Dans le domaine de l’information peut-être plus qu’un autre, le choix des mots et leur compréhension sont primordiaux. À l’ère du numérique, dans une sphère médiatique qui s’est élargie, où les sources d’information deviennent de plus en plus nombreuses et les contenus abondants et instantanés, le recueil publié par la Commission d’enrichissement de la langue française de la Délégation générale à la langue française et aux langues de France du ministère de la Culture permet de remédier à certaines dérives en utilisant des mots clairs et précis pour déchiffrer le monde qui nous entoure.
Cet ouvrage présente ainsi soixante mots du vocabulaire de l’information, de ses acteurs et du numérique. Il propose des équivalents en langue française d’anglicismes tels que fake news, story ou greenwashing. Il s’adresse aussi bien à des élèves que des enseignants, des journalistes ou de simples citoyens, afin de leur apporter la rigueur nécessaire. Un outil dont pourrait bien s’emparer les différentes rédactions du groupe France médias monde qui réunit 33 chaînes et des offres numériques dont France 24, RFI, et la radio en langue arabe Monte Carlo Doualiya, trois médias qui émettent en 21 langues à l’échelle mondiale et comptent 64 nationalités parmi leurs salariés. Dans cet univers multilingue, le groupe s’est donné pour mission de porter une attention particulière à la francophonie en général et à la pratique du français en particulier. Explications avec Cécile Mégie, directrice des stratégies et coopérations éditoriales transverses chez France médias monde.
Le recueil paru le 20 mars dernier comporte 60 mots traitant de l'information et de la désinformation. En quoi est-il utile au sein des rédactions de France médias monde, où la question de la langue est très prégnante ?
Nous attachons une très grande importance à la maîtrise et la pratique d'un français précis, expert et actuel sur nos antennes car il est important de répondre aux attentes d'un public francophone. Nous avons la volonté de promouvoir un français en mouvement qui se détache des anglicismes. Pour nous, la terminologie francophone est importante et donc des outils d'aiguillage vers une francophonie bien maîtrisée nous semblent extrêmement utiles. Ce recueil peut donc être consulté par nos journalistes qui font un effort pour utiliser des équivalents francophones de certains anglicismes qui, presque subrepticement, se faufilent dans notre pratique quotidienne.
Une soixantaine de mots ont été sélectionnés dont certains vont très loin dans la pratique journalistique et informationnelle. Parmi eux, « infox » (équivalent français de fake news ndlr) s'est vraiment imposé et est aujourd’hui utilisé de façon courante dans la sphère médiatique. Pour d’autres, la bonne attitude à avoir peut-être de faire voisiner les deux termes anglais et francophone pour bien faire comprendre la correspondance ou aller sur des locutions plus descriptives comme « manipulation de l’information » par exemple pour « infox ». Cela permet d'avoir un langage accessible au public car l’enjeu reste d'être compris par le plus grand nombre.
Votre groupe émet dans une très vaste zone d’audience dont certaines parties sont soumises à la désinformation et à la restriction d’information. Comment vous êtes-vous emparé de ces sujets ?
Nous comme confrontés, comme l'ensemble des médias, à un déferlement d'infox de par la multiplication des supports numériques et l'anonymisation qui existe sur les plateformes numériques. Nous nous sommes donc mis en ordre de bataille de manière à pouvoir les traiter. Le terme de « debunkage » (analyser une information et à montrer en quoi elle est erronée ou trompeuse ndlr) est essentiel : il s’agit à la fois de pointer une fausse information et de décrypter à quelle fin elle a été diffusée, par qui, et les mécanismes qui ont été mis en place par l'auteur ou les auteurs de cette manipulation.
Ce travail ne date pas d’hier mais est monté en puissance dans nos rédactions et dans toutes les langues. France 24 a créé il y a maintenant près de dix ans les Obs dans ses quatre langues (français, anglais, arabe et espagnol) qui s'est clairement orienté vers le décryptage, la chasse aux fausses informations et l'explication des détournements d'images et de voix. RFI a mis en place Info Vérif, une cellule de journalistes spécialisés dans la veille, le décryptage et la correction de contenus sur nos antennes ou sur nos supports numériques. Nous avons aussi une émission et une chronique qui s'appellent « Les dessous de l'infox » où l’on explique la manipulation de certaines infos et donne des outils. Nous sommes enfin en lien avec Radio France et France Télévisions et nous faisons apparaître certains de leurs contenus sur nos antennes, notamment sur France 24, et vice-versa avec nos contenus en français (car nous produisons de l’information en 21 langues au total à l’échelle du monde !). Tous ces outils permettent aux auditeurs, internautes et téléspectateurs d’être à même, dans une démarche citoyenne, de décrypter le vrai du faux.
