Connaître l'environnement juridique d'un fonds
Que le fonds soit déjà conservé par l'institution ou non, il est important de connaître le statut juridique du fonds et/ou des photographies, des supports comme des droits afférents, avant de l’acquérir ou de le traiter.
Être propriétaire d'un support physique n'implique pas être propriétaire des droits d'auteur (droits patrimoniaux et droit moral) afférents à celui-ci.
En vertu de l'article L.111-3 du Code de la Propriété Intellectuelle (CPI), il est en effet nécessaire de bien distinguer la propriété incorporelle de celle de l’objet matériel, qui sont indépendantes l’une de l’autre. Un musée qui achète une photographie d’un artiste contemporain devient propriétaire du support de l’œuvre, mais pas des droits d’auteur qui s’y attachent.
Il importera donc de clarifier l'environnement juridique des photographies et/ou des fonds avant toute exploitation en envisageant une régularisation contractuelle. En l'absence de réponses à ces questions, la valorisation et la diffusion du fonds peuvent être compromises.
Questions abordées :
- Comment différencier la propriété des supports et la propriété des droits d'auteur sur les photographies ?
- Comment établir la propriété matérielle des items ?
- La possession vaut-elle titre ?
- Qu'est-ce que le droit d'auteur ?
- Que sont les droits patrimoniaux et le droit moral ?
- Toutes les photographies sont-elles concernées par le droit d'auteur ?
- À quel moment les photographies sont-elles dans le domaine public ?
- Certains usages d'une photographie peuvent-ils se dispenser d'une autorisation systématique de l'auteur ?
- Quelles photographies peuvent être considérées comme des œuvres orphelines ?
- Que signifie la mention « tous droits réservés» ou DR ?
- Qu'est-ce qu'un contrat de cession de droit d'auteur ?
Comment différencier la propriété des supports et la propriété des droits d'auteur sur les photographies ?
L’article L.111-3 du code de la propriété intellectuelle dispose que: «la propriété incorporelle est indépendante de la propriété de l’objet matériel». En d’autres termes, le propriétaire de supports tangibles n'est pas nécessairement le détenteur des droits d'auteur liés aux œuvres.
Tel est le cas, par exemple, d’un musée qui achète une photographie d’un artiste contemporain ou d'un collectionneur qui a rassemblé les tirages de plusieurs photographes. De même, posséder les négatifs d’un photographe ne signifie pas que l’on dispose du droit d’auteur sur les tirages effectués à partir de ces négatifs.
Pour être titulaire des droits d’auteur, ces détenteurs d’œuvres doivent se les faire céder expressément.
Dans le cas où les photographies ne seraient pas librement exploitables (car non tombées dans le domaine public), il importera donc de rechercher dans les archives les contrats de cession de droits éventuels ou les factures relatives à l'acquisition des dites photographies ou, le cas échéant, les auteurs et ayants droit potentiels.
Si lors de l’acquisition des supports, les droits patrimoniaux n’ont pas été cédés, il importera de se rapprocher des photographes ou de leurs ayants droit afin de convenir des termes qui vont régir l’exploitation et l’utilisation des items par l’institution.
Comment établir la propriété matérielle des items ?
Si les items sont déjà dans l’institution, comment y sont-ils entrés? Ont-ils été acquis par l’institution? Sont-ils la propriété de l’institution? Sont-ils déposés? Confiés en gestion? Des documents administratifs renseignent-ils le statut de ces objets?
Il importera dans un premier temps de rechercher les éléments contractuels, les factures, etc. permettant de déterminer le statut des objets conservés (propriété par achat, dation, don, legs, dépôt, mise en gestion, etc.) En l’absence de documents établissant clairement son statut, la valorisation d’un fonds devient difficile.
Dans l’hypothèse où ces éléments seraient inexistants ou imprécis, et si le producteur, le photographe ou les ayants-droit sont connus de l’institution, il importera d’engager une régularisation.
En droit détenir un objet ne signifie pas automatiquement que l’on en est propriétaire. Ainsi, dans le cadre d’un dépôt, le musée ou le centre d’archives n’est pas considéré comme propriétaire des items conservés mais est au sens du droit civil un détenteur précaire et peut être amené à restituer les objets conservés.
