Comprendre le Bassin minier
Le Bassin minier du Nord et du Pas-de-Calais s’étend de Valenciennes à Béthune, couvrant 120 kilomètres et regroupant près de 1,2 million d’habitants, soit 20 % de la population régionale. De la fin du XVIIIe au XXe siècle, l’exploitation du charbon y a façonné un paysage et un urbanisme singuliers, organisés selon le triptyque fosse–terril–cité minière, indépendamment des limites administratives. La fermeture des mines à la fin du XXe siècle a entraîné la disparition de 200 000 emplois et la multiplication de friches industrielles. Face à ces mutations, les acteurs du territoire ont su bâtir un nouveau récit, fondé sur la reconnaissance de leur patrimoine.
Cette mobilisation a abouti en 2012 à l’inscription du Bassin minier sur la Liste du patrimoine mondial de l’UNESCO en tant que « paysage culturel évolutif vivant ». Cette reconnaissance porte sur 353 éléments (dont 124 cités minières et 51 terrils) et s’accompagne d’un plan de gestion partagé. Elle s'est accompagnée de la reconversion de cinq sites majeurs, aujourd’hui emblématiques : la Cité des Électriciens à Bruay-la-Buissière, le 11/19 à Loos-en-Gohelle, le 9/9bis à Oignies, le Centre Historique Minier de Lewarde et le site de Wallers-Arenberg. Elle s’inscrit dans une dynamique plus large, renforcée par l’ouverture du Louvre-Lens en 2012 et l’implantation à Liévin du centre de conservation du Louvre en 2019.
C’est dans ce contexte qu’a été lancé, en 2017, le programme interministériel Engagement pour le Renouveau du Bassin Minier (ERBM), réunissant l'Etat et 12 partenaires autour de 4 objectifs de travail :
- améliorer le cadre de vie ;
- développer l’activité économique et rendre l’emploi accessible à tous ;
- rendre le territoire attractif ;
- construire un futur ambitieux.
Faire culture dans un territoire en mutation
Derrière la reconnaissance patrimoniale du Bassin minier du Nord et du Pas-de-Calais, derrière les labels et les dynamiques institutionnelles, derrière la dynamique de l’ERBM initiée en 2017, il y a un tissu humain, des pratiques, des enjeux de transformation sociale, culturelle, urbaine, écologique. C’est dans cet esprit qu’a été pensée la journée du 16 mai, organisée par la Direction régionale des affaires culturelles des Hauts-de-France : « Nous avons voulu créer un espace de travail, pas de célébration », a rappelé Hilaire Multon, directeur régional des affaires culturelles, en ouverture de la journée.
« Un temps pour penser ensemble, au plus près des réalités de terrain, ce que signifie faire culture dans un territoire complexe. »
Cette journée collective, de réflexions et de débat, constituait ainsi une invitation à relire collectivement le territoire, à en déplacer les représentations, à penser ce qui peut encore faire commun, au-delà des frontières administratives et des découpages habituels. La séquence ne visait pas à clore un cycle, mais bien à ouvrir un processus d’élaboration collective, à consolider dans les mois à venir au sein des territoires.
Ouverte au campus Vivalley de Liévin, la rencontre a été introduite par Bertrand Gaume, préfet des Hauts-de-France, préfet du Nord, Hilaire Multon, directeur régional des affaires culturelles des Hauts-de-France, Sylvain Robert, président de la communauté d’agglomération de Lens-Liévin (CALL) et maire de Lens, ainsi que Laurent Duporge, maire de Liévin. Par leur présence conjointe, les représentants de l’État et des collectivités ont réaffirmé leur engagement commun à faire de la culture un levier central de transformation pour le Bassin minier.
Trois temps ont structuré les échanges. Chacun abordait une facette complémentaire du chantier à l’œuvre : les leviers d’action culturels existants ; la construction d’une culture collaborative et participative ; l’ouverture vers une culture plurielle et décloisonnée.
Ces séquences ont été nourries par des interventions expertes, des témoignages de terrain et une forte implication de la salle.
