En 2016, à Saint-Martin d’Hardinghem (Pas-de-Calais), lors d’une fouille préventive prescrite par le Service régional de l’archéologie (SRA) de la DRAC Hauts-de-France sont révélés 197 m² de pavements médiévaux, constituant une « découverte d’importance exceptionnelle ». Restaurés depuis 2020, puis assemblés au Centre de conservation du Louvre à Liévin à partir de 2021, les 9 800 carreaux médiévaux poursuivent aujourd’hui leur restauration, s’apprêtant à retrouver leur splendeur gothique.
Sur les rives de l’Aa, la découverte d’un patrimoine médiéval
En 2011, afin de limiter les dégâts causés par les crues récurrentes de l’Aa, un vaste projet d’aménagement au sud-ouest de Saint-Omer (Pas-de-Calais) est lancé par le Syndicat mixte pour la gestion des eaux de l’Aa, SmageAa, pour créer des zones d’expansion de crues et limitées par des digues. Dans ce cadre, en 2014, un diagnostic en prévision de ces travaux est mené par la direction de l’archéologie du Pas-de-Calais, révélant les fondations de bâtiments datant du second Moyen Âge, et aboutissant en 2015 à une prescription de fouille par le Service régional de l’archéologie (SRA) de la DRAC Hauts-de-France sur les 5 000 m2 concernés par cette découverte.
Rapidement, les archéologues comprennent que le site couvre en réalité une surface bien plus vaste : les recherches permettent d’identifier la « Cour Levêque », une résidence de campagne des évêques de Thérouanne, mentionnée pour la première fois en 1314.
En 2016, la fouille révèle une découverte inattendue : deux ensembles pavés en terre cuite, qui n’avaient pas été détectés par le diagnostic préalable, sont mis au jour. Ces deux pavements du 13e siècle ou de la première moitié du 14e siècle sont retrouvés : l’un de 144 m2 dans la salle d’apparat, et le second de 53 m2 dans la galerie attenante.
Archéologie préventive : le rôle du Service régional de l’archéologie de la DRAC Hauts-de-France
Le Service régional de l’archéologie (SRA) de la Direction régionale des affaires culturelles (DRAC) des Hauts-de-France est associé réglementairement à l’instruction des autorisations d’aménagement (déclaration de travaux, permis de construire, permis de démolir, permis d’aménager et étude d’impact).
En amont d’une fouille préventive, un diagnostic archéologique doit être réalisé. Celui-ci n’empêche pas la délivrance de l’autorisation d’urbanisme : il permet de caractériser un site archéologique (périmètre, état, datation) et évalue la nature du risque de destruction des vestiges.
Le diagnostic archéologique est réalisé par un opérateur public, après signature d’une convention avec l’aménageur. Il s’agit soit de l’Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP), soit d’un service de collectivité territoriale habilité et territorialement compétent. La fouille est quant à elle financée par l’aménageur et réalisée sous sa maîtrise d’ouvrage. Par exemple, à Saint-Martin d’Hardinghem, la fouille a été réalisée conjointement par l’INRAP et la direction de l’archéologie du Département du Pas-de-Calais, et financée par le Syndicat mixte pour l’aménagement et la gestion des eaux de l’Aa, SmageAa.
Les pavements, un trésor de 197 mètres carrés
Cachés pendant des siècles sous la terre, les pavements couvrent 197 m² et rassemblent près de 9 800 carreaux de terre cuite glaçurée. Ils témoignent d’une richesse artistique remarquable, entre la finesse des mosaïques de la galerie (fin 13ᵉ - début 14ᵉ siècle) et la monumentalité des grands carreaux de la salle d’apparat (14ᵉ siècle). Ce chantier inédit, comparable à un gigantesque puzzle archéologique, expose les restaurateurs à un défi de lisibilité, d’échelle et de minutie.
En tout, ce sont 39 motifs qui recouvrent les pavements, figuratifs ou narratifs et caractéristiques de la période médiévale : lions, aigles, poissons, fleurs de lys, marguerites, chevaliers, figures héraldiques.
Un témoignage du temps des évêques de Thérouanne
Il y a près de 700 ans, ces 197 mètres carrés de pavements décoraient les sols de la résidence civile des évêques de Thérouanne. Surnommée « Cour Lévêque », cette résidence épiscopale de campagne avait pour vocation d’être un lieu de vie et de réception prestigieux, mais aussi d’activités pastorales et de forge.