À l’exception du dépôt, les autres formes d’entrée dans les collections emportent un transfert de propriété au bénéfice de la structure détentrice, qu’il s’agisse d’entrée onéreuse (achat, dation) ou gracieuse (libéralité : legs ou donation). Concernant cette dernière, elle doit avoir lieu via un acte notarié, sous peine de nullité. La jurisprudence admet cependant en pratique le don « manuel » pour des documents n’ayant aucune valeur marchande, tandis qu'on réserve la donation notariée pour des fonds prestigieux et de valeur.
En ce qui concerne les dons manuels, Il importe de veiller à ce que ces transferts de propriété soient accompagnés, dans la mesure du possible, d’une lettre d’intention qui permettra de prévoir les modalités de communication et d’utilisation des objets donnés.
La possession vaut-elle titre ?
Juridiquement, les objets qui constituent un fonds de photographies sont des «biens meubles» au sens du droit civil, et se voient appliquer les règles de la propriété corporelle (par opposition à la propriété intellectuelle).
Le Code civil dans son article 2276 précise: «En fait de meubles, la possession vaut titre. Néanmoins, celui qui a perdu ou auquel il a été volé une chose peut la revendiquer pendant cinq ans à compter du jour de la perte ou du vol, contre celui dans les mains duquel il la trouve ( ...)»
Cela signifie qu’il existe une présomption de propriété au profit de celui qui a le bien meuble entre les mains, et ce jusqu’à preuve du contraire. Cette présomption peut être renversée si le véritable propriétaire qui aurait été lésé de son bien peut le prouver en produisant par exemple un contrat de dépôt démontrant la détention précaire du possesseur.
Cette règle du Code civil permet de conduire à l’acquisition immédiate de la propriété d'une chose mobilière par le possesseur de bonne foi (article 1141 du code civil). Le véritable propriétaire d'un bien meuble ne peut alors revendiquer son bien auprès du possesseur de bonne foi, si les quatre conditions suivantes sont cumulativement réunies :
- Possession exercée à titre de propriétaire. Un prêt par exemple oblige à une restitution ultérieure de l'objet;
- Possession réelle et effective;
- Possession exercée de bonne foi: le possesseur doit être persuadé qu’il a acquis le bien d’un véritable propriétaire;
- Possession exempte de vice: la possession doit être paisible, publique et non-équivoque.
À l’inverse, le Code civil autorise le véritable propriétaire à revendiquer son bien meuble si celui-ci a été perdu ou volé sous réserve toutefois d’agir dans le délai de trois ans à compter du jour de la perte ou du vol. Si l’action en revendication réussit, le possesseur doit restituer le ou les objets. Dans certaines situations prévues à l’article 2277 du Code civil, le possesseur peut être dédommagé:«Si le possesseur actuel de la chose volée ou perdue l'a achetée dans une foire ou dans un marché, ou dans une vente publique, ou d'un marchand vendant des choses pareilles, le propriétaire originaire ne peut se la faire rendre qu'en remboursant au possesseur le prix qu'elle lui a coûté.»
Appliquée aux fonds de photographies, la prescription acquisitive permet à la structure détentrice, au terme de cinq ans de détention sans aucune forme de contractualisation, de présumer qu’en sa qualité de possesseur d’un bien non revendiqué elle peut être considérée comme son propriétaire.
Les services conservant des fonds de photographies peuvent ainsi recourir, en l'absence d'écrit constatant un don par exemple, à la règle de la prescription acquisitive, s'ils peuvent démontrer que leur possession répond aux exigences légales mentionnées précédemment.
Sur la base des informations disponibles, il faut alors déterminer une date d’entrée du fonds. Cette date servira au calcul de la période de prescription acquisitive de cinq ans, au terme de laquelle l’institution détentrice pourra être considérée comme propriétaire.
Qu'est-ce que le droit d'auteur ?
Il s’agit d’une prérogative attribuée à l'auteur d'une œuvre de l'esprit qui lui permet de contrôler les usages de son œuvre et d’en percevoir les fruits. Le droit d’auteur comporte des droits patrimoniaux et un droit moral.
