C’est l’un des marqueurs les plus significatifs de la politique culturelle des années 1980. La Fête de la musique, dont un colloque, organisé le 16 juin au Théâtre national de l’Opéra-Comique, à Paris, par le ministère de la Culture (comité d’histoire et délégation à l’information et la communication), vient de célébrer le quarantième anniversaire, n’en finit pas de susciter intérêt historique et engouement collectif.
Comme tant d’initiatives conçues à cette époque, que documente la somme passionnante sur les Années Lang, une histoire des politiques culturelles 1981-1993 publiée par le Comité d’histoire du ministère de la Culture, l’événement fait apparaître une rupture radicale avec les conceptions traditionnelles de la politique culturelle : pour la première fois, il s'agit, selon Jack Lang, de donner le « pouvoir culturel » aux citoyens eux-mêmes.
Pourtant, la Fête de la musique, comme toute initiative majeure, n’est pas tombée du ciel. L’un des grands mérites du colloque des 40 ans est de remettre en perspective, à travers notamment le témoignage des principaux acteurs, dont celui de Jack Lang, alors ministre de la Culture, le bouillonnement d’idées et le foisonnement d’initiatives qui ont abouti au développement de cet événement inédit dans l’histoire des politiques culturelles.
Dans les coulisses de la première Fête de la musique
C’est l’édition 1982 de l’enquête du ministère de la Culture sur les pratiques culturelles des Français, qui a constitué l’un des déclencheurs de l’événement. « Cette enquête dévoilait que cinq millions de personnes, dont un jeune sur deux, jouaient d’un instrument de musique », rappelle Maryvonne de Saint-Pulgent, présidente du Comité d’histoire du ministère de la Culture. « Ce fut un choc, confirme Alain Surrans, directeur général d’Angers Nantes Opéra, ancien collaborateur de Maurice Fleuret, directeur de la musique et de la danse à l’époque, Maurice Fleuret s’est aperçu que la musique était au cœur de la vie des Français. Il était impossible d’en rester là. C’est ainsi qu’est née la Fête de la musique » (voir notre article).
L’impulsion politique était donnée. Restait à transformer un concept innovant en réalisation concrète. « Nous avons mis sur pied une administration de projet, se souvient Jean Carabalona, inspecteur général de la création et des enseignements artistiques, ancien collaborateur de Maurice Fleuret, la mobilisation a été extraordinaire, il y avait une prise de risque, on se demandait si ça allait marcher ou pas. La Fête de la musique a réussi le pari de la démocratisation ». Le 21 juin 1982, la première édition est un tel succès (voir encadré) – Alain Surrans se souvient des communiqués épinglés sur un tableau annonçant des fréquentations record au fur et à mesure de la soirée – que, dès la deuxième édition, un « véritable QG » est mis en place. Avec un enjeu majeur : mobiliser l’ensemble de l’organisation territoriale, directions régionales et délégués départementaux en tête, pour, selon Alain Surrans, « répandre la Fête de la musique partout en France ».
« Nous sommes arrivés en 1994, dit Sylvie Canal, directrice de A Facettes, coordinatrice de la Fête de la musique jusqu’en 2020, si nous connaissions parfaitement la Fête en tant que citoyens, nous n’avions pas idée de ce qui se passait dans les coulisses. La spontanéité doit être organisée. C’est ce que nous avons fait en mobilisant tous les réseaux possibles, notamment les institutions musicales locales pour que la Fête de musique reste la fête des amateurs et celle de la rencontre des amateurs et des professionnels ». Pour elle, la Fête de la musique est « la traduction de notre devise républicaine : liberté, car elle est organisée dans l’espace public, fraternité entre les musiques et égalité car elle est la fête de toutes les musiques et pour tous les publics ».