Un fil rouge les reliait : l'impérieux désir d'une culture pensée avec et pour les habitants, dans un territoire en pleine mutation.
Cette journée organisée par la DRAC Hauts-de-France visait à approfondir les réflexions amorcées lors des ateliers qui se sont tenus le 17 avril à Carvin, en favorisant un dialogue entre institutions, élus locaux et acteurs et actrices culturels. L’objectif : penser collectivement le paysage culturel du Bassin minier, au présent et au futur, tout en faisant face aux défis de développement territorial, d’inclusion et d’attractivité.
Structurer l’action publique, accompagner la transformation
Le Bassin minier, comme d'autres territoires post-industriels en Europe, se pense aujourd’hui à la croisée de son histoire, de ses transformations récentes et des mutations sociales, économiques, écologiques et culturelles contemporaines. Ce territoire, forgé par deux siècles d’exploitation charbonnière, porte un récit complexe d’effondrement, de mémoire et de réinvention, dont les strates ne cessent d’interpeller les politiques publiques, les institutions culturelles et les habitants eux-mêmes.
Dans son allocution aux 130 acteurs et actrices de la culture du Bassin minier du Nord et du Pas-de-Calais réunis pour l’occasion, le préfet Bertrand Gaume a réaffirmé l’engagement fort de l’État dans le cadre de l’Engagement pour le renouveau du Bassin minier (ERBM) :
« Il y a eu un engagement à 100 millions d’euros pour le logement, et nous en sommes aujourd’hui à plus de 120 millions d’euros. Fin 2025, avec 7 millions d’euros supplémentaires votés par la ministre du Logement dans le cadre du débat parlementaire, nous atteindrons 131 millions d’euros. »
Le préfet a également souligné l’importance d’un accompagnement global du territoire, au-delà des seuls enjeux d’aménagement :
« Il faut regarder ce que ce territoire recèle de richesses culturelles et saluer les engagements constants des collectivités publiques, mais aussi des élus locaux, pour faire vivre la culture. »
Le Bassin minier constitue en effet un territoire d’action structuré pour les équipements culturels labellisés par le ministère de la Culture. Dans le champ de la création artistique, ce territoire accueille notamment un centre dramatique national à Béthune (Comédie de Béthune), deux scènes nationales, l’une à Loos-en-Gohelle (Culture Commune) et l’autre à Arras-Douai (Le Tandem), ainsi qu’un centre national des arts de la rue et de l’espace public à Vieux-Condé (Le Boulon). À ces institutions s’ajoutent des lieux dynamiques de diffusion de l’art contemporain, de la photographie (CRP), des musiques actuelles, ainsi que les projets culturels et économiques portés par les cinq grands sites miniers (le Centre historique minier de Lewarde, le site du 9-9bis à Oignies, le site de Wallers-Arenberg, le site du 11-19 à Loos-en-Gohelle, la Cité des électriciens de Bruay-la-Buissière), qui contribuent pleinement à la requalification du territoire.
Par ailleurs, des politiques partenariales ambitieuses sont mises en œuvre à l’échelle des intercommunalités, notamment en matière d’éducation artistique et culturelle, avec 6 contrats locaux d’éducation artistique (CLEA) et de lecture publique, à travers 5 contrats territoire-lecture (CTL). Ces dynamiques viennent également nourrir les évolutions des contrats de ville, en intégrant la culture comme levier de cohésion et de développement local.
Ancrages et résiliences culturels
L’arrêt progressif de l’exploitation minière entre les années 1960 et 1990 a laissé place à une série de crises cumulatives – démographiques, sociales, économiques – dont les stigmates sont encore visibles aujourd’hui. Mais ce même territoire a su devenir un laboratoire de projets : reconversions patrimoniales, réinvestissements symboliques, structuration d’un réseau culturel dense, labellisations nationales et internationales (Louvre-Lens, Patrimoine mondial de l’UNESCO), émergence d’équipements hybrides et coopératifs.