L’article L 111-1 du Code de la propriété intellectuelle (CPI) précise :
«L'auteur d'une œuvre jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. Ce droit comporte des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial, qui sont déterminés par les livres I et III du présent code. L'existence ou la conclusion d'un contrat de louage d'ouvrage ou de service par l'auteur d'une œuvre de l'esprit n'emporte aucune dérogation à la jouissance du droit reconnu par l'alinéa 1er.»
En savoir plus :Texte consolidé au 8 août 2015
Que sont les droits patrimoniaux et le droit moral ?
Les droits patrimoniaux conférés aux auteurs sont, à titre principal, les droits de représentation et de reproduction. Ils permettent à l’auteur d’autoriser ou d’interdire
Toute forme d’exploitation de son œuvre quelles qu'en soient les modalités. Toute utilisation de son œuvre sans son autorisation constitue une contrefaçon qui est civilement et/ou pénalement sanctionnée (CPI, art. L. 122-4).
Le droit de reproduction consiste dans la fixation matérielle de l’œuvre au public par tous les procédés qui permettent de la communiquer au public de manière indirecte (CPI, art. L. 122-3). Le droit de représentation consiste, lui, dans la communication de l’œuvre au public par un procédé quelconque (CPI, art. L. 122-2), notamment la mise en ligne sur un site web accessible au public.
Les droits patrimoniaux peuvent être cédés, par contrat, pour une durée limitée dans le temps. Souvent, cette cession correspond à la durée légale des droits d’auteur, à savoir soixante-dix ans après la mort de l’auteur.
Le droit moral désigne un ensemble de prérogatives attachées à la personne de l’auteur (et à ses ayants-droit). Il est inaliénable, imprescriptible et insaisissable (art. L 121-1 CPI). Le droit moral recouvre notamment pour l’auteur le droit au respect de son œuvre (c’est-à-dire de s’opposer à toute altération de son œuvre) et le droit à la paternité, qui lui permet d’exiger que son nom soit toujours associé à son œuvre. La mention du nom de l’auteur est bien obligatoire lors de l’écriture d’un crédit photographique.
Le détenteur des droits patrimoniaux n’est pas automatiquement détenteur du droit moral.
Aucun projet de valorisation ne pourra se faire sans l'accord de l'auteur ou de ses ayants droit, détenteurs du droit moral.
Toutes les photographies sont-elles concernées par le droit d'auteur?
Le Code de la propriété intellectuelle protège les « œuvres de l'esprit » parmi lesquelles figurent « les œuvres photographiques et celles réalisées à l'aide de techniques analogues à la photographie » (Article L112-2 Alinéa 9).
Cependant, la jurisprudence conditionne cette protection à l'existence d'une œuvre originale. En matière de photographie la question de l’originalité est particulièrement complexe et ne peut être tranchée en dernier ressort que par l’appréciation souveraine des juges. On considère d’une façon générale qu’une œuvre est originale si elle est porte l’empreinte de la personnalité de son auteur, c’est-à-dire si l’auteur a effectué des choix esthétiques personnels (lumière, angle de prise de vue par exemple).
Si le caractère d’originalité ne peut être retenu, alors l’auteur de la photographie ne pourra faire prévaloir ses droits et la photographie peut être utilisée librement.
À quel moment les photographies sont-elles dans le domaine public?
À de rares exceptions (œuvre collective, œuvre posthume), les œuvres d'un auteur tombent dans le domaine public soixante-dix ans après le décès de ce dernier, à compter du 1er janvier de l’année civile qui suit l’année du décès.
Certains usages d'une photographie peuvent-ils se dispenser d'une autorisation systématique de l'auteur ?
Une photographie protégée par le droit d’auteur peut être utilisée dans certaines conditions particulières, sans que l’auteur ne puisse s’y opposer. L’article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle fixe de manière limitative un certain nombre d’exceptions.
La loi autorise notamment l’utilisation de l’œuvre divulguée, sans autorisation de l’auteur, par la reproduction et la représentation, à des fins de conservation ou de préservation des conditions de consultation sur place, par les bibliothèques accessibles au public, les musées et les services d'archives, à la condition de n'en tirer aucun avantage économique ou commercial.
