Ce classement constitue une étape majeure pour la sauvegarde du patrimoine industriel et technologique français. Ces pièces représentent les dernières traces tangibles d’un ambitieux programme de transport à grande vitesse imaginé dans les années 1960 et 1970.
Un classement pour un patrimoine industriel unique
L’ensemble classé comprend trois prototypes grandeur nature – L’Expérimental 01 (1965), L'Expérimental 02 (1967), Le Tridim (1973) – ainsi que six maquettes d’étude. Ces modèles explorent différentes variantes techniques, certaines fonctionnant à sustentation électrique ou à gaz, et d’autres imaginées pour des dessertes suburbaines ou interurbaines.
Leur classement témoigne de l’importance accordée aujourd’hui à la recherche et au développement qui, à l’époque, place la France parmi les nations pionnières dans le domaine des transports guidés innovants.
Une technologie en avance sur son temps
Imaginé par l’ingénieur polytechnicien Jean Bertin, l’aérotrain repose sur un principe audacieux : le coussin d’air. Grâce à un système de surpression, l’engin lévite au-dessus d’un rail de béton en forme de T inversé, supprimant tout contact avec la voie et donc tout frottement. Résultat : une circulation rapide, silencieuse, et une consommation d’énergie particulièrement réduite.
Propulsé par une hélice ou un réacteur, l’aérotrain vise des performances qui rivalisent déjà, dans les années 1960, avec celles des trains à grande vitesse développés bien plus tard. Les médias de l’époque le surnomment d’ailleurs "le train sans roue" ou encore "le train de l’an 2000 ". Ce projet traduit une vision futuriste : s’affranchir de la roue et adapter les technologies aéronautiques au transport terrestre, avec un cahier des charges qui serait aujourd’hui qualifié d’écologiquement durable.
L’aérotrain, un rêve de mobilité durable
Les qualités de l’aérotrain sont en effet remarquables : légèreté de conception, matériaux peu coûteux, consommation énergétique réduite grâce à la sustentation, absence de pollution directe, usure minime et vitesses de pointe inédites. Ces caractéristiques en font un mode de transport parfaitement adapté aux liaisons interurbaines rapides et peu énergivores.
Le pari est audacieux : un engin circulant tel un avion de chasse à quelques millimètres du sol, pensé pour améliorer la mobilité et réduire l’impact environnemental bien avant que ces notions ne deviennent des priorités politiques.
Des essais prometteurs, un projet stoppé
Le premier essai à échelle réelle a lieu en décembre 1965, avec L’Expérimental 01, sur un tronçon expérimental installé entre Gometz-la-Ville et Limours, dans l’Essonne. Deux ans plus tard, un second prototype plus puissant, L’Expérimental 02, prend le relais, suivi en 1973 par Le Tridim, un modèle plus compact destiné à tester d’autres configurations.
Le projet bénéficie un temps du soutien de l’État, notamment sous la présidence de Georges Pompidou. Il suscite également l’intérêt de délégations étrangères, venues observer les essais. Mais en 1978, les pouvoirs publics abandonnent le projet. L’État choisit de privilégier le développement d’une autre technologie : le Train à Grande Vitesse (TGV). L’aérotrain demeure donc à l’état de prototype, laissant derrière lui une série d’engins et de maquettes devenus au fil du temps de véritables objets patrimoniaux.
Un hommage à l’ingéniosité française. Au-delà de la prouesse technique, ces prototypes témoignent d’une époque où la France mise sur des solutions de transport inédites. L’aérotrain illustre l’inventivité des ingénieurs et la volonté politique de repousser les limites technologiques dans un contexte de croissance et de modernisation des infrastructures.
Une préservation rendue possible par l’engagement associatif
Sur les cinq prototypes originaux construits dans les années 1960 et 1970, trois ont pu être sauvegardés grâce à l’action déterminée de l’Association des Amis de l’ingénieur Jean Bertin. Cette structure bénévole s’investit pendant des décennies pour préserver, restaurer et documenter ce patrimoine unique, évitant qu’il ne disparaisse sous l’effet du temps ou de l’oubli.
