En 2016, à Saint-Martin d’Hardinghem (Pas-de-Calais), lors d’une fouille préventive prescrite par le Service régional de l’archéologie (SRA) de la DRAC Hauts-de-France sont révélés des pavements médiévaux, anciennement abrités dans la résidence civile des évêques de Thérouanne. Parmi les plus grands jamais déposés en France, ces pavements constituent une découverte d’importance exceptionnelle. Derrière la restauration des 9 800 carreaux, dans laquelle chaque métier compte, deux femmes portent, avec une équipe soudée, la redécouverte et la sauvegarde de ce chef-d’œuvre monumental : Natacha Frenkel, conservatrice-restauratrice du patrimoine, et Laetitia Maggio, conservatrice du patrimoine à la Direction régionale des affaires culturelles (DRAC) des Hauts-de-France.
Natacha Frenkel : des milliers de carreaux restaurés
Il y a cinq ans, alors que la DRAC Hauts-de-France lançait un appel d’offre pour restaurer les pavements de Saint-Martin d’Hardinghem à Thérouanne (62), l’équipe de l’atelier Art’s du feu est entrée en jeu. À sa tête, Natacha Frenkel, conservatrice-restauratrice du patrimoine. Spécialisée dans les céramiques et le verre, elle conjugue rigueur scientifique et gestes artistiques pour redonner vie aux fragments du passé. Portrait.
Depuis vingt ans, Natacha Frenkel restaure, valorise et intervient sur le patrimoine, et plus particulièrement sur les œuvres d’art et l’archéologie. Depuis la découverte inattendue de ces pavements médiévaux exceptionnels et le lancement du chantier de restauration, Natacha Frenkel et ses neuf autres collègues spécialisées en céramiques archéologiques, sculptures monumentales et mosaïques, œuvrent à rendre la splendeur de l’ensemble de 197 m², jusqu’alors dissimulée sous la terre, dans ce qui était l’ancienne résidence civile des évêques de Thérouanne.
« Je suis la mandataire de mon équipe : je travaille sur les œuvres, mais aussi sur tout le côté administratif », explique Natacha Frenkel. « Avec Laetitia Maggio et Simon Ducros, on forme une équipe de prise de décisions. C’est ce que j’aime dans ce chantier : il y a une vraie collaboration, un lien très riche, entre les conservateurs et les conservateurs-restaurateurs ».
Les pavements de l’ancienne et majestueuse salle d’apparat surprennent par leur diversité : « c’est de la terre cuite glaçurée, avec des décors jaunes et verts, des couleurs typiques de l’époque médiévale », explique Natacha Frenkel. « Les carreaux ont des formes très variées, ils forment une sorte de grande mosaïque pour, finalement, donner l’impression d’un tapis en terre cuite ». Comme un immense puzzle où chaque pièce compte, les pavements révèlent « deux techniques complétement différentes sur un même bâtiment », affirme Natacha Frenkel.
L’immensité des pavements : un défi de taille
Témoins du renouveau architectural propre au Moyen Âge, les pavements de Saint-Martin d’Hardinghem sont recomposés avec patience et minutie pour laisser entrevoir ce que le temps a fragmenté. « Ce qui est inédit pour nous, c’est travailler avec une vision d’ensemble, alors qu’on a pour habitude de travailler sur des petits carreaux indépendants ». Telle est l’exception de ce chantier de restauration : « il faut rapporter ces pavements à leur grandeur, à leur monumentalité ». Pour Natacha Frenkel, la restauration ne consiste pas seulement à sauver des fragments, mais à restituer une vision globale, celle d’un sol qui fut autrefois l’écrin d’une salle de prestige.
Ce chantier, inédit par son ampleur, place les conservateurs-restaurateurs face à une autre forme de difficulté : son échelle. « Pouvoir compter sur les très vastes ateliers du Centre de conservation du Louvre de Liévin a été une véritable chance », se réjouit Natacha Frenkel.
Si la conservatrice-restauratrice a déjà expérimenté la restauration de pavements sur un autre chantier en Bretagne, celui de Thérouanne n’en reste pas moins unique : « dans mon équipe, certaines n’avaient jamais travaillé sur une telle découverte. Cependant, nous connaissons le matériau, et nous avons cette compréhension de l’objet ».
Des altérations qui laissent place à l’imagination
Pourtant, si la restauration permet aux pavements de retrouver leur splendeur et de mettre en lumière la diversité de leurs caractéristiques, elle laisse aussi persister le mystère, profond et stimulant, autour de l’usage de la galerie à l’époque des évêques de Thérouanne. « On n’a jamais vraiment su quel était son rôle, on s’est même demandé si elle avait été ouverte ou non : il y a beaucoup de traces de passage, qui laissent penser qu’elle était ouverte en partie. En tant que conservateurs-restaurateurs, sans connaître le contexte historique, on observe les altérations, courantes et habituelles (traces d’usure, de suie), puis on imagine ».
Au-delà de la technicité et de la minutie, il y a donc chez les conservateurs-restaurateurs une part de sciences, d’interprétation, de gestes, de transmission. Restaurer les pavements de Saint-Martin d’Hardinghem, c’est aussi rendre au présent un morceau du passé, comme un témoignage précieux de l’art médiéval.
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