Le volet culturel de l’Engagement pour le renouveau dans le Bassin minier s’inscrit ainsi dans un processus patient de transformation des représentations collectives, souvent ancrées dans une mémoire industrielle encore vive : ce dernier appelle une déconstruction des automatismes psycho-sociologiques ancrés chez les publics du territoire.
Sylvain Robert, maire de Lens, en a rappelé l’un des symboles : l’anecdote des trois veuves de mineurs de Lens, dont la parole et l’hospitalité furent déterminantes dans le choix de la ville de Lens pour accueillir ce qu'on appelait à l'époque "l'antenne du Louvre". Inaugural, ce geste reste emblématique d’un territoire où la culture est aussi une conquête de reconnaissance.
De nombreuses voix ont souligné combien les lieux culturels réinvestissent des sites longtemps considérés comme inaccessibles ou menaçants – les terrils, les corons, les friches industrielles, les fosses. Le travail de médiation, de proximité et de convivialité est essentiel pour accompagner ce changement de regard. Le rapport aux usages, aux pratiques en amateur, aux imaginaires et à la mémoire vécue appelle aujourd’hui une inflexion des politiques culturelles vers des logiques plus horizontales, sensibles aux droits culturels, aux transitions, aux nouvelles alliages (tiers-lieux, économie sociale et solidaire, jeunesse, éducation populaire, etc.).
Le renouvellement des pratiques et des perceptions implique un travail de fond et surtout de proximité avec les habitants, déjà mené par de nombreux acteurs culturels du territoire. Rubriques de quartier collaboratives, parties de pétanques organisées par des artistes en résidence, cafés des voisins du Louvre-Lens, école de musée abritée par une médiathèque…
« Dans la discrétion de leur action quotidienne, les acteurs et actrices culturels, en lien direct avec les habitants, façonnent un paysage humain où se tissent des appartenances silencieuses. Alors, si on va ou on ne va pas voir un spectacle, si on va ou on va ne pas voir une exposition, si on va ou on va ne pas voir un concert, on connaît les personnes qui travaillent pour cette exposition, ce concert ou ce spectacle. Par contact, les lieux culturels deviennent ainsi familiers. Et finalement, cette convivialité, en plus d'être chevillée au territoire, en plus d'être une forme de respect des uns pour les autres, est un formidable levier pour faire bouger les lignes. »
- Paroles de la salle
Le patrimoine vivant comme levier de proximité
À travers les paroles des élus et les expériences partagées, une constante a émergé des échanges : la considération du patrimoine culturel immatériel (PCI) comme socle d’une culture de proximité. Cette culture populaire se déploie dans les fêtes, les pratiques sportives ou amateurs, les rassemblements rituels. Elle vit dans les géants de Douai, les fanfares, la Sainte-Barbe, la colombophilie, les tribunes du stade Bollaert-Delelis, la Route du Louvre ou le Trail des pyramides noires.
Le lien entre culture et sport, souvent cloisonné, est ici une évidence. « Le Bassin minier, c’est le mariage entre ces deux mondes », affirme Sylvain Robert. Le Louvre-Lens, en s’ouvrant aux récits locaux (exposition « RC Louvre »), a intégré la culture au quotidien des habitants. L’universalité muséale y rencontre les expressions populaires de l’identité des supporters du club.
Ce lien entre culture, sport et territoire engage une autre conception de la médiation : une médiation par le corps, par le mouvement, par l’émotion collective. La culture se pratique dans les associations, dans les centres sociaux, dans les rues et sur les terrains, en première proximité. Cette culture du quotidien n’est pas opposée à l’exigence : elle est sa condition.
« C’est toutes les formes de culture qui doivent se développer chez nous, de la culture qui se pratique dans les associations, dans les centres socio-culturels, la culture en première proximité de la population à l’excellence culturelle. »
- Paroles de la salle
Vers une stratégie culturelle partagée
La première séquence de la journée a permis d’établir un état des lieux nourri et incarné de l’action culturelle sur le territoire du Bassin minier. Les interventions ont souligné la richesse et la diversité des initiatives portées par les collectivités, les établissements culturels et les acteurs associatifs, dans un cadre largement structuré par des dispositifs partenariaux tels que les Contrats locaux d’éducation artistique (CLEA), les Contrats Territoire-Lecture (CTL), les labellisations d’État ou encore les dispositifs de l’État dans le cadre de l’ERBM (Engagement pour le Renouveau du Bassin Minier).
