L’année 2023 sera incontestablement marquée par le quatrième centenaire de la naissance de Blaise Pascal. Écrivain, moraliste, mathématicien, physicien, inventeur, cet « effrayant génie », selon le mot de Chateaubriand, né le 19 juin 1623 et mort prématurément à l’âge de trente-sept ans, a écrit une œuvre dense et diverse, qui n’en finit pas d’interroger l’homme du XXIe siècle. Nous aurons l'occasion d'y revenir.
Pour autant, les commémorations de l’année 2023 ne s’arrêtent pas là, loin s’en faut (voir notre encadré). Nous nous sommes attachés à trois personnalités phares de la création au féminin, dont les parcours, parfois semés d’embûches, sont aussi passionnants qu’étonnants. Il s’agit d’une comédienne, d’une écrivaine et – plus méconnue – d’une pionnière du cinéma.
Sarah Bernhardt, la fameuse tragédienne, dont le génie nous révèle aussi qu’il y eut une préhistoire du « vedettariat » ; Colette, l’écrivaine que Mauriac appelait la « joyeuse ogresse », merveilleuse de sensibilité littéraire ; et enfin Alice Guy, la première réalisatrice de films de fiction, un cas d’école de disparition de la renommée d’une femme, dévorée par celle de Louis Feuillade, et celle de Georges Méliès, qui se sont partagés sans elle la place de pionniers français du cinéma.
Sarah Bernhardt, un «monstre sacré» dans tous ses états
Nul doute qu’en mars prochain, le cortège de personnages auxquels Sarah Bernhardt (1844-1923) prêta son geste et sa « voix d’or » traversera les esprits qui auront la chance de participer aux cinq jours festifs organisés par le collectif « Sarah dans tous ses états », fondé par Laurence Cohen, directrice de la Compagnie à Bulles. Le magnétisme parisien, de l’Espace Cardin au Théâtre de la Ville, du musée Jean-Jacques Henner au théâtre de la Renaissance, du Père Lachaise jusqu’à l’Église Saint-François de Sales, sans parler des autres lieux sollicités, sera de haute intensité, quand les mânes de la « Divine » vont les investir.
Laurence Cohen est habitée par Sarah Bernhardt. Depuis un an, elle s’est mise au défi de réunir tous ceux qui, comme elle, sont amoureux du monstre sacré. Ils participeront à un hommage foisonnant, qui par une lecture, qui par une conférence, un « cortège historique », un concert à l’Orangerie, un dîner spectacle au menu « Sarah Bernhardt », un bal « Belle Époque » à la mairie du 9e arrondissement… Cinq jours (22-26 mars) consacrés à la grande Sarah par ce collectif de 65 partenaires, suivis, à Belle-Île-en-mer, de huit journées (30 avril-8 mai). A Belle-Île en effet se trouve la maison fascinante de l’artiste, labellisée « Maison des Illustres » par le ministère de la Culture.
Bref, une brassée d’événements amoureux en l’honneur de celle qui électrisa les plateaux, dont les ondes se propagent encore autour de son théâtre, au Châtelet. Il faut rappeler que c’est par les Nazis qu’il fut débaptisé et qu’ainsi, s’il retrouve son nom avec sa réouverture après travaux, ce n’est pas seulement une question de mémoire.
De son côté, le Petit Palais, musée des Beaux-arts de la Ville de Paris, auquel la Bibliothèque nationale de France et le musée Carnavalet apportent leur concours, ne sera pas en reste, puisqu’il va offrir au public un aperçu complet et exceptionnel de la vie et de l’œuvre de Sarah Bernhardt (1844-1923). Près de 400 œuvres exposées pour donner une idée du succès de l’interprète mythique des plus grands dramaturges sur les scènes du monde entier (costumes de scène, photographies, tableaux, affiches), mais aussi de ses talents de sculptrice et de sa vie intime : son intérieur, sa garde-robe, son goût pour les excentricités et les bizarreries.
L’expo, intitulée Et la femme créa la star (Jean Cocteau inventa pour elle l’expression « monstre sacré »), montrera, autour notamment du portrait étonnant peint par Georges Clairin, un phénomène neuf, à savoir l’essor d’une renommée mondiale qui, pourtant, n’a rien eu à devoir à l’industrie cinématographique ni à l’aviation.
