« Pourquoi la culture est-elle associée à la ville ? » La question, posée par Stéphane Courgeon, journaliste et animateur des Rencontres nationales Culture et Ruralités 2018, renvoie à une réalité trop souvent occultée : les territoires ruraux sont aussi des territoires culturels, dotés, au même titre que les territoires urbains, d’un fort potentiel d’expérimentation, d’innovation et de développement. La première édition de ces Rencontres, organisées conjointement par le ministère de la Culture et le ministère de la Cohésion des territoires, a permis de mettre en lumière cette réalité de façon significative.
Politiques culturelles nationales et territoires ruraux : quelles clefs d’entrée ?
Comment articuler, en matière de culture, action locale et enjeux globaux dans les territoires ruraux ? Après avoir identifié plusieurs leviers d'action, Maryline Laplace, chef du service de coordination des politiques culturelles et de l’innovation au ministère de la Culture, insiste sur un point essentiel : les différents acteurs, nationaux comme européens, ne sauraient porter une action culturelle au sein des zones rurales sans s’appuyer sur des relais territoriaux – collectivités territoriales, réseaux d’acteurs locaux, etc.
Le ministère de la Culture dispose quant à lui de trois grandes "clefs d’entrée" pour le développement culturel des territoires ruraux, poursuit-elle. En premier lieu, l’éducation artistique, pierre angulaire de l’action de Françoise Nyssen, avec la mise en place de dispositifs tels que Création en cours, qui permet à de jeunes diplômés de l’enseignement supérieur Culture de faire des résidences longues dans des écoles primaires situées en zone rurale. Le développement d’équipements de proximité est également un vecteur de développement culturel et rural, comme en témoigne les 16500 bibliothèques et médiathèques en France. Enfin le ministère doit veiller à garantir l’égal accès à des ressources culturelles, une démarche au cœur du plan « Culture près de chez vous » , destiné à favoriser l’itinérance des œuvres et des artistes.
Le ministère de l’Agriculture est lui aussi amené à se positionner sur des sujets dotés d’un fort enjeu culturel, souligne Patricia Andriot, chargée de mission au bureau Action territoriale et services aux collectivités . Les politiques de développement agricole contribuent à la revalorisation des villages et de leur patrimoine tandis que ses engagements en matière d’alimentation ont des répercussions directes sur la gastronomie, partie intégrante de notre culture. De telles initiatives ne peuvent cependant prendre un tour concret que si les territoires disposent d’infrastructures et d’équipements numériques adéquats. Sophie Duval-Huwart, directrice du développement des capacités des territoires au Commissariat général à l’égalité des territoires, estime que les politiques de soutien à l’investissement des collectivités territoriales ont, à ce titre, un rôle crucial à jouer.
Co-construire un développement culturel et rural cohérent à l’échelle régionale
Comment sensibiliser les acteurs locaux à l’importance du développement culturel ? « Il n’est pas toujours évident de donner la priorité à la culture dans la gestion d’une commune rurale », affirme Jean Piret, maire de Suin (Saône-et-Loire). « Mais la fierté suscitée par l’organisation d’événements culturels populaires, qui vont attirer beaucoup de monde, fait partie des éléments qui permettent de valoriser plus facilement la culture auprès des administrés ou du conseil municipal », ajoute-t-il. La volonté de favoriser la vitalité d’un territoire est également un argument décisif. Anne-Laure Guillerme, cheffe du service de la coordination des politiques publiques et de l’appui territorial de la préfecture du Lot, rappelle que son département est, de toute l’Occitanie, celui qui investit le plus dans la culture. Dotée d’une population vieillissante, le Lot y voit en effet un « puissant levier d’attractivité du territoire ». Dans les deux cas de figure, il n'en reste pas moins que « l’appétence des élus pour les questions culturelles est déterminante », relève Jean Piret.
