Musique et innovation, même combat ? Pour le Centre national de la musique, opérateur du ministère de la Culture et acteur essentiel de l'écosystème du secteur, la réponse est oui. Pour preuve, il n'y a qu'à consulter la liste de ses initiatives dans ce secteur : du CNMlab, son laboratoire d’idées, au prix de l’innovation dans la musique en passant par un soutien annuel de près de deux millions d’euros et des rendez-vous d’orientation pour les professionnels de la filière, son accompagnement est diversifié autant que substantiel.
Pour autant, l'institution veille à ce que la protection des œuvres, des créateurs, mais aussi du public, soit bien prise en considération en amont par les professionnels de l'innovation. En marge du forum Entreprendre de la culture qui a ouvert ses portes le 4 juillet à l'école nationale supérieure d'architecture de Paris-Belleville, nous nous sommes entretenus avec Romain Laleix, directeur général délégué du Centre national de la musique.
L’un des thèmes du forum Entreprendre dans la culture est cette année « musique et innovation ». En quoi ce thème fait-il sens ?
Si on regarde l’histoire de la musique, on constate que musique et innovation ont toujours été étroitement liées. Il n’est qu’à prendre l’exemple des modes de production de la musique : ils ont toujours été impactés par l’innovation, à commencer par les instruments de musique eux-mêmes.
De plus, la musique est souvent aux avant-postes des révolutions technologiques qui ont bousculé les industries culturelles, on l’a vu avec le dossier de la numérisation, mais également celui du partage de fichiers. En vérité, les résonances entre musique et innovation sont si nombreuses qu’on peut dire que l’une ne va pas sans l’autre.
Comment le Centre national de la musique conçoit-il son rôle en matière d’innovation ?
En tant qu’opérateur du ministère de la Culture, notre mission est d’accompagner les professionnels de la musique et des variétés, ce que nous faisons principalement à travers trois actions qui se déclinent dans différents champs, dont celui de l’innovation.
Nous avons en premier lieu une importante activité d’étude et d’observation. Nous avons ainsi créé le « CNMlab » qui réunit une vingtaine de scientifiques et d’universitaires de tous les domaines qui travaillent sur les grands enjeux de la musique. Nous intervenons ensuite dans l’économie de la musique pour l’orienter vers les priorités en matière de politique publique – l’innovation bien sûr en est une.
Ceci à travers deux leviers. D’une part, un levier financier – dans le champ de l’innovation, notre aide s’élève à près de deux millions d’euros par an –, d’autre part, à travers la mise en place d’opérations d’orientation et d’informations à destination des professionnels de la musique et des variétés. Notre parcours innovation commence du reste par ces rendez-vous de conseil. Si le projet est mûr, il peut être proposé à une commission d’aide financière. Nous remettons enfin trois Prix de l’innovation dans la musique – ils récompensent trois projets qui nous ont été soumis dans le cadre de la commission – lors des rencontres du même nom qui se tiennent chaque année.
Y a-t-il un élément qui fédère ces différents modes d’intervention ?
Les professionnels de l’innovation et de la musique se sont longtemps vécus comme appartenant à des mondes différents. Notre objectif est de les faire travailler ensemble pour que l’innovation naisse avec le souci de prendre en considération la protection des œuvres, des créateurs, mais aussi du public. Les enjeux de ces politiques publiques ne sont pas des contraintes pour l’innovation, ils peuvent au contraire être des accélérateurs de développement.
On l’a vu avec de nombreux projets dont nous avons aidé la conception ou accéléré le développement, comme vrroom qui est un projet de métavers et de réalité virtuelle dans le champ musical. Le premier prix de l’innovation est allé cette année à Music Tomorrow, une société passionnante qui permet aux artistes et aux labels d’avoir une meilleure compréhension des données pour favoriser leurs investissements (voir notre article), le second, au projet Groover qui est une plateforme de mise en relation et de promotion musicale, le troisième enfin au projet Sound X qui favorise une expérience sonore pour les sourds et malentendants.
Quels sont les chantiers sur lesquels vous travaillez en ce moment ?
Le premier est celui de l’intelligence artificielle. Je pense notamment au « sped-up », ce mode de diffusion qui consiste à écouter de la musique en version accélérée qui aboutit à la diffusion massive d’œuvres sans l’accord et sans rémunération des ayants droit. On a un vrai point de vigilance sur ces évolutions techniques qui représentent un potentiel important mais aussi des risques pour nos métiers. Nous avons ensuite la chance d’être dans le pays qui a inventé le droit d’auteur et qui abrite le leader mondial de la gestion de droits, la Sacem. Dans la perspective des enjeux de « France 2030 », nous avons la volonté de renforcer cette position grâce à l’innovation.
Enfin concerne les grands enjeux de transformation, en particulier dans le champ de la transition écologique. L’innovation peut être un levier incomparable de transition et de transformation. Nous avons une feuille de route et des groupes de travail qui se réunissent sur ces questions. Nous avons également mis en place un fonds dédié aux diffuseurs de spectacle et de festivals doté de 30 millions d’euros. Ce fonds répond à la même logique que notre aide à l’innovation : inciter les entreprises à se transformer, à innover, à repenser leurs modèles pour le rendre plus vertueux, performant, et donc plus durable. Tout l’enjeu est de rendre possible cette équation qui doit nous permettre à la fois de créer, de produire et de le faire dans des conditions qui ne dégradent pas l’équilibre écologique et ne participent pas du réchauffement climatique.
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