La langue française, un bien commun
Pilier de notre culture, ciment de notre société et « langue monde », le français relève de notre responsabilité collective. Une responsabilité forte qui nécessite l'engagement de tous et une politique adaptée aux enjeux contemporains, pour favoriser le partage, la maîtrise et la créativité de notre langue.
Un gage d'unité nationale
Historiquement, la France s’est construite dans un rapport complexe à la langue française et aux langues pratiquées sur son territoire. D’espace plurilingue où la langue de la cour a longtemps côtoyé les parlers régionaux, elle devient au fil des siècles un État au sein duquel le français est gage de l’unité nationale.
L'essor d'une langue commune
En 1539, François Ier signe au château de Villers-Cotterêts une ordonnance qui impose l’usage du français pour les actes de justice et d’état civil, à la place du latin. L’unification par le français, entamée depuis le XVIe siècle, s’accélère avec la Révolution française. La guerre de 1914-1918, en rassemblant dans les tranchées des soldats venus des différentes régions de France, a contribué à l’essor du français dans toutes les couches de la société, renforçant la « République une et indivisible ». Enfin, à compter des années 1960, la langue française s’est installée dans tous les milieux, grâce à l’accès généralisé à la télévision qui a favorisé une unification des pratiques langagières.
Un enjeu au cœur des préoccupations citoyennes
89% des français jugent que l'emploi du français est utile pour garantir la cohésion sociale - Enquêtes CREDOC sur la perception de la langue française (2020-2022)
La France a une longue tradition d’intervention sur la langue, « affaire de l’État ». C’est la République qui impose le français comme langue nationale. Ces cinquante dernières années, le développement de la construction européenne, l’internationalisation des échanges et l’accélération des innovations technologiques ont amené le législateur à introduire en 1992 à l’article 2 de la Constitution le principe selon lequel « la langue de la République est le français ». Tous les citoyens ont ainsi le droit démocratique, garanti par la loi, de recevoir une information et de s’exprimer dans leur langue. Ce droit n’est pas exclusif de l’usage d’autres langues, régionales ou étrangères, dans un pays riche de sa diversité.
Ciment de la société, la langue française est un sujet sensible chez nombre de nos concitoyens. Le soin que nous prenons collectivement de notre langue contribue au lien républicain.
Pour aller plus loin :
Langue de la République, passion nationale, sujet de débats, vecteur de lien social... le français fait l'objet de nombreuses attentes citoyennes. Deux entretiens exclusifs avec le linguiste Bernard Cerquiglini et avec Hélène Carrère d'Encausse, Secrétaire perpétuel de l'Académie française, à retrouver dans le Rapport au Parlement sur la langue française 2023.
Pour la DGLFLF, le linguiste Bernard Cerquiglini revient sur la passion historique des Français pour leur langue et explique les débats qu’elle suscite.
« L’identité de la France, disait Michelet, c’est sa langue ; elle est également sa plus noble passion. Religion d’État d’une République laïque, sport national (succès indémodable des concours de dictée), querelle incessante (de l’accent circonflexe à l’écriture inclusive), la langue est le ciment et le seuil de la nation.
Les raisons d’une telle passion sont diverses. Elles sont morales : langue romane germanisée, le français a perdu son lien naturel avec le latin et l’a reconstruit de toutes pièces (orthographe étymologique, etc.) : on révère l’idole dont on est l’artisan. Elles sont politiques : la faveur de l’État, qu’il fût royal, impérial ou républicain, pour la langue fut une constante, de l’édit de Villers-Cotterêts à la Francophonie. Au centralisme étatique répond un monolinguisme impérieux, au mépris du riche patrimoine linguistique national.
Elles tiennent enfin au culte de la norme instauré par la grammaire du XVIIe siècle, repris sans frémir par l’école de la République. Culte social : le « bon usage », pour Vaugelas, était affaire d’élitisme social et de dressage du courtisan. Culte équivoque : l’insécurité linguistique que ressentent tant de Français tient moins aux assujettissements de la monarchie absolue qu’au brouillage de la prescription. Qui aujourd’hui définit la norme ? L’Académie française (de droit), l’école (par fonction), les réseaux sociaux (de fait) ?
Le doute renforce le fantasme puriste et l’idée d’un déclin nourrit une réticence au changement, fait négliger la richesse d’un idiome devenu mondial. Or le français jouit désormais d’une universalité dont Antoine de Rivarol au XVIIIe siècle n’eût pas rêvé : parlé par trois cents millions d’humains, il devrait susciter une affection autrement plus généreuse. L’attachement au français planétaire invite au mouvement, à se déprendre d’un fixisme de la norme, à s’enrichir des variétés et des usages. La langue française, une passion francophone : telle est sans doute la manière la plus honorable de la défendre et de la promouvoir. »
Depuis près de quatre siècles, l’Académie française observe et accompagne l’éclosion puis les mutations de notre langue, avec constance et exigence. Hélène Carrère d’Encausse, Secrétaire perpétuel de l'Académie française, revient sur le rôle de l’institution au sein du débat national souvent vif sur la langue.
Comment expliquez-vous la passion française pour la langue ?
H. C. E. | L’Académie française, qui reçoit nombre de questions linguistiques, est bien placée pour constater que notre langue n’est pas l’objet d’un consensus béat ou, pire encore, d’une pratique figée et mécanique. Parler, écrire dans une langue suppose d’être ouvert à ses possibilités, d’en apprécier la justesse, les nuances, les difficultés. Le français, depuis qu’il s’est extrait du grec et du latin, n’a cessé de se construire entre raison et sentiment, et de se nourrir de vives querelles. Le français n’est pas une langue acquise, mais une langue composée – pour paraphraser Mona Ozouf – par ceux qui la pratiquent et y réfléchissent.
De quelle autorité l’Académie française dispose-t-elle ?
H. C. E. | La longévité de l’Académie française lui confère le recul nécessaire pour mettre en perspective les mouvements passagers qui déstabilisent parfois les locuteurs d’une langue. Au-delà des idéologies, des dominances géopolitiques qui veulent imposer, l’Académie se contente de recueillir : sa tâche est de dégager un usage commun du français. Elle énonce des règles et des recommandations qui guident cet usage, au sein de son dictionnaire, et même en dehors s’il le faut, comme l’autorité souveraine qu’elle est en la matière. C’est une semblable exigence pédagogique qui la conduit à créer en 2019 un portail numérique rassemblant les neuf éditions historiques de son dictionnaire : trois siècles et demi de mutations de notre langue sont ainsi offerts à la connaissance de tous.
Quel est son rôle face aux évolutions de la langue ?
H. C. E. | La langue française évolue ; est-elle pour autant défigurée ? En matière de langue, l’Académie française se garde bien d’intervenir ; elle veille simplement à ce que le français conserve sa cohérence, dans la mémoire de son histoire. Plus que tout, elle fait en sorte de préserver la continuité linguistique entre les générations. La langue n’est nôtre et ne survit que si elle peut être transmise et susciter un désir créatif. Dès lors que ces deux conditions sont menacées, l’Académie a la responsabilité d’alerter d’un péril possible.
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