Enfin, face aux restrictions, aux censures, nous déployons par ailleurs des stratégies de contournement (entre autres les ondes la diffusion en ondes courtes, VPN, sites miroirs avec RSF…) pour permettre à tous d’accéder à une information libre et indépendante.
Quelle est selon vous l'importance de bien choisir les mots que l'on emploie dans les métiers de l'information ?
C'est la nature même du travail du journaliste, et cela participe du devoir de l'information, que de choisir le mot juste, de façon à ce le public soit le mieux informé possible. Il y a une économie de mots, que ce soit en presse écrite, en audiovisuel et encore plus sur des supports numériques et ne pas utiliser le mot juste revient, d'une certaine manière, à ne pas bien nommer les choses, à déformer la réalité alors que le métier de journaliste est justement de décrire, de constater et de rapporter des faits précis et de les vérifier. Car comme le disait Camus : « Mal nommer les choses, c’est ajouter du malheur au monde ».
Nous sommes d’autant plus attachés à l’utilisation du mot juste que nous développons depuis de nombreuses années au sein de France médias monde des méthodes d’apprentissage du français, qui se déclinent sur un site spécifique mais aussi sur les antennes de RFI avec le journal en Français facile, la chronique « les mots de l’actualité », ou bientôt « les mots de l’olympisme.
En quoi l’éducation aux médias et à l’information (EMI) est un enjeu capital, notamment pour la jeune génération ?
La démultiplication de des supports et des sources, la propagation de l'information sur des plateformes dont certaines sont assez obscures sur la mise en avant de tel ou tel de leur contenu, les bulles informationnelles créées par les algorithmes… Tout ce contexte fait qu’il est, et a fortiori pour un média de service public comme le nôtre, pleinement notre mission que d'aller vers les publics pour leur donner les clés de compréhension de la fabrication de l'information. Il faut faire comprendre qu’elle a une valeur, qu’elle n'est ni de la communication, ni de l’opinion, ni de « l'influence » et qu’elle répond à des critères déontologiques, éthiques et professionnels que nous pratiquons au sein de nos rédactions.
Ainsi, nos journalistes sortent de nos rédactions, vont dans les classes pour expliquer et parfois créer des contenus avec les élèves. Nous déployons un dispositif de formation et de sensibilisation des élèves et de très nombreux professeurs par an que l’on aide pour monter des programmes d'éducation aux médias et à l'information. Pour eux c'est extrêmement précieux d'avoir, en plus de leur capacité pédagogique, les outils et le regard des professionnels sur ces questions-là. Chaque année, à l'occasion de la Semaine de la presse et des médias dans l'École, nous proposons un module vidéo appelé « Info ou Intox » réalisé par les Obs de France 24 comme ressource pédagogique pour les classes sur la manipulation de l'info qui montre des outils assez simples et accessibles comme la recherche inversée pour une image afin de lui redonner du contexte. C’est l’une des ressources les plus appréciées parmi les contenus mis à disposition par le CLEMI avec qui nous travaillons étroitement.
Mais ces actions ne doivent pas toucher uniquement le jeune public…
On sait qu’il est important d'avoir ce type d'actions à l'égard des personnes adultes qui ont également découvert tout cet environnement informationnel ces dernières années. Nous avons une démarche de cet ordre-là sur nos antennes comme RFI par exemple avec une rubrique qui s'appelle « Pourquoi RFI dit ça », le podcast (audio à la demande ndlr) « Témoin d’actu » mis à l'antenne, et « L'atelier des médias », une émission hebdomadaire qui raconte la façon dont les rédactions travaillent.
Les études dans le monde entier montrent qu'il y a une défiance vis à vis des médias installés et professionnels. On ne peut pas se voiler la face et face à ce constat, il nous semble important d’entrer en interaction avec les publics pour rétablir cette confiance. Raconter et expliquer, décrypter comment on fabrique l'information et quelles sont les difficultés qu'un journaliste rencontre sur le terrain, de la sécurité à la protection des sources en passant par l'utilisation d'outils numériques qui peuvent représenter un danger dans certaines zones : tout cela nous semble essentiel.
Cinq mots de l’information en langue française
• Audio (à la demande) au lieu de podcast : contenu audio mis à la disposition du public dans l’internet.
• Infox, information fallacieuse au lieu de fake news : information mensongère ou délibérément biaisée.
• Mot-dièse au lieu de hashtag : suite signifiante de caractères sans espace commençant par le signe # (dièse), qui signale un sujet d’intérêt et est insérée dans un message par son rédacteur afin d’en faciliter le repérage.
• Vérification des faits au lieu de fact checking, reality check : vérification, le plus souvent par des journalistes, de l’exactitude de faits énoncés publiquement, notamment dans les médias.
• Haineur, -euse, fauteur, -trice de haine au lieu de hater : personne qui utilise la toile et les réseaux sociaux pour inciter à la haine envers un individu ou un groupe.
Partager la page