C’était il y a 2000 ans, à la fin du IIe siècle avant notre ère. Dans l’actuel Morvan, le peuple Éduen s’installe au sommet du mont Beuvray pour y ériger Bibracte, une capitale gauloise de 5 à 10 000 habitants, parfait exemple de ce que furent les oppida, vastes agglomérations fortifiées qui parsemaient l’Europe moyenne à cette époque. Les Éduens y vécurent pendant un siècle, avant de migrer quelques kilomètres plus loin, à Autun.
Abandonnée pendant deux millénaires et tombée dans l’oubli, la ville de Bibracte renaît aujourd’hui grâce aux archéologues. Sur ce site naturel et historique d’exception s’étend les traces de la romanisation du site et des signes de l’architecture ancienne du lieu. Depuis quarante ans, c’est aussi un immense terrain de fouilles pour des chercheurs d’une dizaine de pays européens avec un grand programme de recherche développé à l’échelle continentale.
Enfin en avril 1995, soit il y a tout juste trente ans, le site se dote d’un musée ultra-moderne, œuvre de l’architecte Pierre-Louis Faloci, véritable vitrine de l’archéologie celtique. Il accueille aujourd’hui près de 50 000 visiteurs par an et figure dans le guide des musées ruraux, lancé le mois dernier par le ministère. À l’occasion des Journées européennes de l’archéologie, le site a prévu un programme riche d’ateliers, de visites guidées du musée et du chantier destinées à mieux appréhender le travail des archéologues. Retour sur la renaissance de Bibracte, avec Vincent Guichard, directeur général du site.
Qu’est-ce qui fait la spécificité du site archéologique de Bibracte ?
Vincent Guichard : Bibracte est le témoin unique d’une période de grande mutation qui intervient à la toute fin de l’âge du fer, soit le Ier siècle avant notre ère. Cette période voit notamment une grande partie de l’Europe tempérée – ou celtique – intégrer l’orbite de Rome. Bibracte a la particularité d’avoir une durée de vie d’un siècle seulement : l’histoire urbaine qui s’y amorce va se poursuivre à vingt kilomètres de là, à Autun, à partir du changement d’ère. Cela veut dire que l’on n’est pas « pollué » par les sédiments archéologiques des vingt siècles d’activités urbaines qui ont suivi l’abandon de Bibracte et qu’il suffit littéralement de balayer les feuilles mortes et l’humus pour remonter de deux mille ans en arrière.
Bibracte a aussi l’intérêt d’avoir été un lieu stratégique, à l’avant-poste des contacts entre une Europe tempérée, celtique, et une autre méditerranéenne, sous contrôle romain. Bibracte a plus précisément été la capitale d’un peuple – les Eduens – qui avait signé précocement – dès le IIe siècle avant notre ère — un traité d’alliance militaire avec Rome, ce qui fait que les contacts avec la Méditerranée y sont visibles plus précocement qu’ailleurs. C’est aussi l’un des lieux où s’est construite l’archéologie protohistorique européenne au XIXe siècle.
Enfin Bibracte est un lieu de mémoire. C’est ici que César, venu à plusieurs reprises, a sans doute fini d’écrire son De Bello Gallico (La Guerre des Gaules) pendant l’hiver 52-51 avant notre ère. C’est ici aussi que Vercingétorix a été confirmé à la tête de la coalition gauloise à l’été 52 avant notre ère. Ce site est donc lié aux plus anciens récits historiques associés au territoire qui deviendra bien plus tard la France.
Vous fêtez cette année les trente ans de l’ouverture, en avril 1995, du musée et du centre de recherches. Dans quel contexte ce projet a-t-il vu le jour ?
V.G. : Le musée est l’aboutissement d’une histoire longue. Depuis le tout début du XXe siècle, le chantier de fouilles ouvert dans les années 1860 était abandonné. Il a été réactivé en 1984 et a vite pris de l’ampleur ; il est devenu international car nous nous sommes rapidement rendu compte qu’il fallait beaucoup de moyens humains pour le faire progresser et nous avons invité des collègues de différents pays européens, y compris au-delà du rideau de fer, ce qui avait une portée politique forte dans le contexte de l’époque. Nous nous sommes rapidement mis en mesure d’accueillir des visiteurs, mais c’est en 1988 que François Mitterrand a décidé d’inscrire le Mont Beuvray sur la liste des grands travaux culturels de l’État, d’où a découlé l’ouverture du musée de Bibracte et du centre archéologique européen quelques années plus tard.
