 pour accueillir les installations techniques.
Mais au-delà de ce projet exemplaire à la fois patrimonial et écologique, elle insiste sur le rôle de proximité de l’UDAP qui œuvre dans un territoire avec une forte diversité dont une composante rurale et naturelle : "Dans les territoires ruraux, il y a parfois une invisibilisation de l’architecte, et l’ABF est souvent le seul sachant auprès des élus". Elle voit également se concrétiser dans certaines communes des projets initiés plusieurs années plus tôt par ses prédécesseurs, comme la création de sites patrimoniaux remarquables ; la continuité des actions des Architectes des Bâtiments de France qui se succèdent sur un même territoire permettent l’aboutissement de projets structurants.
L’histoire des Architectes des Bâtiments de France s’inscrit dans une histoire plus grande qui est celle de la prise de conscience du patrimoine en France au début du 19e siècle. Au départ, les monuments sont protégés en tant que tels, et peu à peu, on considère qu’il faut protéger l’écrin autour des monuments, puis le tissu urbain, avec ses propres typologies. "Les ABF sont le fruit de cette histoire, analyse Frédéric Masviel. Ils exercent aujourd’hui des missions de conseil, de conservation et de contrôle – les fameux trois C. Si la notion de conservation est assez bien connue avec le rôle d’entretien et de réparation des monuments appartenant à l’État, celle de contrôle l’est moins : l’ABF est pourtant auxiliaire de justice et peut contrôler et verbaliser. La notion de conseil est également moins connue or elle occupe la majeure partie du temps des ABF". Bénédicte Lorenzetto ajoute que "le patrimoine recouvre des champs très différents, parfois complexes à comprendre pour les administrés, avec un arsenal juridique qui s’est précisé et élargi. L’ABF joue un rôle de pédagogie très important sur les territoires pour expliquer ce cadre législatif, avec une médiation permanente auprès des élus et des porteurs de projets".
La médiation, indissociablement liée au métier d’ABF
Les Architectes des Bâtiments de France pâtissent parfois de l’image d’Épinal selon laquelle ils refuseraient la plupart des projets pour des raisons infondées. Cette image est fausse et doit être battue en brèche. D’abord par les chiffres : en Île-de-France, sur plus de 66 200 avis rendus en 2024 par les ABF, seuls 119 recours ont été formés contre ces avis, soit 1 recours pour 557 avis (recours qui débouchent dans 95 % des cas sur une confirmation de l’avis rendu par l’ABF). Le contentieux est donc l’un des plus faibles de toutes les décisions administratives. Ensuite parce que les ABF sont des professionnels, architectes de métier, à la formation solide, qui travaillent pour l’intérêt général dans le cadre fixé par la loi. Le rôle que la puissance publique leur assigne est de veiller à ce que les travaux envisagés aux abords des monuments historiques et en co-visibilité avec ces derniers se fassent en respectant des règles dont chacun convient de l’importance, au premier rang desquels le respect de l’intégrité du patrimoine protégé et la bonne insertion urbaine et paysagère des nouvelles constructions. Ils permettent au cadre de vie d’être préservé face à certains projets inadaptés voire bâclés. Enfin, les ABF rendent des avis motivés, qui peuvent être – dans le cas des avis conformes – des accords, des accords avec prescriptions ou des refus.
Mais tout se joue en réalité lors de la phase amont, dans les échanges avec les élus et porteurs de projets en UDAP ou lors des permanences sur le terrain, qui permettent dans la plupart des cas de trouver un point d’aboutissement. "Sans cette médiation et sans priorisation des enjeux, on ne peut pas faire aboutir les dossiers. Cette double appréhension nous permet d’être efficaces sur les territoires, sans laisser place à la moindre subjectivité dans nos avis qui sont toujours cohérents, objectivés et rattachés à un socle commun" insiste Bénédicte Lorenzetto. "Notre rôle est aussi d’accompagner le changement de paradigme qui s’opère sur le patrimoine qui n’est plus aujourd’hui une contrainte mais un outil de valorisation et d’attractivité des territoires" précise-t-elle. Frédéric Masviel abonde dans le même sens : "Les Architectes des Bâtiments de France se fondent sur la connaissance du corpus architectural et urbain, ce qui fait patrimoine ou pas, et sur l’arsenal juridique. Cet ancrage territorial et législatif fait la force de nos arguments. On passe du temps à expliquer, accompagner, faire des croquis, et on reste ouverts au dialogue et à la négociation". Ce travail est rendu possible par les équipes qui entourent les ABF dans les UDAP : ingénieurs, techniciens et assistants accomplissent un travail titanesque d’aiguillage, de réception et d’instruction des demandes, dans un contexte de dématérialisation des procédures qui s’est généralisée ces dernières années et en suivant de près les dynamiques territoriales – avec par exemple le Grand Paris Express, nouvelles rocades franciliennes, aux portes de Paris – et les initiatives gouvernementales telles que les programmes "Petites Villes de demain", "Action Cœur de Ville", "Villages d’avenir", "Quartiers de demain", etc.
Le patrimoine et la transition écologique
La transition écologique est un enjeu majeur qui est aujourd’hui totalement intégré par les ABF. Le sujet est nouveau, ce qui conduit à un perfectionnement des approches et des doctrines, mais il s’impose avec évidence pour Frédéric Masviel qui a participé à l’élaboration du PLU bioclimatique de la Ville de Paris : "Il n’y a pas plus écologique que le patrimoine, car son ancrage est dans la durée. Le dépense énergétique pour le bâtir a déjà été consommée dans le passé. Il faut aujourd’hui inciter à conserver le bâti existant plutôt que le démolir et le reconstruire. La question est celle de l’évolution du patrimoine. Certaines familles de patrimoine ne nécessitent pas d’évoluer drastiquement : si l’on parle de l’inertie thermique de certaines maçonneries d’immeubles haussmannien par exemple, il suffit de traiter les menuiseries et d’isoler les combles et l’édifice est tout à fait performant". Les Architectes des Bâtiments de France plaident pour traiter les situations au cas par cas et ne pas imposer une solution univoque consistant par exemple à systématiser les toitures végétalisées sur les toits de Paris. "Il faut être dans une granularité fine de la connaissance de la typologie du bâti, détaille Frédéric Masviel, dire que tous les bâtiments ne se valent pas, et qu’en fonction de cette typologie, des réponses sont adaptées et d’autres pas. Les ABF ont cette connaissance, en lien à Paris avec l’Agence parisienne du climat. Par exemple on sait aujourd’hui que ‘mettre sous une couette’ un bâti ancien pour en faire une bouteille thermos peut générer des pathologies sur le patrimoine qui le dégradent et ne sont plus visibles". Bénédicte Lorenzetto insiste sur l’importance d’inscrire des règles en matière de transition écologique dans les plans de gestion des sites patrimoniaux remarquables en co-construction avec les collectivités locales, afin de concilier les enjeux environnementaux et la préservation du patrimoine dès la rédaction des documents réglementaires.
La France a plus que jamais besoin d’Architectes des Bâtiments de France, de leurs savoirs et expertises, de leur compréhension des enjeux dans toutes leurs dimensions. "C’est un métier passionnant, reconnaît Frédéric Masviel, qui permet de conjuguer technique, sensibilité, esthétique et histoire, qui nécessite de la rigueur intellectuelle, une ouverture d’esprit, un sens du dialogue et une réelle passion pour l’histoire et l’architecture, et qui peut aussi l’offrir l’opportunité d’influencer le cadre de vie collectif et la qualité urbaine".
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