C’est un événement de grande ampleur et de longue durée qui vient de s’achever, en même temps que l’année 2024 placée sous le signe de l’olympisme. La Grande Collecte des archives du sport, pilotée par le Service interministériel des Archives de France (SIAF), en partenariat avec l’Académie nationale olympique française (ANOF) et soutenue par le Comité national olympique et sportif français (CNOSF) a permis, deux ans durant, d’enrichir les archives publiques dans le domaine du sport.
Cet événement, labellisé Olympiade culturelle, a mobilisé de nombreux services d’archives de métropole et d’outre-mer qui ont non seulement collecté des documents sportifs, mais également valorisé ces nouvelles entrées par des expositions, ateliers ou encore conférences. Plus de 700 fonds, issus d’associations, de clubs ou de particuliers, deviennent ainsi les témoins de l’histoire sportive depuis le début du XIXe siècle et permettent d’aborder des pans de l’histoire sociale et politique française.
Cette Grande Collecte laisse un héritage encore amené à évoluer avec de nouveaux dons. Le bilan avec Brigitte Guigueno, adjointe au sous-directeur du pilotage, de la communication et de la valorisation des archives et Juliette Hayette, chargée de mission de la Grande Collecte des archives du sport au Service interministériel des Archives de France.
La Grande collecte des Archives du sport a été lancée en 2022. Avec quels objectifs ?
Quelques années avant la tenue des Jeux Olympiques, le gouvernement a demandé à tous les ministères de proposer des projets dans le cadre de son plan Héritage. Nous avons donc décidé de lancer cette Grande Collecte sur le sport qui s'adressait à tous les services d'archives volontaires, sur le même modèle que celle du centenaire de la Grande Guerre. Nous voulions qu’elle concerne le monde sportif dans son ensemble, c’est-à-dire les clubs, les athlètes, les supporters, les journalistes, mais aussi les scolaires ou encore le domaine économique (fabricants, magasins...).
L'objectif principal était d'enrichir les fonds avec des archives de la sphère privée, les historiens nous ayant indiqué manquer de matière. Les fonds publics relatifs au sport proviennent principalement du ministère des sports au niveau national et des services des sports au niveau local. Mais les archives publiques – les seules obligées de collecter les services publics d’archives – ne disent pas tout et les documents privés étaient donc indispensables pour compléter nos connaissances.
Après la Première Guerre mondiale, ce thème du sport semblait suffisamment universel pour faire l’objet d’une Grande Collecte…
Le domaine du sport touche tous les aspects de la société au point de parler d’un « fait social total » : politique, santé, mode, architecture, environnement… C’est un sujet qui concerne tout le monde, de près ou de loin, selon que l’on fasse du sport ou qu’on le regarde à la télévision et nous avons tous des souvenirs associés aux événements sportifs.
Nous savions aussi que ce sujet allait être présent dans l’actualité et qu’il y allait avoir une vraie demande d’actions de la part des collectivités. Chacune d’entre elles a voulu valoriser sa politique sportive et a demandé à ses institutions de proposer quelque chose autour du sport. Les services d’archives ont vraiment su faire preuve d'inventivité et nous avions envie de nous inscrire dans ce mouvement. Cela a entraîné de très belles collectes d'archives, mais aussi des opérations de valorisation avec des expositions, des conférences, des manifestations ou encore des démonstrations de sport.
Quel bilan chiffré et qualitatif tirez-vous de cette Grande Collecte ?
On sait que 190 services d’archives – nationales et territoriales - ont participé pour plus de 700 fonds collectés. Ces fonds sont d’importance très variée, allant d’une ou deux photos à 60 mètres linéaires de documents. C’est une collecte assez hybride avec des archives physiques – 483 mètres linéaires dans 69 services – ainsi que numériques ; pour ces dernières, il s’agit soit de donateurs qui ont prêté leurs documents pour numérisation et les ont repris ensuite, soit le don d’archives nativement numériques. En fin d’année 2024, on comptait 2,8 To de données numériques, un chiffre qui sera amené à évoluer.