Muriel Mayette-Holtz, ancienne administratrice de la Comédie Française, actuelle directrice du Théâtre national de Nice et académicienne, s’est joint au collectif « Sarah dans tous ses états ». Elle lira, à l’Espace Cardin le 22 mars, un texte étonnant signé Sarah Bernhardt, les Impressions d’une chaise, récit plein d’humour d’un voyage en ballon vécu en 1878. « Le métier de comédien au théâtre est un métier d’artisan, nous rappelle-t-elle. Il y faut de la santé, de la mémoire, une voix, un corps, et puis ce qu’on a en soi… le talent : une dimension humaine, une dimension de l’âme que Sarah Bernhardt avait, incontestablement. Ses interprétations de Racine, de Hugo et de Rostand ont laissé une impression tellement forte qu’on en parle encore. Elles ont disparu de nos oreilles et de nos yeux, mais pas des esprits ni de notre imaginaire. C’est un tour de force qui tient aussi à sa personnalité, qui exprimait la liberté, l’excès, l’incontrôlable, l’affirmation de soi et, au fond, un féminisme éclatant. »
Parmi les centaines d’ouvrages sur Sarah Bernhardt, on pourra distinguer celui qu’écrivit Françoise Sagan, et visionner son entretien sur le sujet, conservé par l’INA, avec Bernard Pivot (1987). A signaler également l’excellente émission de France Culture sur la déclamation de Sarah Bernhardt (la comédienne fit enregistrer sa voix sur les tous premiers cylindres de la Belle Epoque).
De la Bourgogne à la vie parisienne, les ressources inépuisables de l’œuvre de Colette
Son œuvre, aussi populaire qu’exigeante, occupe quatre tomes dans la Bibliothèque de la Pléiade. Sa vie est connue, elle ne manque pas de panache : nègre de son premier mari qui lui fit découvrir la vie parisienne, puis danseuse et pantomime au music-hall, amante volage de « Missy » (Mathilde de Morny), plus tard remariée par deux fois (elle s’installe au Palais-Royal en 1938) et revenue à la littérature, unanimement respectée, admirée de Mauriac et d’Aragon, elle préside le jury du prix Goncourt de 1949 à sa mort, en 1954. Elle fait l’objet d’obsèques nationales, première femme à recevoir cet honneur.
S’il fallait s’en tenir aux preuves d’amour de ses lecteurs, il suffirait de s’intéresser à l’histoire de la maison bourguignonne où Colette (1873-1954) vécut jusqu’à l’âge de 18 ans. Rachetée en 2011 par l’Association « La Maison de Colette », elle reçoit le label « Maison des Illustres » du ministère de la Culture. Après cinq années d’un chantier formidable de restitution historique, c’est aujourd’hui une véritable « Maison-Livre ». Preuve, en effet, d’une fine fréquentation de l’œuvre par ses passionnés, puisque de son premier texte (Claudine à l’école, 1900) jusqu’à son dernier (Ces dames anciennes, 1954), en passant par La Maison de Claudine (1922) et Sido (1930), Colette fit de sa maison perdue l’un de ses personnages les plus forts. « La couleur et le motif d’un papier peint, le détail d’une gravure, la forme d’un objet, pièce après pièce, jardin après jardin, Colette aura pendant près d’un demi-siècle cherché à recréer par l’écriture le paradis qu’on lui avait volé à l’âge de dix-huit ans. »
C’est de cela qu’entre autres thèmes, et notamment celui de la femme libre, Frédéric Maget, président de la Société des amis de Colette et directeur de sa Maison, est venu conférer sous la coupole de l’Institut, le 28 janvier dernier (jour de naissance de Colette), avec Antoine Compagnon, Valérie Aubert et Chantal Thomas. France Mémoires y a dévoilé le programme des événements prévus en France et en Europe, mis en ligne sur le site des Amis de Colette. A signaler : l'exposition de la Fondation Jan Michalski (Suisse), qui a débuté le 13 janvier. D'autres expositions seront proposées, par exemple au musée Richard Anacréon de Granville, à Châtillon-Coligny, dernier lieu de vie de la famille Colette dans le Loiret, et à Besançon où Colette et Willy possédaient le domaine des Monts-Bouccons. Des événements (lectures, projections, conférences) auront lieu un peu partout en France, mais aussi en Europe (Italie, Allemagne, Pays-Bas, Espagne, etc.) et dans le monde (New York, Hong-Kong, Beyrouth).
Enfin, par delà les commémorations, une rencontre approfondie de l'auteur, outre la lecture de ses œuvres, gagnera beaucoup à la découverte du Musée Colette, labellisé Musée de France par le ministère de la Culture, et à la Maison de Colette, Maison des Illustres, tous deux justifiant le voyage jusqu'à Saint-Sauveur-en-Puisaye !
Parmi les événements, les parutions et les rééditions de l’œuvre de Colette, on notera la nouveauté d’un volume de la Bibliothèque de la Pléiade recueillant les romans les plus célèbres. On pourra aussi s’intéresser à Mes vérités, le livre d’entretiens que la romancière avait donné à André Parinaud en 1949. Ne pas manquer, également, le dossier du dernier numéro de la Revue des deux mondes, ni la parution de Notre Colette, un portrait de Colette par ses lectrices, de Frédéric Maget (rencontre et lectures de texte par Sabine Haudepin le 8 février à la librairie Delamain).
Alice Guy, la redécouverte d’une figure majeure du cinéma naissant
Son œuvre et son histoire ont été redécouvertes, et ont donné lieu à des livres, plusieurs documentaires et des émissions radiophoniques. Mais l’hommage le plus réparateur a été peut-être, en 2018, de créer, grâce à la journaliste Véronique Le Bris, un prix de cinéma à son nom.