Cette année 2025 voit l’ouverture d’une nouvelle salle d’exposition temporaire de 240 m2 conçue par Pierre-Louis Faloci, l’architecte qui avait conçu le musée inauguré en 1995. Nous l’inaugurons le 13 juin avec une exposition consacrée à celui qui a reçu en 2018 du Grand prix national d’architecture décerné par le ministère de la Culture. Le musée de Bibracte est une œuvre clé de sa carrière.
Deuxième anniversaire célébré, celui des 40 ans du programme de recherche archéologique qui mobilise des centaines d’archéologues et d’étudiants de toute l’Europe. En quoi consiste ce programme et sur quoi a-t-il déjà débouché ?
V.G. : L’objectif initial de ce projet était de mieux caractériser le plus ancien phénomène d’urbanisation de l’Europe, au Ier siècle avant notre ère, et aussi de mieux évaluer l’impact de la romanisation, qui réorienta ce phénomène urbain dès le milieu du même siècle. Ce programme s’inscrit également dans une politique de revalorisation des civilisations sans écriture qui ont précédé l’époque romaine. Il y a très peu d’écrits les concernant, sauf des écrits extérieurs d’auteurs gréco-romains, généralement assez condescendants. Il fallait donc redécouvrir et se réapproprier un passé encore méconnu.
Ce chantier se décline selon différents axes de recherche depuis 40 ans. Nous avons tout d’abord identifié les vestiges d’un urbanisme préromain, nous avons eu des résultats spectaculaires sur le sujet de la romanisation de l’architecture et de l’urbanisme. Nous avons mobilisé des approches transversales sur des sujets comme l’économie vivrière ou l’histoire des techniques. Enfin nous utilisons Bibracte comme plateforme pour développer de nouveaux outils d’investigation, comme la prospection géophysique qui permet d’enregistrer des vestiges enfouis sans avoir à les exhumer. Les questionnements se renouvellent à chaque génération d’archéologues.
Que représentent les Journées européennes de l'archéologie pour un site comme Bibracte ?
V.G. : On constate que ces Journées prennent de l’ampleur année après année, aux côtés des Journées européennes du patrimoine. Le public est toujours plus nombreux, ce qui est très satisfaisant pour la communauté archéologique, ce d’autant plus que ces Journées touchent un public local qui n’oserait pas pousser la porte du musée pendant le reste de l’année.
Si ces Journées fonctionnent aussi bien, c’est aussi parce que l’archéologie concerne chacun d’entre nous : les chantiers d’archéologie préventive ont lieu partout sur le territoire, sur le terrain de vie de l’ensemble de nos concitoyens. De cette façon, l’archéologie permet à chacun de tisser un lien très sensible avec le passé, ce qui est un besoin croissant à une époque qui voit de profonds bouleversements de notre cadre de vie. À Bibracte, les Journées de l’archéologie permettent aux archéologues d’aller à la rencontre du public et de lui expliquer comment ils construisent un récit inédit du passé le plus lointain.
Consultez le programme des Journées européennes de l'archéologie à Bibracte.
Trois jours pour explorer le passé avec l’archéologie
Les Journées européennes de l’archéologie (JEA), qui ont lieu du 13 juin au 15 juin partout en France et dans plus de 20 pays européens, permettent comme chaque année de plonger dans l'univers de l'archéologie. Initiées par le ministère de la Culture et pilotées par l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap), elles proposent plus d’un millier de manifestations, des chantiers de fouille aux musées en passant par les laboratoires. Pendant ces trois jours, les acteurs de l’archéologie se mobilisent afin de partager leurs connaissances, leurs expertises, leurs métiers et leurs découvertes avec tous les publics.
Cette année, les JEA plongent dans l’âge du Bronze, période longtemps perçue comme obscure mais capitale dans l’histoire de l’humanité qui voit des sociétés agricoles évoluer vers des échanges commerciaux dans toute l’Europe. Ainsi, un volet important de cette édition 2025 sera consacré à l’archéo-expérimentation de pratiques de l’âge du Bronze : ateliers de fonte du bronze, tissage, construction de bateau et navigation ou encore alimentation.
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