La coopération avec les différents services déconcentrés de l’Etat et l’ensemble des collectivités territoriales s’avère primordiale pour les élus en vue de mener une politique de développement culturel d’envergure. Pierre-Olivier Rousset, directeur du pôle d’action culturelle et territoriale de la DRAC Bourgogne Franche-Comté, considère que le rôle de la DRAC est précisément de favoriser le travail commun des acteurs de tous les échelons, autour d’une envie partagée. « L’éducation artistique est un moyen particulièrement efficace de se mettre autour d’une table et de parler culture en milieu rural, c’est une question qui a tendance à fédérer les élus », observe-t-il.
Pour Nathalie Lanzi, vice-présidente chargée de la jeunesse, du sport, de la culture et du patrimoine de la Région Nouvelle-Aquitaine, l’exigence reste fondamentale. « Nous ne sommes pas un guichet », prévient-elle. Le soutien accordé aux projets est fonction du rayonnement de l’action culturelle envisagée, de la dynamique qu’elle est susceptible de créer à moyen et long terme sur le territoire et enfin des besoins qu’elle cherche à rencontrer. « On n’oublie personne, on investit et on essaye de rester au plus près des territoires en co-construisant », résume-t-elle.
L'appétence des élus pour les questions culturelles est déterminante
Des actions culturelles spécifiques : projets hors-les-murs et itinérance
Malgré l’existence d’un réel maillage territorial, les territoires ruraux se caractérisent globalement par un déficit en terme d'institutions culturelles. Face à cette pénurie d’équipements, des opérations spécifiques se développent telles que les actions « hors les murs », particulièrement prisées par les institutions culturelles. « Notre mission, en tant que Fonds régional d’art contemporain, consiste à désacraliser l’art et à le diffuser au-delà des grandes villes », rappelleSylvie Froux, directrice du Frac Normandie Caen. Dans le cadre d’un projet intitulé « Art contemporain à Valognes » / « Territoires ruraux - Territoires de culture », le Frac a ainsi installé des galeries d’art contemporain dans les collèges et lycées d’une commune de 7000 habitants. Une initiative « toute simple » qui, selon Sylvie Froux, « fonctionne très bien ».
En matière d’itinérance des œuvres et des artistes, le milieu associatif n’est pas en reste. Chantale Sacarabany dirige, par le biais de l’association C.A.D.I.C.E, un circuit de cinéma itinérant lancé en Martinique, où les lieux de cinémas sont désormais rares. « C’est important, ne serait-ce que pour apprendre aux jeunes à décrypter les images, pour développer, avec les films en version originale sous-titrés, le rapport à la langue et enfin permettre à nos publics de côtoyer des réalisateurs et des acteurs du 7ème art », explique-t-elle. Alexandre Birker, directeur de Scènes et Territoires, en Lorraine, fait quant à lui voyager des artistes. « Nous identifions les lieux où intervenir avec l’aide de réseaux d’éducation populaire et nous formulons une proposition artistique originale, adaptée à leurs besoins », explique-t-il. Ce dispositif est notamment en place en Meurthe-et-Moselle, où la compagnie Tout va bien !, associée à Scènes et Territoire jusqu’en 2019, s’attache à faire découvrir au public la richesse artistique d’acteurs en situation de handicap.
Pour Olaf Holm, le développement culturel permet, enfin, de donner la parole à des lieux qui, en dépit de leurs richesses, sont souvent relégués au second plan. « Derrière le paysage façonné par l’homme il y a toute une histoire, il y a un territoire à faire vivre et à valoriser », estime le directeur du Parc naturel de la Montagne de Reims. Ce dernier a accueilli une compagnie de théâtre en résidence longue – cinq ans au total - afin d’inciter les habitants à revivre et raconter à leur manière l’histoire de leur territoire en se plongeant avec les comédiens dans l’ambiance de la Grande Guerre. Cet ambitieux pari a porté ses fruits : près de 150 bénévoles ont fini par se mobiliser autour du projet et le lieu dispose désormais de sa propre troupe de théâtre permanente. L’expérience d’Olaf Holm fait écho à celle de Yannick Mercoyrol, directeur du patrimoine et la programmation culturelle de Chambord. En effet, le célèbre domaine national accueille également des artistes et favorise très largement l’installation de ces derniers dans le territoire.
