La découverte du site de la Licorne représente un enjeu archéologique majeur qui va permettre de documenter les pratiques funéraires de l’âge du Bronze.

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Préservation du site, vestiges susceptibles d’apporter une connaissance renouvelée de la période de l’âge du Bronze… L’étude scientifique de la grotte sépulcrale découverte dans la commune de La Rochefoucauld, en Charente, qui ne fait que commencer, représente un défi archéologique majeur pour les années à venir. Entretien avec Gwenaëlle Marchet-Legendre, conservatrice régionale de l’archéologie au Service régional de l’archéologie de la Direction régionale des affaires culturelles de Nouvelle-Aquitaine.

À quel moment le Service régional de l’archéologie est-il entré en scène ?

Très rapidement, dès la découverte de la grotte par l’association de recherches spéléologiques de La Rochefoucauld. Le karst de Charente est très étendu, et l’intervention de spéléologues est courante, en particulier pour vérifier qu’il n’y a pas de problème de sécurité. Après leur découverte, les spéléologues ont tout de suite eu le bon reflexe de faire une déclaration fortuite auprès du Service régional de l’archéologie. Dans les jours qui ont suivi la découverte, nous avons immédiatement travaillé ensemble pour expertiser le site.

L'une des premières priorités a été de déterminer la date de l'occupation du site.

Nous avons perçu dès la première descente le caractère exceptionnel des vestiges, tant du point de vue de leur qualité que de leur nombre. La priorité était d’estimer la période d’occupation de la grotte sans altérer les traces. Nous sommes redescendus quelques semaines plus tard avec des spécialistes de ce que l’on présumait être la période du site, à savoir l’âge du Bronze, une période qui se situe entre 2000 et 800 ans avant Jésus-Christ. Héloïse Bricchi-Duhem et Jérôme Primault ont non seulement confirmé cette datation mais ont établi que toutes les périodes de l’âge du Bronze étaient présentes dans la cavité. Nous avons donc affaire à une très longue occupation. Philippe Galant, spécialiste des grottes sépulcrales à la DRAC Occitanie, accompagnait cette première expertise scientifique afin de nous aider à définir les premières actions de préservation à mettre en place.

Selon les experts, la réseau de la Licorne a été occupé tout au long de l'âge du Bronze, soit plus d'un millénaire...

Quels sont aujourd’hui les enjeux scientifiques autour de cette découverte ?

Le premier défi, c’est la conservation de la grotte et des éléments qui s’y trouvent, à commencer par sa stabilisation et sa préservation en termes de climat. Conservation indispensable pour mener une étude plus fine qui permettra de répondre au deuxième défi : comprendre toutes les informations apportées par cette grotte, en particulier celles sur les pratiques funéraires de l’âge du Bronze.

Car nous avons bien plus que de simples pratiques sépulcrales dans cette grotte. Il y a des corps avec des dépôts d’objets, mais il y a aussi quantité d’autres objets, par exemple des meules à grain, des traces de pas ou des céramiques déposées dans certains endroits qui ne se rapportent ni à l’habitat, ni à rien de ce que l’on connaît en matière de pratiques funéraires. Toute une série de comportements humains pourront être étudiés que nous ne percevons généralement jamais quand nous étudions des sites de l’âge du Bronze à l’air libre. Mais, je le répète, il est avant tout impératif de mettre en place tous les jalons de sécurité qui permettront d’étudier sans détruire les traces et autres objets observés.   

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S’agissant des autres usages possibles, vous acheminez-vous déjà aujourd’hui vers d’autres hypothèses ?

Pour l'instant, en raison de l'étendue du réseau et de son caractère méandreux, nous n'avons pu accéder qu'à une partie infime du site, moins de 1%... Afin d’avoir une vision complète et panoramique, notre premier souci va donc être de dresser un relevé topographique exhaustif et de faire un inventaire le plus précis possible de ce que l’on voit. Ce sera un travail long qui nécessitera de faire preuve d’innovation. Puisqu’on ne peut pas marcher sur les sols, il va falloir trouver des systèmes de référencement embarqués qui vont pouvoir se déplacer dans la grotte sans abîmer les parois et les sols. Il est d’ores et déjà prévu de travailler avec les experts du CNRS, de l’INRAP et de l’université pour trouver des solutions. La grotte est toujours entourée de mystère pour le moment.

Tous les partenaires sont à pied d’œuvre. Qu’en est-il des moyens financiers ?

Le caractère exceptionnel de la grotte ne fait pas de doute, elle appartient déjà au patrimoine archéologique national. Le ministère de la Culture va mobiliser des moyens pour répondre aux objectifs de conservation, de préservation et d’étude d’un tel site. Dès que la découverte a été connue, l’ensemble des institutions de recherche ont mis à disposition leurs meilleurs spécialistes. Je ne doute pas que nous trouverons les moyens d’action sur le temps long. Un exemple : avoir une idée du climat de la grotte et de l’impact de nos fréquentations nécessite de poser des capteurs et d’avoir un recul de 18 mois.

Quel est l’aspect de ce site qui vous a le plus frappé ?
 
Un site d’une telle qualité, on n’en rencontre que très rarement dans une carrière. C’est comme si on avait fermé la porte il y a très longtemps – à l’âge du Bronze ! – et que personne n’était revenu. Il y avait non seulement les corps déposés avec les céramiques, mais également les empreintes de pas, l’intégralité des restes végétaux, animaux ou environnementaux… L’ensemble est véritablement extraordinaire.

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Il y a notamment l’empreinte de ce pied d’enfant dans l’argile…

Les spéléologues désignent cette partie de la grotte sous le nom de « galerie des petits pas ». On voit non seulement les empreintes de pied d’un enfant d’environ huit ans, mais aussi celles de l’adulte qui l’a peut-être accompagné. Ces traces – et tant d’autres, comme celles de doigts dans la glaise, d’empreintes de mains sur les parois rocheuses – constituent une somme d’informations d’une telle fraîcheur qu’on en reste confondus. C’est un véritable trésor.  

Comment vivez-vous ce moment de médiatisation autour de la découverte de la grotte ?

 C’est un plaisir de partager une telle découverte. La première chose que l’on a envie de faire, c’est de le dire à tout le monde. Mais pour pouvoir partager, il faut savoir quoi dire, et le dire dans des bons termes et avec toute la prudence qui s’impose, cela exige du temps. Aujourd’hui, ce moment est venu.