Nous avons eu des documents anciens puisque le plus vieux remonte à 1805 (provenant d’une compagnie de tir à l’arc dans l’Aisne), et d’autres ultra-contemporains datant des années 2020 ; la majorité date plutôt de l'après-guerre. Il s’agit d’archives papier pour les plus gros fonds mais avec beaucoup de documents iconographiques : programmes, affiches, photos. On relève également des documents audiovisuels tels que des films. Plusieurs services en ont profité pour faire de la collecte de témoignages auprès d’acteurs locaux comme des sportifs, des entraîneurs ou des élus comme Yves Nayme, créateur des jeux européens et mondiaux de handisport, à Saint-Étienne par exemple. C’est une autre manière de faire l'histoire car à l'oral, se disent des choses plus spontanées et plus de l’ordre du ressenti qu’à l’écrit. Enfin la majorité des donateurs sont des associations et des clubs, ou des particuliers membres d'un club et en possession de documents.
Les donateurs avaient-ils conscience de la valeur de leurs documents sportifs et était-ce difficile de les amener à faire des dons ?
Les archives et le sport sont deux mondes très différents qui n’ont pas l'habitude de travailler ensemble. Beaucoup de personnes croient que pour donner des documents, il faut être de la famille de sportifs connus comme Teddy Riner ou Yannick Noah. Or, ce qui nous intéresse aussi et surtout, ce sont les pratiques des personnes, ancrées dans l’histoire locale. Une des caractéristiques de cette Grande Collecte, c’est qu’elle s'est faite sur tout le territoire métropolitain et ultramarin : une association locale va venir donner à un service d’archives local et donc tout ceci reste dans le territoire ; c’est comme cela que l’on collecte une mémoire de proximité qui rejoint les habitants ; citons les archives d’un groupe d’échassiers aux Archives des Landes ou des fonds sur le rugby aux Archives du Gers. Il est donc valorisant pour une association ou un particulier de savoir que ce qu’elle ou il donne va pouvoir être exploité. Des fonds rayonnent aussi au-delà d’un territoire, comme celui du célèbre Racing club de France dans les Hauts-de-Seine ou celui de Jean Petitjean, instaurateur des premiers jeux mondiaux universitaires, aux Archives nationales.
Quand les personnes ne connaissent pas le milieu des archives, il y a un vrai travail de sensibilisation et de prise de conscience à faire par les archivistes pour montrer aux donateurs l'intérêt et la valeur historique de leurs documents, qu’ils ignorent souvent complètement, avec cette question qui revient sans cesse : mes documents sont-ils vraiment intéressants ? Globalement, nous nous sommes rendus compte que les donateurs sont contents que l’on mette en avant leur histoire ou celle de leur club, qu’on la valorise dans une exposition ou une publication ; ils réalisent qu’ils contribuent ainsi directement à l'histoire de leur environnement. Certains sont même devenus des relais pour faire venir d’autres donateurs et susciter d'autres dons !
Cette Grande Collecte s’inscrit dans l’Héritage des Jeux. Que vont devenir les documents collectés ?
Cet héritage direct des Jeux va pouvoir être partagé avec tous ceux qui s'intéressent à l'histoire du sport et, au-delà, à l’histoire de la société. Désormais, le rôle principal des services est de faire connaître la richesse des fonds collectés et de la communiquer auprès du public à travers des dossiers pédagogiques, des expositions, des publications, des ateliers. Mais avant tout, un important travail de traitement doit être réalisé car si les fonds ne pas classés, ils ne sont pas exploitables. Nous poursuivons par ailleurs le dialogue avec les historiens qui, sur le terrain, peuvent identifier des fonds intéressants et les signaler aux archivistes.
L'héritage, c'est enfin tous les fonds qui vont continuer à rentrer, grâce à certains projets qui vont se concrétiser dans les mois à venir. Les services d'archives restent ouverts et peuvent à tout moment accueillir de nouveaux documents.
Cette Grande Collecte a servi à montrer que les archives du sport, qui souffraient d’un manque de légitimité, méritent d'être conservées. Car, au-delà du sport, elles évoquent des sujets comme la condition féminine, le vêtement sportif ou l'influence du sport dans la société. On peut donc faire la grande Histoire à travers la petite.
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