« Quand on dit qu’on fait du design, nos interlocuteurs ont tendance à penser qu’on travaille sur des meubles ou des objets. Le métier de designer va cependant bien au-delà de ces domaines d’intervention précis », observe Bertille Sionneau. Sur le point de terminer sa 4e année à l’École nationale supérieure de création industrielle (ENSCI), la jeune femme a choisi de se spécialiser dans le design de service, soit la conception de services centrés sur l'utilisateur, à la fois utiles et facilement utilisables. Elle cite, à titre d’exemple, la plateforme numérique Trainlines, qui permet de réserver des tickets de train et bus à travers l'Europe : « il y a des professionnels qui ont réfléchi à chaque moment où l’usager va être en interaction avec ce service, et à la manière dont ces moments s’articulent entre eux ». Le design permet de penser tous ces parcours, en écrivant les scénarios qui en découlent.
Le désir d’expérimenter
Si Bertille Sionneau a très vite su qu’elle exercerait un métier artistique, elle a, en revanche, longtemps hésité sur la nature exacte de sa future profession. Parallèlement au lycée, elle suit, à l’école d’art de Cholet, sa ville natale, des cours de dessin et d’histoire de l’art. Une fois son bac scientifique en poche, deux voies s’offrent à elle : l’école des beaux-arts d’un côté, la mise à niveau en arts appliquées (MANAA) de l’autre. « J’ai finalement préféré les arts appliqués car j’avais le sentiment que c’était un peu moins artistique, et plus en relation avec le monde professionnel. Aujourd’hui, je sais que certaines écoles des beaux-arts sont plus tournées vers le design que d’autres, j’aurais donc tout aussi bien pu emprunter cette voie-là », constate-t-elle.
Après une MANAA, nombreux sont les étudiants qui se tournent vers un BTS pour se spécialiser dans un type particulier de design. Curieuse de tout, Bertille Sionneau ne souhaite pas, pour sa part, « s’enfermer dans une seule discipline ». Elle tente le concours de l’ENSCI, dont elle apprécie tout particulièrement la pédagogie innovante, basée sur « l’apprentissage par le faire ». « A l’ENSCI, on partage son temps entre les cours et les projets que l’on choisit chaque semestre. Chaque élève a son propre parcours, et nous sommes tous acteurs de notre propre formation », explique-t-elle. Cette liberté d’expérimenter lui donne l’opportunité d’explorer plusieurs types de de design avant de découvrir, dans le cadre d’un stage, le design de service.
Être designer, c'est aussi incarner une vision, imaginer d'autres possibles
Une discipline créative et transdisciplinaire
« Dans le domaine particulier du design de service, bien souvent, on ne sait pas à l’avance quel sera le résultat du projet », souligne Bertille Sionneau. Avant de mettre sur pieds une proposition, un temps de veille, d'attention, est nécessaire au cours duquel le designer recueille les avis des utilisateurs et définit les contours du problème rencontré. « Le designer peut proposer tour à tour une interface, un lieu où le service sera effectif ou encore des usages pour un lieu », affirme l’étudiante. C'est ainsi que dans le cadre du PolicyLab de Sciences Po, elle a notamment été amenée à travailler avec d'autres étudiants autour de la participation citoyenne. « Nous avons cherché à pérenniser l'expérience de la Convention Citoyenne, en nous inspirant de celle qui a été mise en place pour le climat. Cela impliquait de penser les liens entre différentes institutions, les rôles de chaque acteur, les diverses temporalités... Notre projet comportait aussi une partie plus prospective : sur plus long terme, nous avons pensé un autre système démocratique, plus local, autour de la notion des Communs et du concept des bio-régions », raconte-t-elle, en ajoutant : « Être designer, c'est aussi incarner une vision, imaginer d'autres possibles ».