La cérémonie de la remise de ce prix, qui se tient en avril au cinéma Max Linder, commence toujours par une première partie consacrée à la mémoire de cette grande personnalité méconnue : projection de films retrouvés, conférences ou témoignages qui font l’actualité d’Alice Guy (1873-1968). Cette année, à l’occasion des cent cinquante ans de l’artiste, Véronique Le Bris aura à cœur de réserver au public quelques bonnes surprises éditoriales, et contribuera (espérons que d’autres l’imiteront !) à commémorer la vie et l’œuvre d’Alice Guy comme elles le méritent.
Qu’on en juge ! Enfant au Chili, adolescente à Paris, orpheline chargée de famille qui se forme à la sténotypie pour trouver un salaire, secrétaire de Léon Gaumont à vingt-ans (et témoin des premières projections des frères Lumières), Alice Guy devient la première productrice, scénariste et réalisatrice d’œuvres de fiction (dès 1896), puis directrice de la production cinématographique chez Gaumont, dans ses ateliers des Buttes-Chaumont (qui produisent des films sonores, les phonoscènes, à partir de 1902). Dirigeant ainsi ses propres réalisations et prenant une part de premier plan à la naissance de l’industrie cinématographique, elle prend le temps aussi de former Louis Feuillade.
Mais sa carrière ne s’arrête pas là. A la suite d’une idylle vécue à Berlin avec Herbert Blaché, un opérateur anglais de la succursale Gaumont de Londres, qu’elle épouse en 1907, son patron l’envoie avec lui aux Etats-Unis pour y promouvoir le phonoscène. Elle laisse alors sa place à Louis Feuillade. Mais elle fonde bientôt sa propre société de production à New York (« Solax Film Co », en 1910). On recense plus de 500 œuvres à son actif, dont il ne reste plus aujourd’hui qu’une cinquantaine à travers le monde, avec au moins deux chefs-d’œuvre, une Vie du Christ, d’un métrage, fort long pour l’époque (1906), de 35 minutes, qu’on regarde comme le premier peplum de l’histoire mondiale du cinéma et The Lure, un triomphe au box-office en 1914, dont, jusqu’à présent, on n’a pas retrouvé une seule copie.
Femme respectée par une profession où elle excelle et où elle transmet (« Be natural » fait-elle afficher dans ses studios), personnalité célèbre et influente (elle lance la première star du cinéma, bien oubliée aujourd’hui : Olga Petrova), tout lui réussit sur la côte Est, dans ces premiers temps du cinéma américain, y compris ses deux maternités. Arrivent alors les années 20. Abandonnée par son mari pour une comédienne qu’il a emmenée à Hollywood, où migre la production cinématographique américaine, elle va elle-même le retrouver en Californie, sans parvenir à sauver son couple ni renouer avec ses succès professionnels. Elle choisit de revenir en France, où elle passera le reste de sa vie à disparaître, malheureusement, des mémoires. On ira jusqu’à attribuer ses films à ses collaborateurs, qui laisseront faire…
Source disponible intégralement en ligne : Le Jardin oublié, documentaire canadien de 1995 (extraits d’entretien d’Alice Guy, participation de sa famille américaine, de Nicolas Seydoux, PDG de Gaumont, et d’historiens américains du cinéma.)
France Mémoire : les temps forts 2023
Depuis 2021, les commémorations nationales sont une mission confiée à l’Institut de France. Son service dédié, « France Mémoire », élabore un calendrier annuel des anniversaires marquants de l’histoire de France. Nourrir notre mémoire nationale, la fonder sur des connaissances historiques solides et l’ouvrir aux débats éclairés des spécialistes, tel est l’essentiel de sa mission.
Comme Molière ou Proust en 2022, Blaise Pascal, dont on fêtera en juin le quatrième centenaire, occupera cette année une très large place dans les commémorations nationales. Nous reviendrons sur l’auteur des Provinciales et des Pensées, mathématicien et inventeur de génie.
Parmi les personnalités dont on commémorera l’anniversaire, citons la naissance de Marguerite de France (1523), du graveur Robert Nanteuil (1623), de la mathématicienne et astronome Nicole-Reine Lepaute (1723), d’Ernest Renan (1823), de Charles Péguy (1873), d’Elie Faure (1873), et du mime Marceau (1923).
L’année 2023 sera également la date-anniversaire de la mort de Gustave Eiffel (1923), de Pierre Loti (1923), de Maurice Barrès (1923), de Jacques Maritain (1973) et de Pablo Picasso (1973).
Enfin, on célèbrera en 2023 l’anniversaire d’événements culturels, comme l’édification de l’abbatiale romane du Mont-Saint-Michel (1023), la publication du Tour du monde en quatre-vingts jours de Jules Verne (1873), la fondation de la Compagnie des sept troubadours de Toulouse (1323), la première séance publique de l’Académie française (1673), ou la publication à Paris de l’ouvrage choc d’Alexandre Soljenitsyne, l’Archipel du goulag (1973).
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