Les intervenantes et intervenants – parmi lesquels Émilie Malolepsy (CABBALR), Marie-Anne Leclerc (9-9bis), David Pierru et Margaux Duteil (CALL), Sarah Perrier (Mission Bassin minier), Benjamin Kesteloot (Médiathèque départementale du Pas-de-Calais), Audrey Hoareau (CRP / Centre régional de la photographie Hauts-de-France) et Mélanie Delots (préfecture de région) – ont mis en lumière la complémentarité des approches : projets d’éducation artistique et culturelle, développement de la lecture publique, valorisation du patrimoine, mais aussi structuration des réseaux professionnels et soutien à la création contemporaine.
Le rôle de la connaissance fine des publics, notamment dans les secteurs où les dynamiques sociales restent fragiles, a été unanimement reconnu comme un levier essentiel de l’action culturelle. Cette connaissance fonde des stratégies d’accès, de fidélisation et de co-construction indispensables à l’appropriation des projets culturels par les habitants.
Enfin, la reconnaissance internationale du patrimoine minier, à travers son inscription sur la Liste du patrimoine mondial de l’UNESCO, renforce les exigences d’excellence, de transmission et de participation auxquelles répondent les acteurs culturels du territoire.
Conjuguer les valeurs et les imaginaires
Solidarité, hospitalité, coopération : telles sont les valeurs cardinales identifiées autour desquelles peut se reconstruire un paysage culturel partagé dans le Bassin minier, dans l’objectif - encapacitant - de ne pas faire pour les habitants, mais bien de proposer une culture de l'avec.
Mais cette dynamique suppose de tenir compte des représentations différenciées du territoire. Si les générations anciennes expriment un fort sentiment d’appartenance au Bassin minier, les plus jeunes en sont parfois détachés. Ce constat, largement partagé par les acteurs et actrices culturels, impose une approche fine, articulée à différentes échelles, et fondée sur une action culturelle souple, transversale et intergénérationnelle.
« Il y a une culture qui s'ignore, cette appartenance à une communauté de vie qui a en elle une forme d'expression culturelle »
Aymeric Robin, maire de Raismes (59), président de la communauté d'agglomération de la Porte du Hainaut
Le second temps a proposé un changement d’échelle et de perspective, en se projetant vers les formes émergentes de la culture dans un Bassin minier en mutation. À partir des interventions de Morgann Cantin Kermarrec (Comédie de Béthune), Gilles Briand (Mission Bassin minier) et Béatrice Mariolle (ENSAPL), les discussions ont abordé les transformations profondes à l’œuvre dans les pratiques culturelles contemporaines : hybridation des formes artistiques, porosité accrue entre culture, sport et loisirs, valorisation des usages dans les espaces publics réaménagés.
Ce temps de réflexion a permis de poser les bases d’un projet culturel de territoire attentif aux notions de transversalité, d’inclusion et de participation, dans un contexte marqué par des fractures sociales et générationnelles persistantes. À travers les témoignages et exemples partagés, s’est dessinée une ambition commune : celle d’une culture plurielle, capable de conjuguer les héritages du passé avec les imaginaires du présent.
Réenchanter les lieux, réinventer les récits : une transition culturelle
La diversité des intervenants présents – élus et professionnels de la culture engagés à l’échelle locale, intercommunale, départementale ou régionale – a mis en lumière la pluralité des représentations attachées au Bassin minier. Cette notion, loin d’être uniforme, revêt des significations différentes selon les trajectoires, les générations et les territoires d’action. Si elle demeure porteuse de valeurs partagées, elle oscille entre un fort sentiment d’appartenance chez les plus anciens et une forme de distance, voire d’oubli, chez les plus jeunes.