Quand on lui demande ce qui motive aujourd’hui son désir de travailler dans le design et la création industrielle, Bertille Sionneau évoque le champ des possibles particulièrement ouvert qu'offre cette discipline « à la croisée de plein d’autres ». « Cela me permet de ne jamais faire la même chose », précise-t-elle. Elle apprécie également l’aspect créatif de son activité, nourri par les nombreux échanges auxquels elle donne lieu. « Je recherche beaucoup la transdisciplinarité dans mes projets et j’aimerais, à terme, travailler dans un collectif avec d’autres professions - des architectes, des sociologues, des psychologues… En mettant en relation des données qui relèvent de différents domaines et en associant les forces de chacun, on réalise des projets plus pertinents que si on travaillait uniquement entre designers », estime-t-elle.
Quel impact sur la société ?
Pendant le confinement, Bertille Sionneau a été amenée à réaliser un projet sur le thème « design en temps de crise ». « J’ai proposé aux enfants de mon quartier un système de défis qui permettait de recréer du lien entre eux », raconte-t-elle. En glissant tous les trois jours des mots et des photos dans les boîtes aux lettres des familles qui acceptent de se prêter au jeu, la designeuse agit au plus près des besoins des enfants isolés socialement, loin de leurs camarades d’école et de jeux.
Une démarche qui aboutira à une prise de conscience plus aiguë du rôle du designer dans la société. « Tous les projets que nous faisons ont un impact sur le monde dans lequel on vit. Cela nous donne, à mon sens, une certaine responsabilité », observe Bertille Sionneau. « Il faut être vigilant au fait de ne pas accroître, par son travail, les inégalités. Je pense notamment aux airbags présents dans les voitures, qui sont testés avec des mannequins de gabarit masculin, ou encore aux pansements, longtemps conçus pour des peaux blanches ». Une vigilance qu'elle étend à ses recherches sur des sujets émergents dans le design, comme la possibilité d’intégrer le vivant dans les projets. « Ca paraît tout simple mais un lampadaire a, par exemple, au-delà de son usage pour l’homme, un rôle par rapport aux insectes qui volent autour, donc à la biodiversité en général », explique-t-elle, en ajoutant : « Si on continue à concevoir en prenant en compte seulement l'utilisateur, on va vers une situation où la terre ne sera tout bonnement plus habitable ».
Aujourd'hui, Bertille Sionneau s’interroge sur son futur lieu de travail. « J’aimerais exercer dans un lieu en adéquation avec mes valeurs, mais je suis consciente que je dois aussi composer avec la réalité professionnelle », commente-t-elle. Sa volonté de mettre ses compétences au service de la collectivité la pousse à s’intéresser au secteur de l’innovation publique, vers lequel elle envisage de s’orienter. « L’année prochaine je vais faire le master Marque et Branding du CELSA en parallèle de mon parcours à l’ENSCI. Je pense qu’il y a des beaucoup à apprendre des techniques utilisées pour élaborer une stratégie de marque, par exemple », explique la future designeuse. Toujours désireuse d’élargir son horizon, Bertille Sionneau entend continuer sa route librement, sans se laisser enfermer dans une case.
Enseignement supérieur culture : l’École nationale supérieure de création industrielle
Avec ses 99 établissements et ses 35 000 étudiants, l’enseignement supérieur culture est sans doute l'un des viviers de jeunes professionnels les plus denses et les plus variés au monde. Il constitue aussi l’un des réseaux culturels fortement décentralisés mais aussi les plus spécifiques.
L'ENSCI est la seule école nationale exclusivement consacrée à la création industrielle et au design. Située au cœur de Paris, à l'endroit où se trouvaient les anciens ateliers du décorateur Jansen, elle jouit d'une reconnaissance et d'une insertion internationale de premier plan. Deux diplômes sont proposés en formation initiale : Designer textile et Créateur industriel, chacun élevé au grade de master. La pédagogie de l’École est basée sur le projet et le cursus individualisé, selon une approche centrée sur l'élève et son parcours, qui se distingue des cursus chronologiques classiques.
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