Quelles photographies peuvent être considérées comme des œuvres orphelines ?
Des photographies sont dites œuvres orphelines (définition introduite à l’article L 113-10 du Code de la propriété intellectuelle par la loi 2012-287 du 1er mars 2012 relative à l’exploitation numérique des livres du XXe siècle indisponibles) quand elles sont encore protégées par le droit d'auteur mais que leur auteur ou ses ayants droit ne peuvent être connus, localisés ou contactés, malgré des recherches diligentes, ce qui rend leur présentation et leur exploitation très compliquée jusqu’à leur basculement dans le domaine public. La Directive 2012/28/EU a établi des règles communes sur la numérisation et l’affichage en ligne de ces œuvres.
La loi 2015-195 du 20 février 2015 a transposé cette directive dans le droit français et prévoit de permettre «aux bibliothèques accessibles au public de numériser et de mettre à la disposition de leurs usagers des œuvres appartenant à leurs collections et considérées comme orphelines […]». La possibilité est étendue notamment aux musées, aux services d’archives … Ces œuvres seront ainsi rendues accessibles au plus grand nombre, «grâce au support numérique et dans un cadre non lucratif». L’article L 135-1 du code de la propriété intellectuelle exclut toutefois du champ du texte «les photographies et images fixes qui ne sont pas incorporées dans les catégories des œuvres précitées» (livres, magazines, revues, journaux, etc.) Les photographies ne bénéficient donc pas pour l’heure du dispositif permettant à certaines institutions culturelles de numériser et mettre à disposition du public certains types d’œuvres orphelines.
Que signifie la mention « tous droits réservés» ou DR ?
Cette mention est une pratique qui permet de couvrir différents types d’usage, notamment par la presse pour désigner des photographies, provenant par exemple de fonds non suffisamment répertoriés, ou circulant sur le web, et dont ni la provenance ni l’auteur ne sont connus de manière certaine. Dans ce cas de figure, la mention «DR» est apposée, à la place du crédit photographique, sur des œuvres dont l’auteur n’a pas été identifié.
Au regard du droit d’auteur, il s’agit donc d’une pratique désignant des cas de photographies orphelines. La mention n’est pas obligatoire et ne fait naître en tant que telle aucun droit.
Il est recommandé de ne réserver cette mention qu’à des œuvres pour lesquelles une recherche de paternité a été effectuée et pour laquelle cette recherche n’a pas encore abouti.
S’agissant des enjeux, notamment juridiques, de l’emploi de la mention «droits réservés», se reporter au rapport de l’IGAC de 2010 sur le photojournalisme.
Qu'est-ce qu'un contrat de cession de droit d'auteur ?
Si les droits n’ont pas été acquis lors de la cession du fonds, il conviendra de régulariser cette situation afin d’envisager l’exploitation et la valorisation de celui-ci. Il conviendra alors de vous rapprocher du service juridique compétent.
La loi impose un certain formalisme et des mentions obligatoires lors de la formation du contrat de cession des droits d'auteur (CPI, art. L. 131-2 et L. 131-3).
Il faut d’abord mentionner expressément tous les droits qui sont cédés. Puis, pour chacun de ces droits, le contrat doit délimiter son domaine d'exploitation selon quatre éléments: son étendue, à sa destination, le lieu, et la durée de l'exploitation (CPI, art. L. 131-3).
Les cessions de droits d’auteur sont régies par un principe d'interprétation stricte qui en limite la portée aux modes d'exploitations strictement prévus au contrat: cela signifie que tout ce qui n’est pas expressément cédé est réputé conservé par l’auteur.
La rédaction du contrat devra donc être la plus précise possible et devra prévoir l’ensemble des supports et modes d’exploitation envisagés.
La cession doit en principe prévoir une rémunération proportionnelle de l’auteur aux recettes issues de la vente ou de l’exploitation du fonds. Elle peut aussi être gratuite (si elle a été expressément consentie par l’auteur) ou donner lieu à une rémunération forfaitaire dans certaines hypothèses particulières (cas prévus à l’article L131-4 du CPI).
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