Des lieux dynamiques et inventifs
Que ce soit dans le cadre d’initiatives en faveur de la revitalisation des territoires ou dans une logique transversale propre au développement rural, d’importantes dynamiques de transformation traversent les ruralités. Parmi les nombreux projets qui y contribuent figure celui de Laure Marieu qui a travaillé, en tant qu’architecte du patrimoine, à Romorantin – Lanthenay. Son objectif ? Donner à cette ville, sévèrement touchée par les inondations de 2016, une nouvelle image plus valorisante, en adéquation avec ses richesses. « Romorantin est dotée d’une histoire difficile, mais c’est aussi et surtout une commune qui avait une destinée extraordinaire : François Ier voulait en faire la capitale de la France, avec Léonard de Vinci comme maître d'oeuvre », observe Laure Marieu. « Comment, dès lors, redonner envie d’y vivre ? » L’architecte a finalement choisi d’aménager les bords de la Sauldre, qui scinde la ville en deux, pour en faire un vaste jardin et prévenir les risques d’inondation. Un moyen, selon elle, de redonner toute sa beauté au cœur de cette commune et de ré-enchanter un lieu autrefois menaçant.
Particulièrement enclavée, la communauté des communes de la Vallée d’Oule, située dans les Hautes-Alpes a également pris un nouveau départ. Grâce à un projet intercommunal innovant, elle s’est dotée d’un équipement culturel qui mutualise plusieurs services : une agence postale, une maison d’accès aux services publics, un lieu de coworking et une bibliothèque départementale. « Sans cette institution, les services publics n’auraient pas été maintenus », commente Blaise Mijoule, son directeur. Le lieu, qui propose de nombreuses animations tout au long de l’année – clubs de lecture, accueil des tous petits, clubs de couture… - est désormais au cœur des activités culturelles de cette petite vallée « hyper-rurale ».
A Châteaulin, en Bretagne, c’est autour d’un emblématique café-concert que les habitants se réunissent. « Run ar Puñs est avant tout un lieu de vie », estime Antoine de Bruyn, secrétaire général de l’association en charge de cette institution culturelle. Celle-ci s’inscrit dans une démarche professionnelle : labellisée, elle fonctionne avec des employés et propose, en plus des concerts, des résidences d’artistes tout menant des actions culturelles auprès de lycées et d’écoles. L’endroit, toujours ouvert, comprend en outre un marché bio et une caravane-bibliothèque. Récemment, la mise en vente d’une partie des bâtiments du hameau dans lequel il se trouve, a suscité des inquiétudes. Des acteurs locaux ont alors bénévolement monté un collectif de défense de Run ar Puñs en vue de donner à l’association les moyens de racheter l’ensemble du hameau. « On représente quelque-chose dans ce territoire », se réjouit Antoine de Bruyn.
Territoires culturels : la plateforme participative des projets culturels en milieu rural
Initiée par le ministère de la Culture à l’occasion de la première édition des Rencontres nationales Culture et Ruralités du 29 juin 2018, la plateforme participative « Territoires culturels » a pour objectif d’offrir une visibilité nationale aux projets culturels dans les territoires ruraux, d’alimenter une base de données relative à ces projets et de favoriser la mise en réseau des acteurs. Vous développez un projet culturel en milieu rural avec différents partenaires ? Nous vous invitons à le recenser sur cette plateforme : www.culture.gouv.fr/territoires-culturels
Votre contribution servira à alimenter la base de données des projets culturels en milieu rural du ministère de la Culture à des fins d’observation et de valorisation.
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