Cette diversité de perceptions a constitué l’un des fils conducteurs des échanges de la journée. Elle rappelle, avec acuité, la nécessité de penser les politiques culturelles à des échelles différenciées mais résolument coopératives. L’enjeu du renouvellement générationnel, en particulier, influe directement sur les identités culturelles projetées par les publics, sur leurs référents et sur leurs attentes. Les discussions du matin ont ainsi esquissé le portrait d’un public en recomposition, à l’image d’un territoire en pleine mutation :
« On se trouve à un point de basculement : les dernières générations de mineurs ou d’adultes ayant connu la mine en activité disparaissent progressivement et les jeunes d’aujourd’hui n’ont pas connu le bassin minier en activité […] Prenons l’exemple des terrils. On a encore des habitants qui évoquent les interdits d’aller sur les terrils quand les jeunes en ont fait des espaces récréatifs, sans pour autant savoir ce à quoi ils ont servi, de quoi ils sont composés ».
- Paroles de la salle
Le Centre historique minier, démonstrateur national de la transition écologique
En partenariat avec l’ADEME Hauts-de-France, le Centre historique minier de Lewarde (59) s’engage sur plusieurs fronts : intégrer dans son discours muséographique les enjeux liés au changement climatique, mettre en œuvre des actions concrètes de décarbonation, évaluer ses impacts et partager ses expériences à travers des événements, des publications et une programmation dédiée. Pour Luc Piralla, son directeur-conservateur, cette orientation est stratégique :
« Pour être pertinent au XXIe siècle, il faut, à la fois, se transformer en interne et pouvoir transformer à la fois le territoire et les usagers. C’est ça l’ambition. »
La création comme révélateur de territoire
De cette particularité naît aussi la richesse artistique. La nature transitionnelle du territoire économiquement, écologiquement, socialement, se révèle être un puits d’inspiration pour les artistes de toutes disciplines confondues qui viennent en résidence sur le territoire, et qui changent en retour la perception des habitants :
« Les sujets reviennent toujours, décalés de la mémoire et de l'histoire minière. Et on se laisse surprendre. Les artistes viennent réellement nous nourrir et investir ce territoire avec un lieu avec un regard extrêmement contemporain. Et ça génère auprès du public un vrai changement de regard. Et pour mieux voir ce qui nous entoure, il faut parfois commencer par regarder ailleurs. »
- Paroles de la salle
UNESCO : du patrimoine reconnu au patrimoine vécu
« Passer du temps de l’inscription au temps de l’habitation » : cette phrase, prononcée par Hilaire Multon, directeur régional des affaires culturelles des Hauts-de-France, pourrait résumer à elle seule le chemin parcouru par le Bassin minier depuis plus de dix ans. Ici, le patrimoine est une ressource, pas un décor. Il est vecteur d’émancipation, outil de revitalisation, ferment de lien. Il appelle une politique publique attentive, généreuse, coordonnée. Il suppose de tenir ensemble rigueur architecturale et liberté de création, mémoire ouvrière et présence contemporaine, transmission et transformation.
Dans le Bassin minier, la notion de patrimoine mondial se conjugue au pluriel. Elle se vit à l’échelle d’une rue, d’un jardin partagé, d’un théâtre itinérant. Elle engage les professionnels, les élus, les habitants. Elle s'incarne dans chaque chantier, chaque médiation, chaque rencontre. Pour l’État, cette inscription n’est pas une fin mais un levier : celui d’un développement culturel qui fait droit aux réalités locales, sans céder sur les exigences de qualité, de respect et de transmission.