Aujourd’hui, leur classement au titre des monuments historiques rend hommage à cet engagement et inscrit l’aérotrain dans la mémoire collective. Ces engins rappellent qu’avant l’ère du TGV, d’autres voies ont été explorées pour repenser la mobilité, anticipant des enjeux de performance et de durabilité qui restent plus que jamais d’actualité.
Héritage et mémoire d’une innovation
Ces prototypes et maquettes ne sont plus seulement des vestiges d’une aventure industrielle manquée. Ils sont désormais reconnus comme des témoins précieux d’une époque d’innovation foisonnante. Leur classement officialise leur valeur historique et scientifique, et garantit leur transmission aux générations futures.
À travers eux, c’est toute une vision du transport qui resurgit : celle d’un pays prêt à expérimenter, à imaginer et à concevoir des solutions audacieuses. L’aérotrain, bien qu’il n’ait jamais circulé commercialement, rejoint désormais le cercle des grandes innovations françaises entrées au patrimoine.
Cette protection au titre des monuments historiques consacre un ensemble représentatif d’une recherche technologique menée en France dans les années 1960 et 1970 dans le domaine du transport guidé à grande vitesse.
Les trois prototypes et les six maquettes d’étude à découvrir en images
- Un prototype d’aérotrain, "l’Expérimental01", conçu par la société Jean Bertin, datant de 1965; un moteur de propulsion "Continental"de 260 CV, à 6 cylindres ; deux moteurs de sustentation et guidage Gordini de 50 CV ;
- Un prototype d’aérotrain, "l’Expérimental02", conçu par la société Jean Bertin, construit par la Société d’études et de construction aéronavale (SECA), datant de 1967, réacteur Pratt et Whitney JT12 (propulsion) ; générateur de gaz Turboméca de type Palouste (sustentation et guidage) ;
- Un prototype, "Tridim", de quatre places, conçu par la société Jean Bertin, datant de 1973 ;
- Une maquette statique et en écorché, dite "Pompidou", vers 1965 ; résine peinte, bois, enduit au plâtre, plexiglas, inox (hélice) ; hauteur : 35 cm ; longueur : 170 cm ; largeur : 26 cm ;
- Une maquette au 1/20e de l’aérotrain Bertin, dite "Pompidou", à sustentation électrique, avec son rail, vers 1964, résine peinte, bois, enduit au plâtre, plexiglas, inox (hélice) ; hauteur : 36 cm ; longueur : 170 cm ; largeur : 26 cm ; longueur du rail : 470 cm ;
- Une maquette au 1/20e de l’aérotrain Bertin, dite "Pompidou", à sustentation par bonbonne de gaz ; vers 1964 ; résine peinte, bois (contreplaqué), enduit au plâtre, plexiglas, inox (hélice) ; hauteur : 35 cm ; longueur : 170 cm ; largeur 26 cm ;
- Une maquette de l’aérotrain modèle S 44 (suburbain 44 places), avec son rail, par la Compagnie de l’esthétique industrielle (Michel Buffet), vers 1969, résine peinte, papier cartonné, plâtre et bois peint ; hauteur : 16 cm ; longueur : 72 cm ; largeur :14 cm ; longueur du rail : 75 cm ; largeur du rail : 15 cm ; épaisseur du rail : 4 cm ;
- Une maquette de l’aérotrain I 80 HC (1) (interurbain 80 places), statique et en écorché, réalisée vers 1965, probablement construite par l’Union des transports aériens (UTA), résine peinte, bois (contreplaqué), plexiglas, inox (hélice), hauteur : 23 cm ; longueur : 1,34 m ; largeur : 16 cm ;
- Une maquette de l’aérotrain I 80 HC (2) (interurbain 80 places), statique et en écorché, réalisée vers 1965, probablement construite par l’Union des transports aériens (UTA), résine peinte, bois (contreplaqué), plexiglas, inox (hélice), hauteur : 23 cm ; longueur : 1,35 m ; largeur : 16 cm.
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