Le journaliste et réalisateur Jean-Michel Djian revient lui aussi sur « l’esprit républicain » de la Fête de la musique. « Il y avait un foisonnement des pratiques musicales mais aucun catalyseur, dit-il, elles ont été opportunément révélées par la Fête de la musique. La dynamique s’est opérée par cette conjonction entre l’esprit républicain, politique et artistique ».
La Fête de la musique, un concept qui traverse les crises
En 2020, avec la crise sanitaire et les confinement successifs, l’édition de la Fête de la musique a pu sembler compromise. « Une fête suppose des pratiques de sociabilité, elle privilégie la transgression de la norme. Or si l’on se réfère aux règles sanitaires, on peut se demander si la Fête de la musique n’était pas sous contrainte lors des deux dernières éditions », observe Cécile Prevost-Thomas, maîtresse de conférences en musicologie et sociologie de la musique à l’université de la Sorbonne Nouvelle qui, dans le cadre de Musicovid, mène avec Solveig Serre et Luc Robène un projet de recherche permettant de penser les pratiques et expériences musicales en temps de crise sanitaire. Les titres de la presse sont d’ailleurs éloquents : « Elle est où la Fête de la musique ? », « la Fête sans la fête », « une Fête de la musique sans musique », « la Fête de la musique est tombée à l’eau ».
Pour autant, la Fête de la musique a réussi à s’adapter. « Du côté des professionnels, la crise a accéléré un mouvement de déplacement des pratiques de la rue vers les plateaux de télévision ou les salles ». Et du côté des publics, s’il y a bien eu des « actes de résistance », notamment à travers des pétitions, les innovations ont été de mise : certaines, comme les « playlists collaboratives » jouant la carte du numérique, d’autres la dépassant : « Les gens ont chanté dans les cours d’immeubles ou au balcon ».
Une chose est certaine. Tous sont attachés à l’événement. Les réponses à l’enquête que Cécile Prevost-Thomas vient de mener dans le but de cerner la place de la Fête de la musique dans la vie des Français sont éloquentes. Quelle serait selon vous une Fête de la musique idéale ? demande l’universitaire. Une jeune femme de 21 ans souhaiterait que la journée se poursuive jusqu’au lendemain, un homme du même âge parle d’un événement qui s’inspirerait de la Nuit blanche, une femme de 71 ans souhaiterait que les pratiques amateurs soient privilégiées.
Quand Villeurbanne s’empare de la Fête de la musique…
Villeurbanne : 150 000 habitants, capitale française de la culture en 2022, ville qui héberge entre autres le Théâtre national populaire et la maison du livre, de l’image et du son, mais qui « n’a jamais participé à la Fête de la musique jusqu’à présent », souligne malicieusement Bernard Sevaux, son directeur de la culture. Sauf que… En 1977, lorsque Charles Hernu en est élu maire, il lance « Villeurbanne en fête », manifestation qui convie les administrés à des concerts gratuits et célèbre la vie associative au moment du solstice d’été. La tradition perdure et « Villeurbanne en fête » se transforme en « Les Eclanova ». La « vraie » Fête prend aujourd’hui le relais. Avec un maître-mot, l’espace public. « Nous faisons le pari de livrer l’espace public aux musiciens amateurs pour avoir des rencontres impromptues, détaille Bernard Sevaux. Et nous jouons la carte de la complémentarité avec la ville de Lyon. Cette année, nous aurons sur le territoire des deux villes le plus grand axe piétonnier de France. De notre côté, il n’y aura aucune scène, seulement des tables avec des nappes vichy. Au public ensuite d’investir le lieu ! ».