« Finalement, rénover les pierres, même avec les meilleurs matériaux biosourcés, ne suffit pas. Sans lien social, sans culture, sans mémoire active, il manque le ciment de l’édifice. Ce que nous travaillons aujourd’hui, c’est un paysage culturel évolutif, vivant. C’est une identité qui ne se résume pas à la mine, mais qui part de là pour aller vers autre chose. Ce n’est pas seulement de la reconversion, c’est un logiciel de transition. Et dans ce logiciel, la culture n’est pas une option, c’est le noyau dur. »
- Catherine Bertram, directrice de la mission Bassin minier
Redonner vie au Camus Haut à Annay-sous-Lens : un patrimoine en reconversion sociale et artistique
Symbole de l’avant-gardisme architectural du Bassin minier dans l’habitat ouvrier d’après-guerre, le Camus Haut à Annay-sous-Lens (Pas-de-Calais) entre dans une nouvelle phase de son histoire. Dernier témoin d’un procédé innovant de préfabrication, cet ensemble emblématique a été inscrit au titre des Monuments Historiques en février 2023. Il est désormais au cœur d’un projet de reconversion en pension de famille, porté par Maisons et Cités et l’Association pour la Solidarité Active (APSA), pour accueillir des personnes en situation de précarité.
En parallèle, une résidence sociale, artistique et culturelle accompagne la transformation du lieu. Lancée en mars 2025, cette initiative se déploiera jusqu’à l’ouverture de la pension de famille en 2027. Elle est pilotée par la Communauté d’agglomération de Lens-Liévin dans le cadre du label Pays d’art et d’histoire, avec le soutien de la DRAC Hauts-de-France.
Cette résidence a pour ambition d’ancrer le projet dans son quartier, de valoriser la mémoire ouvrière et de favoriser l’appropriation de cette reconversion par les habitants. Artiste et sociologue, Lola Monset et Valentin Heinrich ont ouvert le cycle par une semaine d’immersion sur site, ponctuée d’ateliers autour de la Valeur Universelle Exceptionnelle – notion définie par l’UNESCO – du Bassin minier et de l’histoire mouvementée du Camus Haut – un patrimoine en péril sauvé par une mobilisation collective.
Prospectives culturelles pour le Bassin minier
En conclusion de la journée, trois grands témoins ont livré leur vision prospective de la culture dans le Bassin minier : Catherine Bertram (Mission Bassin minier), Luc Piralla (Centre historique minier) et Jean-Paul Korbas (Artes découvertes et vacances).
Leurs interventions ont mis l’accent sur la nécessité d’un récit collectif renouvelé, nourri des singularités locales et des attentes des habitants, mais aussi sur la force des coopérations territoriales et la responsabilité des institutions culturelles à se penser comme des lieux de médiation, de lien et d’émancipation.
Tous trois ont souligné l’urgence d’une action culturelle qui s’inscrive dans le temps long, connectée aux réalités vécues, capable d’accompagner les transformations sociales et territoriales sans jamais céder à l’uniformisation. Il ne s’agit pas seulement de faire œuvre, mais de faire sens : redonner à chacun une place active dans la fabrique des politiques culturelles, tisser des alliances entre les générations, entre les disciplines, entre les échelles d’action.
Cette ambition impose une attention renouvelée aux conditions concrètes de l’accès à la culture, à la reconnaissance des initiatives de terrain, souvent discrètes mais essentielles, et à l’hospitalité des institutions elles-mêmes. Il s’agit d’inventer des formes souples et ouvertes, qui ne fassent pas simplement « pour », mais qui bien fassent « par » et « avec » – dans un esprit de co-construction et d'activation des droits culturels de chacun et chacune .
Ce territoire, long de plus de 120 kilomètres, impose une logique de mobilité des publics : une politique culturelle efficace doit pouvoir penser le déplacement, la circulation des œuvres, mais aussi des personnes, au sein d’un espace vaste et polycentrique.
Ces voix, à la fois ancrées et visionnaires, ont ainsi esquissé les lignes de force d’une politique culturelle à venir : plus mobile, plus durable, plus hospitalière. Une politique qui reconnaît dans la culture un moyen de recomposer des appartenances, de relier les territoires, de réenchanter les récits collectifs. Car le Bassin minier n’est pas uniquement un patrimoine à préserver, mais un espace vivant où s’inventent, chaque jour, d’autres façons d’habiter le monde.
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