Une « découverte d’importance exceptionnelle »
En 2016, le caractère inattendu et la valeur patrimoniale de ces pavements conduisent à leur reconnaissance comme « découverte d’importance exceptionnelle », permettant sur la base du Code du Patrimoine et par arrêté préfectoral d’étendre la durée du chantier de fouille, et de débloquer les financements nécessaires afin de procéder à la dépose des pavements. Sans cette qualification, rare par ailleurs, les pavements auraient été perdus lors de l’aménagement des digues.
Un an plus tard, en 2017, les pavements, devenant par leur exhumation la propriété de l’État, sont inscrits au titre des Monuments historiques. La DRAC Hauts-de-France, maître d’ouvrage, prend en charge leur restauration, une démarche rare pour ce type de découverte archéologique.
Un chantier pluriel
La découverte et la restauration des pavements mobilisent de nombreux acteurs : l’Inrap et la direction de l’archéologie du département du Pas-de-Calais ont conduit les fouilles, financées par le Syndicat mixte pour l’aménagement et la gestion des eaux de l’Aa, SmageAa, maître d’ouvrage des travaux.
Concernant le rôle de la DRAC Hauts-de-France, le Service régional de l’archéologie (SRA) de la DRAC Hauts-de-France a prescrit et assuré le suivi scientifique, tandis que la Conservation régionale des Monuments historiques (CRMH) a accompagné le contrôle de la restauration. Maître d’ouvrage de la restauration et assurant son financement, la DRAC Hauts-de-France a confié la conservation et l’assemblage des carreaux au Centre de conservation du Louvre, situé à Liévin.
Des eaux de l’Aa au Centre de conservation du Louvre, un défi logistique inédit
Le chantier a permis de relever un défi logistique rare : fouiller dans un terrain gorgé d’eau, pomper quotidiennement la nappe phréatique, manipuler près de 9 800 carreaux souvent fragilisés, puis les acheminer à travers toute la France – de Dainville à Elven, de Compiègne à Paris, avant leur dépôt et leur assemblage au Centre de conservation du Louvre, à Liévin.
Après cette dépose complexe, une première phase de restauration est menée par Laurence Krougly, et 30 carreaux sont restaurés et exposés au Louvre-Lens pour l’exposition « Matières du temps ». Puis, en 2020, la restauration est menée par Natacha Frenkel des Art’s du Feu, sous la direction et la maîtrise d’ouvrage de la DRAC. Pour Hilaire Multon, directeur régional des affaires culturelles des Hauts-de-France, « cette opération de restauration a été l’occasion - touchante et primordiale - d’une transmission des gestes et savoir-faire d’une génération de restaurateur et de restauratrice à l’autre » .
Finalement, depuis 2021, le Centre de conservation du Louvre, situé à Liévin (Pas-de-Calais) ouvre ses espaces à l’équipe de restauration des pavements et garantit les meilleures conditions de traitement et d’assemblage de cet ensemble unique.
Aujourd’hui, l’assemblage de la salle d’apparat est terminé : ce vaste puzzle de 144 m² a retrouvé sa lisibilité, tout en conservant les traces d’usure et les réparations anciennes, témoins de son histoire. Chaque carreau a été consolidé, assemblé sur panneaux alvéolaires, avec comblement mesuré des lacunes. La restauration a scrupuleusement respecté la déontologie, laissant visibles les marques du temps.
Le décor de la galerie bientôt restauré
La prochaine étape de la restauration des pavements concerne la galerie attenante, qui s’étend sur 53 m². Plus modeste que la salle d’apparat, elle se distingue par des plus grands carreaux, découpés en losanges ou en triangles, donnant l’impression d’un tapis en terre cuite. Sa restauration et son assemblage sont programmées jusqu’en 2027.
« Bientôt, ces pavements qui portent huit siècles d’histoire et de mémoire seront révélés au public. À l’occasion des prochaines Journées européennes du patrimoine et à quelques jours de l’inauguration de l’exposition « Gothiques », le Centre de conservation du Louvre s’associe au Louvre-Lens pour ouvrir exceptionnellement les portes de l’atelier de restauration de la salle d’apparat, offrant aux habitants des Hauts-de-France et aux visiteurs de tous horizons l’occasion rare d’approcher au plus près cet ensemble unique, avant son exposition future. »
Hilaire Multon, directeur régional des affaires culturelles des Hauts-de-France
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