L’événement est emblématique d’une politique qui fait de « la participation du plus grand nombre à la vie culturelle » son enjeu central. Dernier exemple en date, le projet « Place aux jeunes ». « Pendant quinze jours, 150 jeunes ont construit un festival gratuit de A à Z dans l’espace public. On leur a donné les clés du camion afin qu’ils comprennent en quoi consiste la coproduction d’événements culturels ». Autre exemple : pendant cette édition de la Fête de la musique, aura lieu un « minimixe », dispositif spécifique d’éducation artistique et culturelle. « 12 000 jeunes seront réunis pour un concert de cris. Ils ont travaillé pendant six mois, ils ont fait leurs costumes, leurs instruments, les écoles de musique ont participé au projet auprès des écoles. C’est le cri de l’avenir », s’enthousiasme Bernard Sevaux, qui veut en faire « une structure pérenne ».
Un modèle qui séduit à l’international
« Comment l’idée d’un homme a-t-elle réussi à devenir une journée mondiale ? Cela reste encore un mystère », questionne Charatini Karakostaki, sociologue à l’université de Liège. Une chose est certaine cependant : l’instance à l’initiative de l’événement n’est pas la même en France et à l’étranger. « En France, c’est l’État, tandis qu’à l’étranger, ce sont des fondations, des associations, des personnalités. La Fête de la musique aura toujours une signification différente en France, il n’est pas étonnant qu’on la compare parfois à la fête nationale ». Qui plus est, si on considère que la Fête de la musique « promeut un idéal », alors celle qui a lieu chaque année au premier jour de l’été est exemplaire. « La musique n’exclut personne. Il y a une visée politique d’inclusion et d’ouverture qui a été une étape cruciale dans l’histoire des fêtes publiques européennes », poursuit la sociologue, qui cite la capitale européenne de la culture, la Techno parade, la Love parade, la Nuit blanche, le festival des allumés à Nantes, Lille 3000, les festivités pour commémorer le Mur de Berlin…
Berlin justement, qui, après Athènes, première ville en Europe, et Munich, première ville en Allemagne, à avoir organisé la Fête de la musique, est depuis 1995 une fière ambassadrice de l’événement. « Les gens sortent par milliers, se félicite Björn Döring, son coordinateur, le département de la culture du Sénat de Berlin est étroitement associé à l’organisation, Musicboard Berlin assure le financement. Tout le monde est impliqué, les associations, les écoles de musique, le voisinage, c’est fabuleux ». En vérité, toute l’Allemagne est aujourd’hui au rendez-vous de la Fête de la musique. « La manifestation a lieu dans 80 villes mais ce chiffre est toujours en évolution, témoigne Gunnar Geßner coordonnateur de l’événement. Aujourd’hui, l’un des enjeux est d’en faire un événement pleinement éco-responsable ».
Dernier témoignage, celui d’Aaron Friedman, musicien, heureux fondateur de « Make Music New York », la Fête de la musique à New-York : « La ville de New-York était ouverte à nos idées et nous a facilité les choses. Au fil des éditions, nous avons noué des partenariats avec des entreprises, explique celui qui est aussi président de Make Music Alliance qui promeut la manifestation aux États-Unis, c’était un atout, Make Music Alliance compte 105 villes à travers le pays. Pour les quarante ans de la manifestation en France, nous allons mettre à l’honneur des compositeurs français. Nos musiciens aussi vont descendre dans la rue ! ».
Document : le communiqué de presse se félicitant du succès de la première Fête de la musique
C’est un document rare : le communiqué de presse adressé le 22 juin 1982 par Jack Lang, ministre de la Culture à l’époque, pour annoncer la tenue de la deuxième édition d’un événement qu’il vient de lancer la veille : la Fête de la musique.
« Jack Lang, Ministre de la Culture, adresse un salut amical à tous les amoureux de la musique qui se sont ligués pour faire de l’An I de la Fête de la Musique une belle réussite. Il leur donne rendez-vous le 21 juin 1983 au Solstice d’été pour faire de l’An II de la Fête de la Musique une plus grande réussite encore.
Dans l’intervalle, le Ministère de la Culture multipliera les occasions de rencontres et d’échanges et poursuivra avec obstination le développement de l’enseignement et de la pratique musicale en France. »
Partager la page